Épisode 5 : L’adieu à l’ancienne vie

Le ciel était gris ce matin-là, comme s’il comprenait la tempête silencieuse qui se déchaînait dans le cœur de Vanessa. Debout au centre de son petit appartement d’étudiante, elle tournait sur elle-même, son regard embrassant une dernière fois chaque meuble, chaque photo, chaque livre, chaque trace de sa vie passée. Rien ne semblait réel. C’était comme si elle assistait à la fin d’un rêve — ou peut-être au début d’un cauchemar éveillé.

Autour d’elle, des cartons s’entassaient, fermés à la hâte, contenant les fragments d’une vie qu’elle n’aurait pas le loisir de poursuivre. Son admission dans une prestigieuse université londonienne, ses projets d’études en psychologie sociale, son rêve de travailler dans l’aide humanitaire... Tout cela venait de s’éteindre, balayé par une seule décision. Ou plutôt, par un sacrifice.

Son père, affaibli, l’avait suppliée de considérer ce mariage comme un acte noble. « Tu sauves la famille, ma fille... tu sauves ton nom. » Mais ce qu’il lui demandait, c’était d’éteindre son feu intérieur. De renoncer à ses passions, à son avenir, à sa liberté.

Elle ouvrit la boîte contenant ses affaires de classe : ses carnets de notes, les brochures de l’université, les lettres de recommandation qu’elle avait tant travaillées à obtenir. Elle les serra contre elle, puis, lentement, les rangea avec soin. Non pas comme on enterre des rêves, mais comme on garde des graines pour une saison future. Elle n’abandonnait pas. Elle reportait.

Le bruit du moteur du taxi l’arracha à ses pensées. Le chauffeur l’attendait en bas. Elle jeta un dernier regard à la pièce, puis prit une profonde inspiration. Chaque pas vers la porte semblait peser une tonne. Elle ferma derrière elle. Claquement sec. Comme une porte scellée à double tour entre elle et l’ancienne Vanessa.

La maison familiale, autrefois pleine de rires et de chaleur, n’était plus qu’un mausolée de souvenirs fanés. Sa mère, allongée sur un lit médicalisé installé dans le salon, l’attendait. Les traits tirés, les yeux cernés, mais toujours avec ce sourire tendre qui résistait à tout. Même à la douleur. Même à la maladie.

— Tu pars, n’est-ce pas ? murmura-t-elle.

Vanessa s’agenouilla à ses côtés, les yeux embués. Elle posa sa main sur la sienne, fragile comme du verre.

— Oui, maman... Je dois le faire. Pour vous. Pour papa. Pour que tout ne s’effondre pas.

Sa mère hocha lentement la tête.

— Je sais. Je le sens. Mais n’oublie jamais qui tu es. Ce mariage, ce contrat, ce n’est pas toi. Toi, tu es lumière, tu es force, tu es liberté.

Vanessa sentit ses larmes couler malgré elle. Ce n’était pas un adieu ordinaire. C’était un adieu à celle qu’elle avait toujours été. Un adieu à ses insouciances, à ses ambitions forgées au fil des années, à la légèreté d’un futur choisi. Elle n’avait jamais été une héroïne tragique. Et pourtant, aujourd’hui, elle en incarnait chaque page.

Elle sortit de son sac une petite chaîne en or, offerte par sa mère le jour de ses 18 ans.

— Je veux que tu la gardes. Comme un lien entre nous. Un rappel de ce que j’étais, de ce que je suis.

— Non, dit sa mère, refermant doucement ses doigts autour de la chaîne. Garde-la, ma chérie. Et quand viendra le jour où tu retrouveras ta joie, alors, tu pourras la porter de nouveau. Ce jour-là, tu sauras que tu es redevenue libre.

Sur le pas de la porte, son père l’attendait. Ses traits fatigués trahissaient une nuit blanche. Il tenta de lui sourire, mais cela ressemblait à une grimace de douleur.

— Je t’ai demandé l’impossible, souffla-t-il. Je le sais. Mais je ne vois pas d’autre issue.

Vanessa n’avait pas de mots. Que dire à un père qu’on aime mais qu’on ne comprend plus ? Elle hocha simplement la tête, et ils s’étreignirent brièvement. Un adieu muet, chargé de regrets.

Le trajet en voiture fut silencieux. Le chauffeur, discret, sentait bien que ce n’était pas un déménagement ordinaire. Vanessa regardait défiler la ville à travers la vitre. Les rues, les immeubles, les cafés où elle avait l’habitude d’écrire, les bancs où elle lisait ses romans préférés... Chaque image semblait la narguer, lui rappeler ce qu’elle abandonnait.

Lorsqu’elle arriva devant le portail immense de la résidence des Delcourt, son estomac se noua. L’entrée du domaine, luxueuse et froide, lui donnait l’impression d’entrer dans une forteresse — ou une prison dorée.

Un majordome vint lui ouvrir. Pas un mot de bienvenue. Juste un geste courtois, presque mécanique.

— Mademoiselle Vanessa, vos bagages seront montés dans votre chambre.

Elle suivit, le cœur lourd. L’intérieur de la maison était somptueux. Moulures au plafond, escaliers en marbre, tableaux de maître... Mais rien ne semblait vivant. Tout était trop parfait, trop figé. Comme un musée où elle serait exposée, non accueillie.

Dans sa chambre, elle retrouva ses valises, déjà posées à côté d’un lit king-size impeccable. Sur une table basse, un dossier : les termes du mariage. Bien sûr. Pas de bienvenue, pas de fleurs, pas de mot d’encouragement. Juste un contrat. Encore.

Elle s’assit, prise d’un vertige. Elle réalisait l’ampleur de ce qu’elle venait de faire. Elle avait renoncé à ses projets, à son autonomie, à l’amour même — pour entrer dans une alliance froide, stratégique, sans émotion.

Mais au fond d’elle, une voix résistait : Ce n’est pas la fin. Ce n’est que le passage. Ce n’est pas la tombe de tes rêves, c’est le champ d’épreuve où ils mûriront.

Elle se leva, ouvrit la fenêtre. De là, elle pouvait voir la ville au loin. Elle chuchota :

— Adieu, Vanessa l’étudiante. Adieu, la rêveuse. Bonjour... la survivante.

Une larme coula sur sa joue, puis une autre. Mais elle se tint droite. Forte. Résolue.

Ce n’était pas un adieu pour toujours. C’était un sacrifice temporaire. Un pont vers une version plus forte d’elle-même. Elle ne savait pas encore ce que l’avenir lui réservait, ni qui était vraiment cet homme qu’elle allait épouser... Mais elle savait une chose : elle n’oublierait jamais qui elle était.

Et tôt ou tard, cette ancienne vie, elle la retrouverait. À sa manière. Avec dignité.

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