Scène 1 : Le dossier de trop
Je serre le dossier contre moi comme si c’était un bouclier. Il est mince, presque ridicule, mais je sens son poids me brûler les bras. Dedans, il y a la liste de mes « infractions » : insultes voilées, retards, un graffiti sur un casier qui n’avait même pas de sens.
Je pourrais prétendre que je m’en fiche. Que je suis encore ce même Omega insolent, celui qui sourit quand on le menace d’une sanction. Mais aujourd’hui… je ne sais pas pourquoi, c’est différent.
Peut-être parce qu’il est là.
La porte se referme derrière moi dans un claquement sec. Le silence s’étire, lourd, comme une main invisible qui m’empoigne la gorge. J’entends seulement le froissement de ses vêtements, puis ses pas qui avancent jusqu’au bureau.
Je lève enfin les yeux.
Mr Smith ne dit rien. Il me regarde simplement, et ce regard me perce de part en part. Ses pupilles sont sombres, presque noires derrière ses lunettes. Il pose lentement son porte-documents, comme s’il voulait me laisser le temps de me ressaisir.
Mais je ne me ressaisis pas.
Je sens une vague de chaleur me remonter le ventre. Ce n’est pas du désir, pas encore. C’est… autre chose. La sensation de quelque chose qui glisse sous ma peau, qui s’infiltre dans mes os. Comme si son odeur, son aura d’Alpha, prenait toute la place dans l’air.
Il inspire profondément avant de parler.
— Toshiwa.
Juste mon nom, prononcé d’une voix grave et basse. J’ai l’impression qu’il me l’écrit directement sur la colonne vertébrale.
Je baisse les yeux, soudain incapable de soutenir son regard.
— Vous savez pourquoi vous êtes ici, j’imagine.
Sa voix n’est pas dure. Elle est… mesurée. Trop calme. Ça me fait plus peur que s’il s’était mis à hurler.
Je me mords la lèvre, agacé par la façon dont mes mains tremblent. Je refuse qu’il voie ça.
— Vous croyez que c’est drôle ? De faire perdre du temps à tout le monde ?
Je relève la tête, prêt à répondre avec insolence, mais je me fige. Ses yeux. Ils brillent d’une lueur que je ne comprends pas. Quelque chose entre la colère et… la curiosité.
Il fait le tour du bureau. Chaque pas résonne contre mon cœur comme un battement trop fort. Il s’arrête si près que je sens le parfum de sa chemise : cèdre, savon, un rien d’encre.
Mes phéromones se mélangent aux siennes dans l’air. Un frisson me parcourt la nuque.
— Vous pensez que je ne vous vois pas, dit-il plus bas. Que je ne comprends pas ce petit manège.
Sa voix est un murmure, et j’ai honte de la façon dont mon corps réagit. Mes joues brûlent. Mon ventre se contracte.
Je veux répliquer. Dire quelque chose de sarcastique. Lui prouver que je ne suis pas intimidé.
Mais je ne dis rien.
Et dans ce silence, je sais qu’il a compris.
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Scène 2 : Le dossier de trop
Je reste immobile. Peut-être qu’un autre Omega aurait baissé les yeux, se serait excusé. Moi, je suis incapable de faire semblant. Je suis incapable de prétendre que sa présence ne m’atteint pas.
J’inspire, lentement. L’odeur de la pièce est différente quand il est là. Elle est plus dense, plus chaude, presque étouffante.
— Pourquoi ?
Sa question me prend de court.
Je fronce les sourcils, relevant le menton.
— Pourquoi quoi ?
Ses lèvres se pincent, comme s’il se retenait de soupirer. Il incline un peu la tête, et une mèche sombre lui tombe sur le front.
— Pourquoi vous acharner à ruiner vos chances ? Vous êtes intelligent. Vous pourriez…
Il s’interrompt. Son regard descend sur le dossier que je serre toujours contre ma poitrine. Je sens ses yeux suivre la ligne de mes bras, puis remonter jusqu’à mon visage.
Je déglutis. La chaleur dans mon ventre devient plus profonde, plus dangereuse.
— Vous pourriez faire tellement plus que ça, murmure-t-il.
Je me mords la lèvre plus fort. Ses mots, pourtant si simples, ont un goût étrange. Comme s’ils étaient faits pour s’infiltrer en moi.
Je voudrais lui hurler qu’il n’a pas le droit de dire ça. Qu’il n’a pas le droit de voir au-delà de ce que je montre.
— Ce n’est pas votre problème.
Ma voix tremble un peu. Ça me rend fou de savoir qu’il l’a entendu.
Il ne répond pas tout de suite. Il se contente de me regarder, longuement, comme s’il essayait de comprendre quel genre de créature il avait en face de lui.
Son regard est presque douloureux.
Puis il s’éloigne, enfin. Il retourne derrière son bureau. Je sens l’air se rafraîchir autour de moi, comme si la pression venait de retomber.
Mais mon cœur, lui, refuse de ralentir.
Il ouvre le dossier, le feuillette. Ses doigts sont longs, précis. Je me surprends à imaginer ces mains contre ma peau, posées sur ma nuque, ancrées dans mes cheveux.
Je ferme les yeux un instant, écœuré par moi-même.
Quand je les rouvre, il m’observe encore.
— Vous ne comprenez pas ce que vous provoquez, Toshiwa.
Je reste muet. J’ai peur que si je parle, ma voix le trahisse.
Je veux partir. M’enfuir de cette salle, de cet endroit, de ce corps qui réagit sans ma permission.
Mais je ne bouge pas.
Parce qu’une partie de moi attend qu’il dise autre chose. Qu’il fasse autre chose.
Je sens qu’à cet instant, il suffirait d’un pas de plus. D’un mot de trop. Et je serais perdu.
Et peut-être que je n’ai jamais voulu autre chose.
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Scène 3 : Le dossier de trop
Ses doigts cessent de tourner les pages. Le silence revient, plus épais que jamais.
Je me rends compte que je serre toujours ce dossier contre moi. J’ai envie de le jeter par terre, comme si ça pouvait effacer la sensation d’être jugé.
— Vous n’avez vraiment rien à dire?
Sa voix est plus basse qu’avant. Moins assurée.
Je relève les yeux. Nos regards se croisent. Il ne détourne pas le sien cette fois.
Et moi, je sens que je vais exploser.
— Je n’ai rien à dire, non.
Je veux qu’il comprenne que je ne suis pas qu’un nom sur un rapport. Que s’il insiste pour me voir, vraiment, il devra accepter ce qu’il trouvera.
Il ferme le dossier avec lenteur, comme si le moindre geste lui coûtait un effort colossal. Il pose ses deux mains à plat sur la table. Ses phalanges sont légèrement blanchies.
Je me demande s’il se retient.
S’il pense, lui aussi, qu’il suffirait d’un pas de plus.
Son parfum est toujours là, entêtant. Il recouvre tout : la honte, la peur, et cet autre sentiment que je n’ai pas envie de nommer.
— Vous êtes…
Il s’interrompt, pince les lèvres.
— Vous êtes plus que ce que vous prétendez être.
Je cligne des yeux, pris de court. Personne ne m’a jamais dit ça.
Ma gorge se serre. Je déteste la façon dont mon cœur se serre avec elle.
Je voudrais qu’il me laisse tranquille.
Et je voudrais qu’il continue.
Le pire, c’est que je ne sais plus laquelle de ces deux envies est la plus forte.
Je le regarde, sans rien dire. Il fait la même chose. Pendant quelques secondes, on est juste là, face à face, comme deux animaux qui se flairent avant de se sauter dessus.
Et peut-être qu’un jour, ça arrivera.
Mais pas aujourd’hui.
Pas encore.
Il ferme les yeux une fraction de seconde, comme s’il reprenait le contrôle de quelque chose qu’il venait de perdre.
Quand il les rouvre, la distance est revenue dans ses pupilles.
— Vous pouvez disposer.
Sa voix est redevenue neutre.
Je ne bouge pas tout de suite. Mon corps ne m’écoute plus.
Alors je me force à tourner les talons. À franchir la porte.
Et quand elle se referme derrière moi, je sens que j’ai laissé un morceau de moi-même de l’autre côté.
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