L’anniversaire du serpent

Je n’avais jamais aimé ces fêtes qu’organisait mon oncle. Elles étaient toujours trop bruyantes, trop clinquantes, pleines de sourires forcés et de regards qui vous écorchent la peau. Des éclats de rire résonnaient dans l’air comme des éclats de verre, trop aigus, trop superficiels. Mais ce soir-là, il célébrait son cinquantième anniversaire, et il m’avait expressément demandé d’être présente.

Je ne pouvais pas refuser. Après tout, c’était lui qui m’avait aidée à intégrer l’université, à obtenir ce précieux stage, puis ce poste dans ce cabinet où je travaillais maintenant. Je lui devais beaucoup… en apparence du moins. En vérité, il me devait bien plus encore : il avait laissé derrière lui un sillage de secrets et de non-dits, et j’en portais encore les cicatrices invisibles.

Je portais une robe noire ajustée, élégante mais discrète, celle que je choisissais quand je voulais qu’on me remarque sans trop en dire. La coupe soulignait ma taille, et le tissu léger épousait mes mouvements comme une seconde peau. Dans la grande salle de réception, les convives discutaient à voix basse, échangeant des regards complices, des sourires en coin, des rires étouffés. Les verres de champagne brillaient sous les lustres de cristal, et la musique douce vibrait comme un souffle perfide entre les conversations.

Je cherchais mon oncle du regard, mais il était occupé à recevoir les félicitations d’hommes plus âgés, tous plus distingués les uns que les autres, et de femmes trop maquillées qui semblaient se disputer ses faveurs. Je me sentais un peu perdue, isolée au milieu de ce décor trop grand, trop parfait, presque irréel.

Et puis je l’ai vu.

Il était adossé près du bar, une coupe à la main, l’air détaché, presque amusé. Il avait un regard magnétique, de ceux qui vous clouent sur place sans même vous toucher. Ses cheveux noirs légèrement ébouriffés contrastaient avec la netteté de son costume sombre, coupé sur mesure. Son visage était marqué par quelques rides fines, à peine visibles, qui trahissaient une maturité qu’il portait avec un charme nonchalant. Mais ce qui m’a frappée, ce sont ses yeux : d’un bleu profond, presque glacé. Des yeux à la fois calmes et dangereux, comme un océan qu’on croyait paisible avant de s’y noyer.

Il dégageait une assurance que peu d’hommes possèdent, celle d’un homme fort de ses expériences, qui savait exactement ce qu’il voulait et comment l’obtenir. Je lui aurais donné la trentaine avancée, peut-être trente-sept ou trente-huit ans, douze ans de plus que moi.

Il m’a regardée avec une intensité troublante, un sourire à peine esquissé sur les lèvres, un sourire qui pouvait être celui d’un ami ou celui d’un prédateur. J’ai détourné les yeux, surprise par ma propre audace, par cette étrange brûlure qui naissait sous ma peau.

— Vous n’aimez pas les fêtes, vous non plus ? a-t-il lancé, sa voix douce et moqueuse à la fois, teintée d’un accent difficile à situer.

J’ai rougi malgré moi, prise de court par cette question inattendue.

— Non, pas vraiment. Trop de masques et trop peu de sincérité.

Il a ri, un rire bas et rauque, presque confidentiel, comme un secret soufflé à mon oreille.

— J’aime votre franchise. Ça change des sourires hypocrites qu’on croise ici.

Je ne savais pas quoi répondre. Il me troublait, vraiment. Il me faisait vaciller sur mes certitudes.

Je me suis présentée rapidement, comme on se présente à un inconnu qu’on n’est pas censé revoir : juste mon prénom, « Imaya », sans plus. Il a hoché la tête, son sourire s’élargissant légèrement, comme s’il goûtait ce nom, comme s’il en savourait chaque syllabe.

— Et vous ? ai-je demandé, curieuse malgré moi, prise par une impulsion que je n’ai pas su réprimer.

Il m’a offert ce sourire à la fois mystérieux et charmeur, et a répondu :

— Erick. Un ami de la famille.

Mon cœur a fait un bond dans ma poitrine. Un ami de la famille ? Alors il ne pouvait pas être celui que je cherchais, celui qui avait volé ma vie un soir de pluie et de cris étouffés. Je me suis sentie soudain stupide, soulagée, et un peu honteuse d’avoir douté. J’ai baissé la garde devant ce regard bleu océan, et mon sourire est revenu, plus sincère, plus fragile.

Pendant un instant, nos regards se sont accrochés, et j’ai cru y voir un mélange de curiosité et d’amusement, mais aussi quelque chose d’indéfinissable, comme un prédateur jouant avec sa proie… ou peut-être un complice cherchant un lien.

Je me suis surprise à sourire à nouveau, plus doucement.

— Vous connaissez bien mon oncle ?

Son sourire s’est élargi, et une lueur mystérieuse a dansé dans ses yeux.

— Ahhhh… parce qu’Ocatavio est ton oncle ? Intéressant… On peut dire ça, oui. Disons qu’on se connaît plutôt bien, lui et moi.

Son ton m’a glacée une seconde. Il y avait quelque chose de trop léger dans sa façon de prononcer « oncle », comme si ce mot recelait un secret dont je ne connaissais pas encore la clé.

Puis, une serveuse est passée, un plateau de coupes à la main, et nous a interrompus. Il a levé son verre, m’a offert un clin d’œil complice, et s’est fondu dans la foule, me laissant là, seule au milieu des rires et des murmures.

Je l’ai suivi du regard, le souffle court, le cœur battant à tout rompre. Pourquoi est-ce que ce regard me hantait déjà ? Pourquoi cette impression qu’il savait tout de moi avant même que je n’aie eu le temps d’ouvrir la bouche ?

Je restai là, immobile, un frisson dans le dos.

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Libny Aylin Rodríguez

Libny Aylin Rodríguez

Je n'arrive pas à croire que j'ai fini la dernière chapitre. J'ai besoin de la suite !

2025-06-10

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