L’Ombre Du Parrain
La pluie noyait Valdora sous un voile d’argent, tombant sans répit sur les façades décrépites et les néons criards qui éclairaient les ruelles sombres. La ville respirait la décadence, chaque ruelle exhalant l’odeur de sang séché, de tabac froid et de peur. Dans cette cité où tout pouvait s’acheter — silence, loyauté, vie ou mort — Isolde Veyran ne se doutait pas encore qu’elle allait croiser l’homme qui allait briser sa vie… ou la réinventer.
Le café où elle travaillait depuis deux ans n’était qu’un refuge discret, un trou de lumière au milieu des ténèbres. Une petite enseigne poussiéreuse, “Le Mirabel”, que seuls les habitués connaissaient. Les clients s’y faisaient rares la nuit, mais Isolde appréciait cette tranquillité. Elle pouvait écrire dans son carnet, rêver d’un monde où elle aurait le contrôle de son destin, loin des dettes et des humiliations familiales qui pesaient sur elle.
Elle n’aimait pas Valdora. Pas ses rues trop étroites. Pas ses hommes au regard de prédateur. Pas son propre sang, qui la liait malgré elle à une famille déchirée. Sa demi-sœur, Selene, avait tout volé : l’amour des parents, la sécurité, les rêves. Elle, Isolde, n’était qu’un fardeau, une ombre. Mais ce soir-là, cette ombre allait attirer l’œil du loup.
Un claquement sec résonna dans la rue : portière de voiture refermée. Bruit de bottes contre les flaques. Puis la porte du café s’ouvrit, et un souffle glacé traversa la salle.
Il entra.
Kael Draven.
Son nom circulait dans la ville comme une malédiction murmurée. Le parrain le plus redouté de Valdora, celui qu’on appelait parfois “le Corbeau” parce qu’il apparaissait toujours là où quelqu’un allait mourir. On racontait qu’il avait fait exécuter son propre oncle pour trahison, que son sourire précédait toujours la tempête.
Isolde le connaissait de réputation, bien sûr. Tout le monde le connaissait. Mais le voir de ses propres yeux était une autre histoire.
Grand, silhouette sculptée par la violence et l’élégance, il portait un manteau noir qui semblait absorber la lumière. Ses cheveux sombres, légèrement mouillés par la pluie, encadraient un visage impassible aux traits d’une beauté brutale. Mais c’étaient ses yeux qui glacèrent Isolde : noirs, profonds, deux abîmes qui avalaient tout.
Il traversa la salle sans un mot. Chaque pas résonnait comme une menace. Les rares clients se figèrent, baissèrent la tête. Le silence se fit, lourd, pesant, comme si même les murs retenaient leur souffle.
Kael s’assit dans un coin, dos au mur, face à l’entrée. La position d’un homme qui ne faisait jamais confiance. Riven Korr, son bras droit, entra à sa suite, massif, le regard tranchant, et s’installa à une autre table, scrutant chaque détail avec froideur.
Isolde sentit son cœur battre plus fort. Elle se força à respirer, à avancer vers lui. Ses mains tremblaient légèrement quand elle posa une carte sur sa table.
— Bonsoir, dit-elle d’une voix trop basse. Que puis-je vous servir ?
Kael leva les yeux vers elle. Lentement. Comme si le temps lui appartenait. Son regard se planta dans le sien, et Isolde eut l’impression qu’il voyait tout : ses peurs, ses blessures, ses secrets.
Il esquissa un sourire infime. Pas un sourire chaleureux. Un sourire qui signifiait : je sais que tu as peur, et ça me plaît.
— Toi, murmura-t-il.
Isolde cligna des yeux, déstabilisée.
— Pardon ?
— Apporte-moi ce que tu veux. Je ne bois que ce qu’on ose m’offrir.
Sa voix était grave, basse, envoûtante. Elle résonna dans sa poitrine comme une caresse douloureuse. Elle recula, confuse, et se réfugia derrière le comptoir. Ses mains tremblaient si fort qu’elle renversa un peu de café en préparant la tasse. Calme-toi, Isolde, il n’est qu’un client. Rien de plus.
Mais ce n’était pas vrai.
Quand elle revint poser la tasse devant lui, ses doigts effleurèrent les siens, volontairement ou pas, elle ne sut le dire. Un frisson violent la traversa, comme une étincelle électrique.
Kael la fixa encore, sans détourner les yeux.
— Comment t’appelles-tu ?
— Iso… Isolde, répondit-elle, la gorge serrée.
Il répéta son prénom, lentement, comme pour le goûter. Isolde. Dans sa bouche, ça sonnait différemment, chargé d’un poids qu’elle ne comprenait pas encore.
Il but une gorgée, puis posa la tasse avec lenteur.
— Tu as des yeux qui mentent, dit-il enfin. Mais ton silence dit la vérité.
Elle déglutit, incapable de répondre.
— J’aime ça.
Un silence pesant s’installa. Le café entier semblait suspendu.
Puis il se pencha légèrement vers elle, ses lèvres presque à hauteur de son oreille.
— Je cherche quelqu’un. Quelqu’un qui sache garder un secret. Et toi… tu respires le secret.
Isolde sentit son cœur se serrer. Elle voulait fuir, hurler, mais ses jambes refusaient de bouger. Sa curiosité, cette flamme dangereuse, la clouait sur place.
— Qu… qu’attendez-vous de moi ? demanda-t-elle enfin, la voix à peine audible.
Kael sourit. Ce sourire qu’on disait annonciateur de damnation.
— Seulement ta compagnie, ce soir.
Ses mots étaient simples, mais l’intention derrière n’avait rien d’innocent. Elle le comprit immédiatement. Le piège se refermait.
Et malgré la peur, malgré le danger, quelque chose en elle brûlait. Une part sombre qu’elle ne soupçonnait pas s’éveillait, attirée par ce gouffre qu’était Kael Draven.
Isolde baissa les yeux, incapable de soutenir plus longtemps son regard. Mais au fond d’elle, elle savait déjà que rien ne serait plus jamais comme avant.
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