Aria resta figée, incapable de bouger, son cœur cognant si fort qu’il étouffait tous
les sons de la nuit. L’homme aux yeux de braise avait disparu, mais la peur restait,
vivace, acide, coulant dans ses veines comme du feu.
Elle reprit ses esprits, tituba, puis courut à travers les arbres, trébuchant sur
chaque racine, griffée par les branches, la gorge sèche et la vision brouillée. Elle
courut sans savoir où aller, fuyant une terre qu’elle ne comprenait plus, un
monde qui s’était retourné contre elle.
Et soudain, le noir.
Son corps s’effondra sur la mousse froide de la forêt, ses forces à bout. Aria perdit
connaissance, seule dans l’obscurité.
Mais elle n'était pas seule.
Tapie dans l’ombre, une silhouette la regardait. Silencieux, le Roi des Ombres
s’avança lentement. Il se pencha vers elle, l’observa un long moment, puis la prit
dans ses bras avec une infinie délicatesse.
Ses pas ne faisaient aucun bruit lorsqu’il traversa les bois.
Il marcha ainsi, jusqu’à atteindre une vieille bâtisse oubliée, aux pierres rongées
par le temps. C'était là qu'avait autrefois vécu son seul ami, le Général Arven,
mort depuis plus de cinq siècles dans la grande guerre des frontières.
À côté, une petite chaumière, encore habitée, dégageait une lueur pâle derrière
ses rideaux usés.
Le Roi frappa une fois.
Le bois résonna.
Une femme âgée, au regard perçant, ouvrit lentement la porte. Elle ne dit rien,
mais son regard s’arrêta une seconde sur les yeux rouges dans l’ombre. Elle
reconnut l’ombre du Roi — elle le connaissait, ou du moins ce qu’il était devenu.
Une larme silencieuse roula sur sa joue ridée, mais elle ne parla pas.
D’un battement d’ailes, le Roi des Ombres s’envola, laissant Aria allongée devant
la porte.
La vieille dame appela doucement :
« Roy… viens m’aider, mon garçon. »
Un jeune homme d’à peine dix-sept ans accourut. Ensemble, ils portèrent Aria
dans la petite maison, l’allongèrent sur un lit près du feu. La nuit reprit son cours
comme si rien ne s’était passé.
Le matin venu...
La lumière dorée caressait les murs de pierre. Aria ouvrit les yeux lentement, les
paupières lourdes. Une couverture douce la recouvrait, et l’odeur du pain chaud
flottait dans l’air.
« Où… où suis-je ? » murmura-t-elle.
La vieille dame, assise à côté, sourit.
« Chez moi, ma chérie. Tu es en sécurité maintenant. Bois un peu d’eau, tu es
restée évanouie toute la nuit. »
Aria but. Son cœur se calma peu à peu.
Elle n’osa pas encore poser de questions sur l’homme à la cape… elle n’était
même pas certaine de ne pas avoir rêvé.
Les saisons passèrent.
Aria resta dans le village. D’abord par gratitude, puis par attachement.
Elle s’occupa de la vieille dame comme d’une grand-mère. Elle l’aidait à préparer
et vendre les fleurs, à tresser les couronnes de violettes et à organiser les herbes
médicinales. Roy, le petit-fils, montrait une maladresse adorable qui faisait rire
Aria.
Peu à peu, ils tissèrent une relation de frère et sœur.
Elle le taquinait dès qu’il rougissait pour une fille du marché.
Il la protégeait farouchement des petits voyous du village.
Un jour, l’un d’eux tira sur sa natte. Roy l’attrapa par le col et le jeta dans un tas
de pommes de terre. Depuis, plus personne n’osa l’embêter.
La vieille dame, elle, souriait en les regardant.
« Dieu m’a donné deux petits-enfants au lieu d’un seul », disait-elle en caressant
les cheveux d’Aria.
Aria, elle, devint un soleil discret dans ce petit monde.
Sa cuisine était la plus parfumée du village. Les voisins venaient demander ses
conseils pour les épices, ses secrets de cuisson. On disait que même les fleurs
poussaient mieux lorsqu’elle les touchait.
Mais la nuit… la nuit, elle ne dormait pas toujours.
Souvent, elle fixait la lune, se rappelant les yeux rouges, la cape noire, et ce
moment suspendu dans la clairière.
Elle ne l’avait jamais revu.
Mais au fond d’elle, elle savait qu’il l’observait encore..

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