Premiers signes

Chapitre 4

L’aube se levait à peine, et déjà la ville s’agitait sous un ciel de cendres. Les klaxons lointains, les pas pressés, les lumières des bureaux s’allumant une à une… Tout semblait banal.

Et pourtant, derrière la vitre de son appartement, Imaya pressentait qu’aujourd’hui serait différent.

Elle passa lentement ses doigts dans ses cheveux noirs, comme pour chasser une pensée obsédante. Un frisson. Une intuition.

Elle ne savait pas encore que le passé, qu’elle croyait avoir enterré, était en train de se relever.

Dans le miroir, elle examina son reflet. Ses traits étaient durs, affirmés, mais dans ses yeux brillait encore cette lueur que ses collègues redoutaient : froide, lucide, déterminée.

Elle était devenue l’une des plus jeunes avocates du cabinet. Une femme respectée. Une adversaire redoutée.

Mais chaque succès avait un prix. Et chaque victoire l’avait éloignée un peu plus de son innocence.

Son oncle avait tout mis en œuvre pour la voir réussir. Des contacts, des écoles, des recommandations.

Mais toujours dans l’ombre. Toujours à demi-mots.

Imaya avait appris à ne poser que les questions dont elle pouvait supporter les réponses.

Elle attrapa le dossier prioritaire du jour, le glissa dans son sac, et quitta l’appartement.

⸻

En bas de l’immeuble, son cœur rata un battement.

Une silhouette se tenait à l’angle de la rue, immobile sous un lampadaire grésillant.

Cigarette aux lèvres. Posture familière. Trop familière.

Elle ne distinguait pas son visage. Mais son instinct, affûté par des années de méfiance, lui soufflait que ce n’était pas un inconnu.

Elle redressa les épaules, adopta son pas le plus assuré.

Ne pas flancher. Ne pas ralentir.

Même quand la peur murmure à l’oreille.

Elle passa près de la silhouette sans détourner le regard.

L’homme écrasa sa cigarette du bout du pied.

Un mot s’échappa de ses lèvres. Elle ne l’entendit pas. Mais elle le sentit, comme une promesse empoisonnée.

Le destin venait de lancer les dés.

⸻

Elle arriva au cabinet plus tôt que d’habitude. Le silence du matin renforçait le poids de ses pensées.

Ses talons résonnaient dans les couloirs déserts, chaque écho semblant répondre à ses angoisses.

À son bureau, elle tira les stores, laissant filtrer une lumière grise, presque irréelle.

Elle sortit le dossier de son sac, l’ouvrit machinalement.

Au début, rien d’anormal : vol aggravé, extorsion, menaces. Le genre d’affaires que l’élite aimait résoudre dans l’ombre.

Mais en feuilletant les pages, quelque chose se brisa en elle.

Des noms. Des détails. Des échos du passé.

Des noms que son père avait évoqués à voix basse.

Des noms qu’elle croyait oubliés, ensevelis avec son enfance.

Une sueur froide glissa le long de sa nuque.

Elle s’arrêta de lire, la gorge nouée.

Pourquoi ce dossier était-il entre ses mains ? Pourquoi maintenant ?

Son oncle avait toujours prétendu vouloir la protéger.

Mais ses silences, ses absences, ses choix trop calculés…

Peut-être n’avait-il fait que la conduire droit au cœur du piège.

Imaya referma le dossier brutalement et posa une main sur sa poitrine.

Son cœur tambourinait.

Ce n’était plus un dossier ordinaire. Ce n’était plus une mission.

C’était un avertissement.

⸻

Dans le couloir, des pas s’arrêtèrent devant sa porte.

Une poignée hésita.

Puis, le silence.

Elle se leva brusquement, ouvrit la porte.

Personne.

Mais au sol, une enveloppe.

Glissée discrètement. Anonyme. Froissée.

Elle la ramassa. Ses mains tremblaient à peine — mais son souffle, lui, s’était suspendu.

À l’intérieur, un mot.

Un seul.

El Doro.

Le monde s’effondra un instant autour d’elle.

Ce nom.

Elle l’avait entendu enfant, dans les murmures les plus sombres.

Un nom qui résonnait comme une malédiction.

Un cartel dont l’ombre planait sur tout un pays, tordant les lois à son gré.

Elle recula d’un pas, le papier encore entre les doigts.

— Non… pas eux… murmura-t-elle.

Ses jambes fléchirent légèrement, mais elle se rattrapa à la chaise.

Qu’est-ce qu’ils me veulent ?

Pourquoi moi ?

Dans sa poitrine, la peur et la colère se mêlaient.

Quelque chose venait d’être réveillé.

Et cette fois, elle ne pourrait pas l’ignorer.

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