Chapitre 4 — Kaël, soldat de l’ordre

La pluie n’en finissait plus de tomber sur Étheria, enveloppant la cité flottante d’un voile de brume mélancolique. Kaël Draeven avançait d’un pas ferme dans les ruelles tortueuses des bas-fonds, son manteau noir rejetant goutte à goutte le poids de la nuit. Chaque pierre semblait suinter la crasse et la douleur, chaque souffle d’air transportait l’âcre parfum de la misère et de la peur. Cette ville était une blessure ouverte, et lui, un soldat forgé dans l’acier et la culpabilité, devait y trouver une proie : Nyrah.

Il connaissait son nom, ce nom chuchoté comme une malédiction parmi les Disparus. Une guérisseuse, disait-on. Une héritière maudite. Une menace pour l’équilibre fragile de l’ordre établi. Son devoir était clair, pourtant chaque pas le rapprochant d’elle réveillait en lui un tourbillon de doutes.

Kaël avait grandi au sommet, dans la maison Draeven, une famille d’Élus mineure mais loyale, formée dès l’enfance à l’obéissance et à la maîtrise du pouvoir. Son don, le contrôle de la pierre-écho, lui conférait une précision chirurgicale dans la guerre, mais aussi une capacité redoutable à capturer les cris et ordres pour les répéter en un assaut sonore dévastateur. Pourtant, cette force était devenue un poids, chaque mission le laissant plus creux, plus isolé. La discipline ne suffisait plus à étouffer la voix intérieure, celle qui lui rappelait les visages qu’il avait brisés, les ordres aveugles qu’il avait suivis.

Son regard scrutait les ombres, ses sens aiguisés à l’extrême. Kaël connaissait les codes de la ville : les murmures étouffés, les regards fuyants, les signes discrets. Il sentait que la traque ne serait pas facile. Nyrah, ce nom évoquait une énigme, une blessure dans le système. Un secret que l’ordre voulait ensevelir. Et pourtant, il devait la capturer. C’était la règle.

Alors qu’il passait près d’un mur tapissé de glyphes noirâtres, il perçut un murmure lointain, un écho de cris désespérés et de douleur. Sa pierre-écho vibrionna dans sa paume, amplifiant les sons, les décomposant en fragments glacés. Il reconnut ce qu’il redoutait : un rituel de magie noire, un appel aux forces sombres, utilisé par les corrompus pour nourrir leur pouvoir au détriment des âmes souffrantes des Disparus.

Kaël sentit le poids de sa propre complicité. Chaque ordre qu’il avait exécuté, chaque vie qu’il avait ôtée, avait alimenté ce cycle infernal. Pourtant, il n’avait jamais eu le choix. Jusqu’à aujourd’hui.

Soudain, une silhouette se détacha du brouillard, une femme au regard farouche et aux traits marqués par la souffrance. Nyrah.

Elle avançait sans peur, son aura dégageant une chaleur étrange, une lueur fragile qui semblait à la fois appeler et repousser. Kaël se figea un instant, son cœur battant un rythme qu’il ne reconnaissait plus. Il n’était plus certain de qui il poursuivait.

— Nyrah Velyn ? Sa voix résonna dans l’air humide.

Elle s’arrêta, ses yeux croisant les siens, un feu sauvage dans son regard.

— Kaël Draeven. Le soldat de l’ordre. Que veux-tu ?

Elle ne tremblait pas. Pas même une once de peur, juste une détermination brûlante. Kaël sentit la tension monter, cette ligne fragile entre le devoir et l’humanité qui vacillait dangereusement.

— Je ne suis pas ton ennemi, murmura-t-il, presque à lui-même. Je cherche la vérité, au-delà des mensonges que l’on m’a racontés.

Nyrah plissa les yeux, méfiante.

— La vérité ? Ici, dans ce monde pourri ? La vérité est un luxe que seuls les Élus peuvent se permettre. Nous, les Disparus, nous ramassons les miettes et les cendres.

Un silence s’installa, lourd et chargé. Kaël abaissa lentement son arme, brisant un peu plus le masque de soldat implacable.

— Pourquoi te traquer, alors ? Si tu n’es pas une menace ?

Elle détourna le regard, la douleur remontant à la surface.

— Parce que je porte un secret que l’ordre veut garder enfoui. Parce que je suis celle qu’ils ont condamnée pour avoir osé défier leur autorité. Parce que je suis la lumière qu’ils veulent étouffer.

Kaël sentit un poids immense s’abattre sur ses épaules. Cette femme, si fragile et pourtant si forte, incarnait tout ce qu’il avait voulu ignorer. Il revoyait les visages des innocents, des victimes, les cris qu’il avait contenus dans sa pierre-écho. Il comprenait enfin qu’il n’était pas un instrument de justice, mais un rouage d’une machine corruptrice.

Un bruit sourd retentit soudain dans l’ombre, brisant la fragile trêve. Des pas précipités, des murmures. Kaël se retourna, arme à la main.

— Ils viennent, murmura-t-il, le souffle court.

Nyrah le regarda, défiant, puis fit un pas en arrière.

— Alors tu dois choisir. Me suivre ou me laisser seule face à eux.

Le dilemme fit vaciller Kaël. Son monde entier, construit sur l’ordre et l’obéissance, s’effondrait dans ce simple choix. Il y avait en lui une rébellion sourde, un appel à la justice véritable.

— Je choisis de voir la vérité, souffla-t-il.

Sans un mot de plus, il fit signe à Nyrah de le suivre, s’enfonçant avec elle dans les ruelles obscures. Leurs pas résonnaient comme un serment brisé, un début de révolte.

Dans l’ombre, les agents du pouvoir approchaient, leurs cris menaçants déchirant la nuit. Mais Kaël et Nyrah étaient déjà en marche, unis par un lien fragile, unis par la douleur et l’espoir d’un monde à reconstruire.

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Analyse narrative du chapitre

Ce chapitre 4 introduit enfin Kaël de manière intense et psychologique. On découvre son univers intérieur complexe, ses conflits de loyauté et sa rencontre fatidique avec Nyrah qui bouleverse ses certitudes. La tension est palpable, renforcée par la menace imminente des agents du pouvoir, et l’alliance inattendue entre deux personnages en apparence opposés.

Le style est introspectif, mêlant poésie et brutalité, avec un rythme cadencé qui maintient l’attention. Les thèmes de la culpabilité, de la rédemption et de la fracture sociale sont au cœur du texte.

La fin du chapitre installe un cliffhanger fort : Kaël choisit de suivre Nyrah, s’opposant au système qu’il servait, promettant un conflit à venir aussi bien externe qu’interne. Le lecteur reste suspendu entre la peur de la traque et l’espoir d’une alliance fragile.

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