La chambre était encore plongée dans une semi-obscurité quand Ayumi ouvrit les yeux. Le froid de l’hiver traversait les vitres mal isolées et se glissait jusque sous sa couverture. Elle resta un moment immobile, à écouter les bruits de la maison : les pas discrets de sa mère dans la cuisine, la porte d’un placard qui grince, et au loin, le craquement des branches chargées de neige.
Depuis seize ans, Ayumi vivait avec ce poids dans sa poitrine, cette douleur invisible qui lui rappelait chaque jour qu’elle n’était pas comme les autres. Sa respiration était fragile, chaque souffle mesuré, mais son esprit, lui, n’avait jamais cessé de rêver.
Aujourd’hui, elle allait demander quelque chose d’inimaginable. Pour sa dernière année, elle voulait aller à l’école. Pas rester enfermée, pas continuer cette vie monotone entre quatre murs. Non. Elle voulait affronter le monde.
Elle se leva doucement, ses cheveux noirs aux reflets bleutés glissant sur ses épaules. Elle s’approcha du miroir, observa ses yeux gris-bleu, marqués par des nuits trop courtes. Elle inspira.
Ayumi Sora
(murmurant) C’est aujourd’hui… je dois le lui dire
La porte s’ouvrit sans prévenir. Haruka, sa mère, entra avec un plateau de thé. Son visage fatigué portait les traces d’une vie trop lourde : un mari perdu trop tôt, deux filles à élever, et un combat quotidien pour survivre.
Haruka (mère)
Tu es réveillée ? Tu devrais rester encore un peu au lit.
Ayumi Sora
Maman… j’aimerais te demander quelque chose.
Un silence. Haruka posa le plateau sur la table et la regarda.
Haruka (mère)
Quoi encore ?
Ayumi Sora
(d’une voix tremblante mais décidée) Je veux aller à l’école. Pour ma dernière année
La tasse trembla dans la main de sa mère. Ses yeux s’écarquillèrent, partagés entre colère et inquiétude.
Haruka (mère)
Ayumi, tu sais très bien que… que ce n’est pas possible. Ta santé…
Ayumi Sora
Justement. Je ne veux pas que toute ma vie se résume à cette maladie. Je veux essayer. Juste une année.
Le silence tomba à nouveau, pesant. On entendait au loin la porte de la chambre de la grande sœur s’ouvrir, puis des pas qui descendaient l’escalier.
Ayumi Sora
(d’une voix encore ensommeillée) Qu’est-ce qui se passe ?
Haruka (mère)
(soupirant) Ta sœur rêve encore… Elle croit qu’elle peut suivre une année entière d’école.
Ayumi Sora
(serrant les poings) Ce n’est pas un rêve. C’est mon choix. Et je le ferai, même si je dois me battre pour ça.
Un frisson parcourut la pièce. Haruka détourna les yeux. Pendant une seconde, Ayumi crut voir dans le regard de sa mère non pas de la peur, mais… autre chose. Un éclat d’ombre, comme si cette idée réveillait un souvenir enfoui, un danger dont elle ne voulait pas parler.
Haruka (mère)
(après un long silence) Très bien. Essaie. Mais ne viens pas dire que je ne t’ai pas prévenue.
Un faible sourire se dessina sur les lèvres d’Ayumi. Elle avait gagné. Mais au fond d’elle, une voix chuchotait que cette victoire allait l’entraîner beaucoup plus loin qu’elle ne l’imaginait.
***
La veille de la rentrée, Ayumi sortit sur le balcon. Le froid mordait ses joues. La neige tombait lentement, recouvrant le sol d’un manteau blanc. Elle leva les yeux vers le ciel, comme pour y chercher une réponse.
Dans la rue, elle crut voir une silhouette, immobile, tournée vers la maison. Quand elle cligna des yeux, il n’y avait plus rien.
Ayumi Sora
(murmurant) Je sais que quelqu’un me regarde…
Le vent se leva soudain, emportant ses mots dans la nuit.
Et Ayumi comprit qu’une nouvelle page de sa vie s’ouvrait. Mais pas celle qu’elle espérait.
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