chapitre: 4

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La maison des Croft était silencieuse, bercée par le souffle régulier de la nuit. Mais pour , Smith c’était un silence assourdissant, hanté par l’écho du message qui brûlait encore sa rétine. « Sois raisonnable. » Ces mots, dans la bouche de sa mère de l’autre monde, n’étaient jamais une suggestion. C’était un ordre. Le même ordre qui l’avait poussé au bord du précipice.

Il était allongé sur le lit qui n’était pas le sien, dans la chambre qui aurait dû l’être, les yeux grands ouverts fixant le plafond où dansaient les reflets des phares des voitures. Le téléphone, cet artefact maudit de son ancienne vie, était posé sur sa table de nuit, inerte et menaçant comme une bombe à retardement. Chaque seconde qui passait sans qu’il ne vibre à nouveau était à la fois un soulagement et une angoisse.

Rester.

Le mot résonna dans son crâne, doux et effrayant. S’il restait, cela signifiait accepter l’incroyable. Accepter que ce sourire de sa mère, ce rire libre, lui soit destiné. Accepter la main de Julien, cette amitié offerte sans condition. Accepter les yeux doux de Day, ce fiancé qui semblait voir en lui un trésor.

Il ferma les yeux, laissant l'image de Day se former. La façon dont ses yeux se plissaient quand il souriait, la tranquillité qui émanait de lui. Une chaleur étrange, interdite, se propagea dans sa poitrine. C’était une sensation si nouvelle, si vertigineuse, qu’elle faillit lui couper le souffle. Ici, aimer Day n’était pas un péché. C’était une célébration. L'idée même était un soleil qui cherchait à fondre le pergélisol de son cœur.

Mais avec cette chaleur venait une peur glaciale. Et si ce n’était qu’un emprunt ? Un prêt ? La chamane avait parlé d'une « place vide », mais pouvait-il vraiment croire que tout ce bonheur lui était destiné ? Il n’était que déception et compromis. Comment pouvait-il être le héros de cette histoire radieuse ?

Partir.

L’alternative était un gouffre familier. Retourner dans sa voiture, sous la pluie. Affronter le dîner avec les Choi. Serrer la main de cette inconnue et voir, une fois de plus, l’étincelle d’espoir dans les yeux de ses parents un espoir qu’il savait devoir éteindre, lentement, méthodiquement, pour leur « bien » et pour la paix des apparences.

Il revit le visage de sa mère sa vraie mère. Non pas la femme rayonnante de ce monde, mais celle aux épaules toujours un peu voûtées, aux sourires toujours un peu tristes, comme si elle portait le poids silencieux de toutes leurs déceptions. Elle l’aimait, il le savait. D’un amour exigeant, conditionnel, qui disait « je t’aime si tu deviens celui que j’attends ». La décevoir, lui briser le cœur en avouant sa vérité, avait toujours été son plus grand cauchemar. Partir, c’était lui épargner cette douleur. C’était honorer le fils qu’elle croyait avoir.

Mais à quel prix ? Celui de son âme. La chamane avait dit : « Tu vivras la vie que tu as choisie en reniant qui tu es. » Ce n’était pas une vie, c’était une lente asphyxie. Une mort intérieure en plusieurs actes.

Un léger grattement à sa porte le fit sursauter. Sa porte s’entrouvrit, laissant passer la tête ensommeillée de son frère, Nam.

— Smith ? Tu dors pas ? chuchota ce dernier. J’ai entendu du bruit.

— Non, frérot. Désolé de t’avoir réveillé.

Nam entra, se laissant tomber lourdement au pied du lit. Dans la pénombre, il ressemblait encore plus au frère qu’il connaissait, mais en plus doux, moins ridé de soucis.

— C’est les préparatifs ? demanda Nam en bâillant. T’as le trac ? C’est normal. Je me souviens quand j’ai présenté Julien à nos parents, j’avais l’impression d’avaler des pierres.

La simplicité avec laquelle il évoquait cela laissa Smith sans voix. Présenter Julien à ses parents. Une simple formalité. Un bonheur banal.

— C’est… plus compliqué que ça, réussit à dire Smith, la voix rauque.

Nam le regarda, et dans l’obscurité, son regard semblait percevoir des choses.

— Tu sais, quand j’ai su pour toi et Day, j’ai d’abord eu peur. Pas pour moi, jamais pour moi. Mais pour toi. Le monde peut être cruel. Mais te voir si heureux, si… vivant depuis que tu es avec lui… ça a effacé toute ma peur. Maman et papa aussi, tu les as vus. Ils sont tellement fiers de l’homme que tu es devenu.

Les mots de Nam agissaient comme des coups de poignard dorés. Chaque phrase était une preuve de plus de la beauté de ce monde, et un rappel déchirant de ce qu’il allait peut-être devoir abandonner. La fierté de ses parents. C’était un concept si étranger, si lointain, qu’il en avait mal.

— Et si… si tout cela disparaissait ? murmura Smith, incapable de retenir la question.

Nam eut un petit rire doux.

— Rien ne disparaîtra, petit imbécile. À part ta liberté de célibataire, et encore, Day te laissera sûrement respirer. Vous allez construire quelque chose de solide. Je le sens.

Il se leva, posa une main réconfortante sur l’épaule de son frère.

— Arrête de penser autant. Dors. Demain, les choses te paraîtront plus claires.

Mais quand Nam fut parti, les choses étaient plus obscures que jamais. Les deux réalités se bousculaient dans son esprit, chacune tirant la couverture à elle. D’un côté, l’amour conditionnel, le devoir, la froide familiarité de la souffrance. De l’autre, l’amour inconditionnel, la liberté effrayante, la chaleur vertigineuse du bonheur.

Il se leva et marcha jusqu’à la fenêtre. Dehors, le monde dormait paisiblement. Quelque part, dans cette même ville, Day dormait aussi. L’idée que lui, Smith, puisse être l’objet des rêves de quelqu’un, qu’il puisse être aimé à ce point, était un aphrodisiaque pour l'âme et un poison pour la conscience.

Il attrapa le téléphone maudit. L’écran était noir. Il le serra dans sa paume, sentant son contour froid contre sa peau. C’était son passeport pour retourner à sa vie. Tout ce qu’il avait à faire était de se concentrer sur la tristesse. De se replonger dans le désespoir qui l’avait amené ici.

Il essaya. Il revit la pluie, la voiture, le goût de ses larmes. Mais l’image était floue, distante, comme recouverte de la voix de Julien, du sourire de sa mère, du regard de Day. La douleur était toujours là, réelle et aiguë, mais elle était maintenant en compétition avec autre chose. Avec un espoir têtu, insensé, qui prenait racine dans les fissures de son cœur brisé.

« Méfie-toi des échos. »

Le téléphone vibra soudainement, si fort dans le silence qu’il faillit lui échapper des mains. Une terreur pure le glaça. Il regarda l’écran.

1 appel manqué - Maman (23:58).

Pas de message. Juste un appel manqué. Une sommation silencieuse. Une main qui se tendait de l’autre côté du voile pour le rattraper, le ramener à l’ordre.

Son propre corps tremblait, déchiré. Une partie de lui, la plus ancienne, la plus soumise, voulait répondre. Voulait dire « oui, j’arrive, désolé pour le retard ». C’était le chemin de la moindre résistance, le retour à la case départ, aussi douloureuse fût-elle.

Mais une autre partie, une petite flamme nouvelle et fragile, se rebellait. Cette flamme s’était nourrie de la chaleur de Julien, de la fierté de Nam, de la douceur de Day. Elle lui chuchotait que peut-être, peut-être, il méritait plus. Qu’il méritait de ne pas être seulement « raisonnable », mais d’être heureux.

Il laissa le téléphone tomber sur le lit comme s’il était brûlant. Il recula, le souffle court. Il ne pouvait pas choisir. Pas maintenant. Pas comme ça.

Le choix n’était pas entre deux mondes. Il était entre deux versions de lui-même. Le fils dévoué et meurtri, ou l’homme aimé et libre.

Et au milieu de ce chaos intérieur, une troisième voie, insidieuse, commençait à se dessiner : et s’il ne partait pas tout de suite ? Et s’il profitait ne serait-ce que d’un jour de plus de ce rêve ? Un seul jour pour savoir ce que cela faisait de se réveiller sans peur. Un jour pour voir si la chamane disait vrai. Un jour pour tenir la main de Day, une fois, en pleine lumière.

C’était un risque. Un délai dangereux. L’écho pouvait se faire plus fort, la fissure pouvait se refermer.

Mais alors qu’il regardait le téléphone, silencieux et menaçant sur les draps, une détermination nouvelle, faite non de force, mais d’un espoir désespéré, naquit en lui.

Il ne partirait pas. Pas ce soir.

Il irait se coucher, et à son réveil, il ne se concentrerait pas sur la tristesse. Il essaierait, pour la première fois de sa vie, de se concentrer sur la possibilité du bonheur. C’était la décision la plus effrayante qu’il ait jamais prise. Mais pour la première fois, la peur de perdre ce qu’il venait à peine de trouver était plus forte que la peur de décevoir.

Il se recoucha, tournant le dos au téléphone, et ferma les yeux, s’accrochant non pas au désespoir du passé, mais à la fragile et terrifiante promesse du lendemain. La bataille n’était pas terminée. Elle ne faisait que commencer.

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