Le salon était plongé dans une lumière tamisée. Le tic-tac de l’horloge murale semblait résonner avec une insistance presque cruelle, soulignant le silence qui venait de s’abattre. Vanessa fixait son père, figée, les mots qu’il venait de prononcer martelant son esprit comme des coups de tonnerre.
— Répète… Qu’est-ce que tu viens de dire ? demanda-t-elle d’une voix étranglée.
— Vanessa… je suis désolé, murmura son père en baissant les yeux. Ce mariage… c’est la seule solution. Le seul moyen de sauver ce qu’il nous reste.
Elle recula d’un pas, le souffle court, comme si le sol venait de s’effondrer sous ses pieds. Elle n’arrivait pas à croire ce qu’elle entendait. Elle venait d’apprendre, à peine une heure plus tôt, que la fortune familiale s’était évaporée, que leur nom était entaché, que les créanciers les traquaient comme des vautours. Et maintenant, cela ?
— Tu veux me vendre, c’est ça ? Comme un pion qu’on sacrifie dans une partie perdue ?
Le regard de son père s’assombrit. Il se leva lentement, les traits marqués par l’épuisement, l’angoisse et une culpabilité presque tangible.
— Je n’ai jamais voulu ça. Mais je n’ai plus de choix, ma chérie. Je suis au bord du gouffre… Nous sommes au bord du gouffre. Et ce mariage, c’était prévu depuis longtemps.
Vanessa resta figée. Son père s’approcha d’un vieux secrétaire en bois, ouvrit un compartiment dissimulé et en sortit une chemise cartonnée, épaisse, fermée par un ruban de cuir. Il la lui tendit.
— Qu’est-ce que c’est ?
— Le contrat… signé il y a vingt ans. Avec la famille Delacroix.
Elle ouvrit le dossier d’un geste tremblant. À l’intérieur, des pages jaunies, portant les sceaux de deux grandes familles. Son regard glissa sur les termes : Union matrimoniale scellée en cas de collaboration économique durable... Nomination des héritiers... Accords successoraux...
— C’est une blague ? Tu avais planifié mon mariage avant même que je sache marcher correctement ?
— Ce n’était qu’un pacte symbolique à l’époque, protesta son père. Personne ne pensait qu’il se concrétiserait… jusqu’à ce que je perde tout. Et eux… ils ont tenu leur promesse.
— Qui, eux ?
— Alexandre Delacroix. L’héritier.
Le nom résonna comme une sentence. Vanessa sentit un frisson lui parcourir l’échine. Elle avait entendu ce nom, dans les journaux, dans les conversations chuchotées au téléphone. Un jeune milliardaire froid, brillant, insaisissable. L’homme dont tout le monde parlait, mais que personne ne connaissait vraiment.
— Il est d’accord avec ça ? Il veut vraiment m’épouser ?
— Il a accepté le contrat. Pas pour l’amour, évidemment, mais pour… régler nos comptes. Honorer la promesse de son père.
— Une dette d’honneur ? C’est ça que je suis pour lui ?
Son père ne répondit pas. Et ce silence fut la pire des réponses.
La nuit tomba sur la ville, mais Vanessa ne trouvait pas le sommeil. Elle restait assise dans sa chambre, les documents étalés devant elle. Chaque ligne du contrat semblait lui crier sa propre impuissance. Elle, si indépendante, si déterminée à tracer sa propre voie… se retrouvait désormais prisonnière d’un accord ancien, d’un jeu de pouvoir entre hommes d’affaires.
Sa vie basculait, sans qu’elle ait le moindre mot à dire.
Elle repensa à ses projets : son départ imminent pour Londres, la bourse qu’elle venait d’obtenir, ses rêves d’études en relations internationales, ses engagements humanitaires. Tout cela allait disparaître comme de la fumée dans le vent.
Elle aurait pu dire non. Refuser, s’enfuir. Mais où irait-elle ? Avec quoi ? Sa mère, déjà malade, n’aurait pas supporté le scandale. Son père, lui, semblait au bord de la dépression. Et les créanciers ? Ils ne les laisseraient pas tranquilles.
Elle était piégée.
Le lendemain matin, elle descendit lentement les escaliers, comme dans un rêve. Son père l’attendait dans le salon, vêtu d’un costume trop grand pour ses épaules affaissées.
— Tu comptes le faire ? lui demanda-t-il sans détour.
Vanessa croisa les bras.
— Je veux rencontrer cet homme. Avant de prendre une décision.
— Ce sera difficile. Il voyage beaucoup.
— Alors je veux un appel. Une visioconférence. Quelque chose. Je ne vais pas vendre mon âme sans savoir à qui je la donne.
Son père acquiesça. Il sortit son téléphone, passa quelques appels fébriles. En fin d’après-midi, il la rejoignit.
— Ce soir. 21h. Il accepte de te parler. Mais… il sera bref. Il a précisé qu’il ne veut pas de « complications ».
Complications. Vanessa serra les poings. C’était donc ainsi qu’il la voyait ? Une complication.
À 21h précises, l’écran de l’ordinateur afficha enfin le visage de celui qu’elle devait appeler son futur mari. Elle resta sans voix.
Alexandre Delacroix était l’incarnation vivante de la froideur calculée. Costume sombre, traits durs, regard perçant. Il ne souriait pas. Pas même un rictus.
— Mademoiselle Costa, dit-il d’une voix grave, neutre.
— Vanessa, corrigea-t-elle en le fixant droit dans les yeux.
— Très bien, Vanessa.
Il marqua une pause, puis ajouta :
— Je suppose que votre père vous a expliqué les termes du contrat.
— Il m’a parlé de cette absurdité, oui.
— Ce n’est pas une absurdité, répliqua-t-il calmement. C’est une solution. Vous gagnez la stabilité. Je gagne la tranquillité. Un accord clair, sans attachement, sans illusions.
— Et vous croyez que je vais accepter ça sans broncher ? Sans rien dire ?
— Vous avez le choix. Mais si vous refusez, les conséquences pour votre famille seront… douloureuses. Je suis un homme d’affaires, Vanessa. Pas un bourreau. Mais je n’ai pas de place pour les émotions dans ce que je fais.
Elle soutint son regard. Et pour la première fois, elle aperçut, juste une fraction de seconde, une faille. Un vide, derrière le masque.
— Vous êtes aussi malheureux que moi, dit-elle doucement.
Il plissa les yeux, comme piqué au vif.
— Le bonheur est un luxe, mademoiselle. Un luxe que peu peuvent se permettre. Et nous ne faisons pas partie de ces « peu ».
Il coupa la communication sans autre forme de politesse.
Vanessa resta figée devant l’écran noir. Tout son être hurlait de révolte. Mais au fond d’elle, elle savait déjà ce qu’elle ferait. Pas pour elle. Pas pour son père non plus. Mais pour cette mère alitée, qui avait tout sacrifié pour élever une fille libre, cultivée, forte. Pour préserver ce qui restait de leur nom, de leur dignité.
Elle allait accepter.
Mais pas comme une victime.
Comme une femme consciente. Déterminée. Elle allait traverser cette tempête la tête haute.
Et si elle devait épouser un homme de glace… alors elle apprendrait à ne pas se brûler en s’approchant trop près.
Fin de l’Épisode 3 : Le pacte empoisonné
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