Chapitre 3 —

Scène 1 : L’odeur de l’encre

Les chaises raclent le sol, un bruit sec et désordonné qui me ramène brutalement à la réalité.

Mes camarades rassemblent leurs affaires, chuchotent entre eux, mais je ne bouge pas. Je sens leurs regards curieux effleurer mon dos.

Je n’ose pas lever les yeux vers le bureau.

Je sais déjà qu’il me regarde.

Quand le dernier élève passe le seuil de la porte, le silence retombe, beaucoup trop lourd.

Je l’entends inspirer, longuement, comme s’il cherchait à retrouver un semblant de calme.

— Vous resterez après le cours.

Sa voix est basse. Fatiguée.

Je ne réponds pas.

Je le sens s’éloigner, contourner le bureau. Un instant, je crois qu’il va dire autre chose.

Mais il passe simplement devant moi, et je suis frappé par la chaleur de son odeur : ce mélange de cèdre et d’encre qui me fait tourner la tête.

La porte se referme derrière lui avec un claquement sec.

Je suis seul.

Seul avec cette présence qui continue de remplir la pièce, même quand il n’est plus là.

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Scène 2 : L'odeur de l'encre

Je ne sais pas combien de temps je reste immobile, les mains posées à plat sur ma table.

La lumière qui traverse les vitres s’est adoucie, caressant le bois, les piles de livres, le dossier qu’il a laissé ouvert.

Tout ici parle de lui.

Le parfum de sa chemise est encore suspendu dans l’air, plus fort maintenant qu’il n’est plus là pour l’étouffer. Un mélange de cèdre sec, d’encre, et d’une chaleur qui n’appartient qu’à lui.

Je ferme les yeux, juste une seconde. Pour respirer. Pour essayer de redevenir moi-même.

Mais ça ne fait qu’empirer.

Je me lève. Mes jambes protestent, engourdies, comme si elles savaient qu’elles allaient me trahir.

Je fais un pas vers son bureau.

Je n’ai pas le droit d’être ici. Pas le droit de regarder ses affaires comme si elles m’appartenaient un peu.

Je tends la main. Je voudrais pouvoir m’arrêter, mais je ne peux pas. Mes doigts effleurent la couverture d’un livre, puis glissent sur le bois poli du bureau.

Un frisson me parcourt, de la nuque jusqu’aux reins.

C’est ridicule. Je le sais.

Pourtant je ferme les yeux encore une fois, et je me surprends à imaginer: s’il revenait maintenant, qu’est-ce qu’il ferait?

Est-ce qu’il me repousserait ? Est-ce qu’il hausserait ce sourcil moqueur, comme il le fait quand je dis une bêtisier?

Ou est-ce qu’il se tiendrait juste là, sans parler, en me regardant comme il l’a fait plus tôt ?

Je passe ma main sur le rebord du bureau. Mes doigts s’attardent sur une éraflure, un petit éclat dans le vernis.

Je me demande combien de fois il a posé ses mains exactement ici.

Je me hais un peu pour cette pensée.

Depuis quand est-ce que je suis devenu ça ?

Depuis quand est-ce que j’ai laissé cette obsession prendre toute la place?

Je recule d’un pas, le cœur battant trop vite.

J’ai envie de sortir, de fuir cette salle, cette odeur, ces murs qui me renvoient tout ce que j’essaie de cacher.

Mais je reste là, planté comme un idiot.

Je me dis que peut-être, si je ferme encore les yeux, j’arriverai à retrouver le silence en moi.

Mais je sais que je mens.

Parce qu’au fond, une part de moi espère entendre le bruit de ses pas derrière la porte.

Une part de moi attend.

Et je crois que c’est ça, le pire.

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Scène 3 : Son retour

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Le bruit de la poignée me cloue sur place.

Je rouvre les yeux d’un coup, comme si on venait de me surprendre en train de commettre un crime.

La porte s’ouvre lentement.

Il entre sans un mot, referme derrière lui, puis reste immobile.

Je ne bouge pas non plus.

Je crois qu’il comprend ce que j’ai fait. Ou plutôt ce que je pensais faire. Il n’a pas besoin de poser la question.

Ses yeux passent sur moi, s’attardent un peu trop longtemps. Ses pupilles se sont un peu dilatées, comme si l’air de la pièce était différent.

— Vous n’étiez pas assis, constate-t-il d’un ton presque neutre.

Je voudrais inventer une excuse. Dire que je cherchais quelque chose, que j’étais distrait. Mais rien ne sort.

Je serre les mains contre mon ventre pour qu’il ne voie pas qu’elles tremblent.

Il fait quelques pas vers le bureau. Ses chaussures effleurent le sol sans bruit. J’ai la sensation absurde qu’il pourrait entendre mon cœur battre.

Il s’arrête juste en face de moi.

— Vous comprenez pourquoi je vous ai demandé de rester ?

Sa voix est plus basse qu’en classe. Plus… intime.

Je hoche la tête, incapable de soutenir son regard plus de deux secondes.

Il inspire comme pour dire quelque chose d’important, mais se ravise. Pendant quelques secondes, on reste là, à se jauger.

— Votre attitude n’est pas acceptable. Vous le savez.

Sa phrase est presque un reproche. Mais pas seulement.

Il parle comme s’il essayait de s’en convaincre lui-même.

Je voudrais trouver une réponse insolente. Un moyen de reprendre le contrôle.

Mais je sens encore la chaleur de son parfum sur mes mains.

Je déglutis, incapable de faire semblant d’être détaché.

— Alors pourquoi… Pourquoi vous me regardez comme ça ?

Les mots sont sortis tout seuls. Je regrette aussitôt.

Son visage se ferme.

Un silence épais s’abat dans la pièce, comme une chape de plomb.

Je me rends compte que je viens de dire ce qu’on n’a pas le droit d’avouer.

Ses doigts se crispent sur le dossier du fauteuil, puis se détendent.

Il ne répond pas tout de suite. Ses yeux se posent sur ma bouche, puis remontent vers les miens.

— Je pense que vous devriez rentrer chez vous.

Sa voix est un peu rauque, pas aussi contrôlée qu’il l’aurait voulu.

Il fait un pas de côté, s’éloigne de moi, comme si la distance pouvait effacer ce qui vient d’être dit.

Je reste planté là, incapable de bouger.

Pendant une seconde, j’ai l’impression qu’il va revenir vers moi. Qu’il va dire autre chose.

Mais il ne le fait pas.

Il se tourne vers ses papiers, comme si j’étais déjà parti.

Je comprends que c’est la fin de cette conversation. La fin de… je ne sais même pas quoi.

Je ramasse mon sac sans le regarder.

Quand je passe près de lui, je sens encore son odeur, plus forte qu’avant.

Je franchis le seuil.

Et quand la porte se referme derrière moi, je sens que quelque chose a changé.

Qu’aucun de nous ne pourra faire semblant plus longtemps.

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