chapitre : 5

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La décision était prise, non comme un acte de bravoure, mais comme un naufragé qui, à bout de forces, cesse de lutter contre le courant et se laisse porter vers une terre inconnue. Smith avait choisi de rester. Pour un mois. Un seul mois à voler du temps au destin, à emprunter une vie qui, peut-être, aurait pu être la sienne.

Le lendemain matin, la lumière du soleil qui inonda sa chambre lui parut différente. Elle n'était plus l'implacable témoin de son angoisse, mais une caresse chaude sur sa peau. Chaque détail de la maison des Croft prenait une nouvelle dimension. Le bruit des oiseaux dans le jardin, l'odeur du café que Mme Croft sa mère avait préparé, le son de la radio dans la cuisine. C'était une symphonie de normalité heureuse, et il en était le spectateur émerveillé et nerveux.

Julien arriva peu après le petit-déjeuner, aussi radieux et énergique que la veille, mais avec une nuance nouvelle dans le regard : une attention douce, protectrice.

— Allez, paresseux ! lança-t-il depuis le pas de la porte. On ne passe pas sa journée de congé à se morfondre. J'ai un planning de maître.

Smith se laissa entraîner, le cœur battant un peu plus vite. La journée fut un tourbillon délibéré. Julien semblait avoir deviné son besoin de s'accrocher à des sensations fortes, à des preuves tangibles de ce nouveau monde. Ils allèrent dans un parc d'attractions, et Smith hurla de rire et de peur sur des montagnes russes, ses cris se mélangeant à ceux de Julien. Pour la première fois, il sentit le poids de ses propres inhibitions se dissoudre, remplacé par une légèreté presque enfantine.

Puis ce fut un café bondé, où Julien salua une demi-douzaine de connaissances, présentant toujours Smith avec une fierté non dissimulée. « Mon meilleur ami, Smith, bientôt un homme marié ! » Personne ne sourcilla. Personne ne lança de regard en biais. Smith se tenait un peu plus droit.

L'après-midi, ils marchèrent le long de la rivière. Le silence entre eux n'était plus lourd, mais complice.

— Tu sembles… mieux, aujourd'hui, remarqua Julien, brisant le calme.

Smith regarda l'eau scintiller sous le soleil.

— C'est étrange, Julien. Ici, respirer semble plus facile. Comme si l'air était moins lourd.

Julien lui donna un coup de coude amical.

— C'est peut-être parce que tu arrêtes enfin de retenir ton souffle. Tu as passé ta vie à te faire tout petit, Smith. C'est le moment de prendre ta place.

Prendre sa place. Les mots de la chamane lui revinrent. « La place qui était vide. » Il regarda Julien, son sourire sincère, sa présence inébranlable. Une boule d'émotion lui serra la gorge. C'était ça, l'amitié. Non pas une simple camaraderie de circonstance, mais un pilier, un refuge. Une main tendue dans les ténèbres qui vous disait : « Tu n'es pas seul. »

— Merci, dit Smith, la voix un peu rauque. Pour tout. Pour… être là.

Julien lui adressa un sourire en coin, ses yeux en demi-lune plissant.

— Idiot. C'est à ça que servent les meilleurs amis. À être là, dans les bons moments comme dans les tempêtes. Même quand ces tempêtes, c'est toi qui les provoques en oubliant où tu habites.

Ils rirent, et ce rire fut pour Smith une libération. C'était la première fois qu'il riait sans amertume, sans arrière-pensée.

Le soir, alors qu'ils rentraient, une voiture se gara devant la maison des Croft. Day en sortit. Son cœur à Smith fit un bond. Il était encore plus élégant en tenue décontractée, un simple jean et un t-shirt qui soulignaient sa silhouette déliée. Son regard chercha immédiatement Smith, et un sourire tranquille illumina son visage en le trouvant.

— Je suis passé voir comment tu allais, dit Day en s'approchant. Ta mère m'a dit que vous étiez partis en expédition avec Julien.

— Une thérapie par les montagnes russes et le café, annonça Julien avec solennité. Méthode approuvée.

Day rit, et le son était une mélodie douce qui réchauffa Smith de l'intérieur.

— Je vois ça. Je ne veux pas vous déranger. Je… J'avais juste envie de te voir.

Ces mots, si simples, frappèrent Smith de plein fouet. J'avais juste envie de te voir. Personne ne lui avait jamais dit ça. Personne n'avait jamais considéré sa simple présence comme un objectif en soi. Dans son ancienne vie, il était une obligation, un devoir. Ici, il était un désir.

— Tu ne nous déranges pas, parvint à dire Smith.

Un silence chargé d'une douce tension s'installa. Julien, avec un sens du timing parfait, s'éclaircit la gorge.

— Bon, eh bien, moi, j'ai une vie palpitante à vivre qui m'attend. Des chaussettes à plier, une série à binge-watcher. Je vous laisse. À demain, Smith ! Prends soin de lui, Day !

Il partit en leur faisant un signe de la main. Smith et Day restèrent seuls sur le trottoir, baignés par la lueur dorée du couchant.

— Tu veux qu'on aille marcher un peu ? proposa Day.

Ils marchèrent dans les rues tranquilles du quartier. Smith était hyper conscient de la présence de Day à ses côtés, de la chaleur qui émanait de lui. Day parlait de son travail, de ses passions, et Smith l'écoutait, fasciné. C'était un homme passionné, intelligent, et d'une douceur désarmante.

— Et toi ? demanda finalement Day. Ces derniers temps… tu as l'air un peu ailleurs. Est-ce que… est-ce que quelque chose te tracasse ? À propos de nous ?

La question était posée avec une telle vulnérabilité que Smith sentit son cœur se serrer. Ce n'était pas un interrogatoire, c'était une main tendue, une offre de partage.

Je suis un imposteur. Je ne suis pas le Smith que tu aimes. Je viens d'un monde où aimer quelqu'un comme toi est un crime. Les mots brûlaient ses lèvres.

Mais il se souvint de sa décision. Goûter au bonheur. Juste une fois.

— Non, mentit-il doucement. Ce n'est pas toi. C'est… tout. Le mariage, les préparatifs. C'est beaucoup à assimiler. Parfois, j'ai l'impression de rêver.

Day s'arrêta et se tourna vers lui. Ses yeux, pleins de bienveillance, scrutaient son visage.

— Je comprends. Mais sache que je suis là. Nous avançons à ton rythme, Smith. Toujours.

Puis, avec une lenteur qui donna à Smith tout le temps de se dérober, Day leva une main et effleura doucement sa joue. Le contact fut une décharge électrique de tendresse pure. C'était un geste si simple, si intime, si chargé d'affection que les yeux de Smith s'embuèrent. Il ferma les paupières, se concentrant sur cette sensation, l'engrammant dans sa mémoire pour les jours sombres à venir.

— Tu es si précieux, murmura Day.

Quand Day partit, longtemps après, Smith resta un moment sur le perron, le visage encore chaud du contact de sa main. La maison était silencieuse. Il monta dans sa chambre, l'esprit et le cœur en ébullition. La journée avait été un tourbillon de sensations nouvelles : les rires partagés avec Julien, le regard admirateur de sa mère, la tendresse de Day.

Il attrapa le téléphone de l'autre monde, toujours caché sous un t-shirt dans un tiroir. L'écran était noir, muet. Pour la première fois, en le regardant, il ne sentit pas l'étreinte de la peur, mais une vague de pitié pour le Smith de l'autre côté, celui qui était encore coincé sous la pluie, dans sa voiture.

Il avait pris sa décision. Un mois. Un mois pour vivre, pour aimer, pour être aimé. Un mois pour être, enfin, lui-même.

Il se coucha, un sourire aux lèvres, s'abandonnant à la douce fatigue du bonheur. Pour la première fois de sa vie, il s'endormit en sachant, sans l'ombre d'un doute, qu'il était aimé. Et pour cette nuit, c'était suffisant. C'était tout.

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