Le Brouillard des Âmes

Le vent soufflait doucement sur les voiles du Hakutsuki, caressant la mer comme une main apaisant une bête endormie. Cela faisait trois jours que Rokhan avait quitté ce monde. Trois jours que la mer semblait plus silencieuse, comme si même les vagues portaient son souvenir.

Ce soir-là, Shine nettoyait encore les taches de sang séché sur le pont, tandis que Shuna, silencieuse, observait les étoiles.

C’est alors qu’un goéland blanc se posa sur la rambarde, tenant dans son bec une lettre scellée d’un cachet familier. Wano reconnut aussitôt le symbole : une chope renversée — la marque du vieux barman de l’île d’Argion.

Il prit la lettre avec précaution.

L’écriture tremblante, mais ferme, portait les mots suivants :

> “Mes enfants, tout est prêt.

Venez à moi au Royaume de Wistoria, là où la nuit ne s’éteint jamais.

Le chemin sera long, mais le destin vous attend.

— Le vieux Soar.”

Shine haussa un sourcil.

— « Wistoria ? Je croyais ce royaume détruit après la grande purge. »

— « Les ruines ont survécu, » répondit Wano d’un ton bas. « Et s’il dit que tout est prêt… alors c’est là que notre route doit mener. »

Ils levèrent les voiles vers le nord-est.

Le ciel, cette nuit-là, semblait plus lourd, plus dense. La mer se fit brumeuse, et une nappe de brouillard blanc s’éleva sans prévenir, avalant le Hakutsuki dans un silence spectral.

— « C’est quoi, ce brouillard ? » demanda Shine, sa voix résonnant comme un murmure dans un temple vide.

— « Ce n’est pas naturel… » murmura Shuna, crispée. Ses yeux bandés semblaient pourtant voir au-delà du visible. « Quelque chose nous observe. »

Au cœur de cette brume, une lueur pâle flottait à quelques mètres au-dessus des flots.

Un éclat argenté, palpitant doucement comme un cœur vivant.

Wano s’en approcha, attiré par une force invisible.

Shine tenta de le retenir.

— « Attends, Wano ! Ce n’est peut-être qu’un piège ! »

Mais déjà, sa main touchait la lumière.

Un éclair.

Un cri étouffé.

Puis plus rien.

Le corps de Wano s’effondra sur le pont, inanimé.

Shuna hurla son nom, Shine le retourna précipitamment. Une étrange marque pulsait sur sa poitrine, la même que celle qu’il portait à la naissance — la Marque de Gévaudan —, mais cette fois, elle brillait d’une lueur écarlate.

Pendant quatre jours, il resta inconscient. Le Hakutsuki dérivait, porté par les vents et le courant. Quand enfin Wano rouvrit les yeux, le navire avait déjà accosté sur une plage étrangère.

Un immense continent se dressait devant eux — le Continent Principal, celui que le Roi Tyran avait asservi.

Shuna fut la première à remarquer qu’il respirait.

— « Tu es enfin réveillé… tu nous as fait peur, idiot. »

— « Quatre jours… ? » murmura Wano en se redressant péniblement.

— « Oui. On a cru que tu allais… » Shine s’interrompit, visiblement soulagé.

Wano passa une main sur son front.

— « J’ai vu… des visions. Des éclats de bataille, des cris de dieux, une mer de flammes. Je ne distinguais aucun visage… mais je crois avoir vu la fin du monde. »

Un silence lourd s’installa.

Shuna, pâle, serra son bandeau sur ses yeux.

— « Ce que tu as absorbé… c’était une partie d’un fragment de Gévaudan. »

— « Le monstre maudit qu’Athéna avait créé ? » s’étonna Shine.

— « Oui, » répondit Shuna d’une voix calme. « Et Wano… il en porte la marque. Ce qu’il a vu, ce sont les souvenirs du monstre lui-même. »

— « Tu veux dire… que ces visions sont réelles ? »

— « Plus réelles que nos propres vies. »

Wano serra les poings.

— « Alors cela veut dire que je peux retrouver les autres fragments… et peut-être comprendre la vérité derrière tout ça. »

— « Je le crois, » répondit Shuna doucement. « Mais il faudra être prêt. Chaque fragment porte un poids, un souvenir, une souffrance. »

Shine croisa les bras, son ton se fit grave :

— « Tout ça est bien beau… mais avant la vérité, il y a la réalité. Le continent est sous le joug du Roi Tyran. Si on met les pieds ici, on risque plus que nos vies. »

Wano se leva lentement, le regard fixe, déterminé.

— « Justement. C’est ici que tout commence. »

---

Quelques heures plus tard, ils accostèrent dans un petit port désert, entouré de brumes et de ruines.

Un homme les attendait, adossé à un tonneau. Son manteau usé, ses cheveux grisonnants et son sourire fatigué ne laissaient aucun doute.

— « Alors, tu es revenu, petit prince, » dit le vieux Soar avec un clin d’œil.

Shine écarquilla les yeux.

— « Prince ? Attends, de quoi il parle ? »

Wano resta silencieux quelques secondes, puis se tourna vers eux.

— « Je vous dois la vérité. Ce royaume, Wistoria, est le mien. J’en suis l’héritier déchu. Le Roi Tyran n’a pas seulement volé mon trône… il a détruit tout ce que j’aimais. »

Le vent fit claquer la bannière du Hakutsuki derrière lui.

— « Et toi, Soar, ancien capitaine de la garde royale… tu m’aideras à le renverser. »

Le vieux barman hocha la tête, son regard brillant d’un feu ancien.

— « Pour ton père. Pour le peuple. Et pour l’honneur. »

Shine s’approcha, stupéfait.

— « Alors c’est ça, ta vengeance ? »

Wano serra la garde de son épée, son regard brûlant dans la nuit.

— « Non, Shine. Ce n’est pas une vengeance. C’est une promesse. »

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Dans les ténèbres du brouillard, le destin venait de s’éveiller.

Et la mer, une fois encore, chuchotait le nom du prince déchu : Wano, l’Héritier de Gévaudan.

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