Épisode 4 : L’ultime sacrifice

Le silence de la nuit n’apaisait pas l’esprit tourmenté de Vanessa. Après la révélation de son père, tout en elle criait au refus. Elle s’était levée de la table comme un automate, le cœur battant à tout rompre, les jambes flageolantes. Dans sa chambre, elle tournait en rond, incapable de trouver le sommeil, incapable même de pleurer.

Un mariage arrangé.

Avec un inconnu.

Pour sauver l’honneur d’une famille en ruine.

Elle revoyait les mots de son père, empreints de honte et de détresse :

« Vanessa… Il n’y a pas d’autre solution. Tu es notre dernier espoir. »

Il avait prononcé ces mots comme une condamnation. Ou une supplication. Elle ne savait plus. Ce qu’elle savait en revanche, c’est que cette décision bouleversait toute sa vie.

Son regard se posa sur une valise restée dans un coin de la pièce. Celle qu’elle préparait pour partir à Boston, là où l’attendaient ses rêves. Une bourse, une université prestigieuse, une carrière d’architecte. Tout ce qu’elle avait construit avec acharnement.

Elle se laissa tomber sur le lit, les mains tremblantes.

La tentation de refuser était immense. S’enfuir. Dire non. Ne pas se laisser sacrifier pour des erreurs qui n’étaient pas les siennes.

Mais alors, elle pensait à sa mère, malade, fragile, hospitalisée depuis deux semaines. Et elle voyait dans les yeux de son père cette flamme mourante, celle d’un homme qui perdait tout ce qu’il avait bâti. Il ne lui restait que sa fille.

Vanessa avait grandi avec l’idée que la famille, c’était sacré. Même quand elle vacillait. Même quand elle faisait mal. Elle avait appris à honorer, à soutenir. Mais était-elle prête à tout abandonner pour cela ?

Une larme roula sur sa joue. Puis une autre.

Le lendemain matin, elle descendit les marches du grand escalier, le visage fermé. Elle trouva son père assis dans le salon, la tête entre les mains, les coudes appuyés sur ses genoux. Il semblait vieilli de dix ans en une nuit.

Elle resta debout un instant. Puis, d’une voix plus calme qu’elle ne le pensait possible, elle dit :

— Je vais le faire.

Son père releva la tête, les yeux rougis par l’insomnie.

— Tu… tu acceptes ?

Elle acquiesça, le cœur serré.

— Je le fais pour toi. Pour maman. Mais je veux que tu saches une chose : je ne le fais pas de gaieté de cœur. Je le fais parce que je ne veux pas que notre nom soit traîné dans la boue. Pas davantage. Mais je ne te pardonne pas. Pas encore.

Il hocha lentement la tête, l’air accablé.

— Je comprends… Merci, ma fille.

Mais elle ne voulait pas de sa gratitude. Elle voulait sa liberté.

Le contrat fut finalisé en moins d’une semaine. Tout était déjà prêt, comme si on attendait juste son feu vert. Un nom apparut dans les papiers : Alexandre Delcourt. Vanessa n’en savait rien de lui, sinon qu’il était le fils de l’homme avec qui son père avait signé le pacte, vingt ans plus tôt. Un héritier richissime, puissant, et — d’après quelques articles de presse — redouté dans le monde des affaires. Ce nom seul suffisait à provoquer un frisson dans les milieux économiques : Delcourt Industries.

Le notaire ne lui laissa que quelques instants pour lire les conditions. Tout semblait pensé dans les moindres détails : pas de divorce possible avant trois ans, clause de confidentialité, discrétion obligatoire. En échange, sa famille verrait ses dettes effacées, et un versement généreux couvrirait les soins médicaux de sa mère.

Vanessa signa. D’une main froide. Chaque lettre de son prénom semblait la trahir.

Deux jours plus tard, elle rencontra Élise, une femme élégante aux cheveux poivre et sel, secrétaire particulière d’Alexandre. Elle fut brève et stricte :

— Mademoiselle Keller, vous serez conduite à la résidence secondaire des Delcourt ce samedi. Le mariage civil aura lieu dans la plus stricte intimité. Monsieur Delcourt exige que ce soit rapide et sans cérémonie excessive. Tenue sobre, ponctualité exigée. Il ne tolère pas les retards.

Vanessa serra les dents. Aucun mot de bienvenue. Aucun mot d’encouragement. Elle ne se mariait pas, elle était livrée.

Le soir venu, elle s’autorisa à téléphoner à sa mère. Elle ne lui parla pas du mariage. Elle se contenta de l’écouter parler du traitement, de ses journées à l’hôpital, de ses souvenirs d’enfance. Sa voix tremblait, mais elle ne pleura pas.

À la fin de la conversation, sa mère lui dit d’une voix douce :

— Je suis fière de toi, ma chérie. Tu as toujours été forte.

Vanessa raccrocha, le cœur au bord de l’explosion.

La veille du départ, elle fit ses bagages dans le silence. Elle passa une dernière fois dans sa chambre d’adolescente. Les murs étaient tapissés de photos, de dessins, de projets de maquettes. Un rêve suspendu.

Elle sortit une feuille blanche et écrivit une lettre. À elle-même. À la Vanessa d’hier.

"Tu étais pleine d’espoir. Tu pensais que tout était possible. Aujourd’hui, tu te sacrifies. Ce n’est pas un renoncement. C’est un choix. Mais promets-moi une chose : ne te perds pas. Reste vivante, même dans la cage dorée."

Elle plia la lettre et la glissa dans un carnet.

Le matin du mariage, elle enfila la robe choisie pour elle : une robe crème, simple, presque austère. Pas de dentelle. Pas de voile. Une robe de contrat.

En arrivant devant le manoir Delcourt, elle fut saisie par l’ampleur du lieu. Un domaine aux allures de forteresse moderne, dissimulé derrière de hauts murs. On lui ouvrit sans mot dire.

Alexandre n’était pas là pour l’accueillir.

La cérémonie se déroula dans un salon aux grandes baies vitrées, avec pour seuls témoins un notaire, Élise, un avocat, et un vieil ami du père de Vanessa.

Lorsqu’il entra enfin dans la pièce, elle retint un souffle.

Alexandre Delcourt.

Grand, impeccablement vêtu, les traits ciselés comme une statue grecque, un regard glacial. Il la détailla sans émotion, un simple hochement de tête.

— Mademoiselle Keller, dit-il sèchement. Merci d’être à l’heure.

Aucune chaleur. Aucune courtoisie. Juste la rigueur.

Ils s’assirent, signèrent. L’un après l’autre. Aucun vœu. Aucune bague.

Quand le notaire déclara :

— Par cet acte, vous êtes légalement mari et femme...

Vanessa sentit le sol se dérober sous ses pieds. Ce n’était pas un conte de fées. C’était une transaction.

Alexandre tendit à peine la main pour l’inviter à le suivre.

— Venez, dit-il simplement. Il est temps d’entrer dans votre nouvelle vie.

Dans la voiture qui les ramenait vers la résidence principale, le silence était pesant. Vanessa gardait les yeux fixés sur le paysage. Il pleuvait légèrement. Comme un écho à son cœur.

Alexandre brisa enfin le silence :

— Je suppose qu’on ne s’attend pas à ce que je vous tienne la main.

Elle répondit sans détour :

— Pas plus que je n’attends un baiser.

Il tourna vers elle un regard bref.

— Bien. Alors mettons les choses au clair. Ce mariage n’est qu’une formalité. Un arrangement. Vous ferez ce que vous voulez de votre temps, du moment que vous respectez les apparences.

Elle hocha la tête, la gorge serrée.

— Très bien.

— Et une dernière chose, ajouta-t-il. Ne vous attachez pas à moi. Ce serait une perte de temps.

Elle tourna la tête vers la fenêtre.

Trop tard, pensa-t-elle. Je viens déjà de perdre tout ce que j’avais.

Fin de l’épisode 4

(Transition vers Épisode 5 : L’adieu à l’ancienne vie)

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