Le ciel était d’un gris pâle quand l’homme qu’ils avaient trouvé sur la plage reprit conscience. Son souffle était rauque, son corps couvert de cicatrices et de plaies mal refermées. Le sel avait brûlé sa peau, et ses lèvres craquelées murmuraient des mots sans suite.
— Il se réveille, chuchota Shuna.
Wano s’approcha et posa une gourde contre ses lèvres. L’homme but lentement, puis tourna la tête, observant tour à tour les trois enfants.
— Où suis-je ? demanda-t-il d’une voix éraillée.
— À bord du Hakutsuki répondit Wano. On vous a trouvé sur la côte sud. Vous alliez mourir.
Un silence s’installa, interrompu seulement par le roulis de la mer.
L’homme se redressa avec peine, et ses yeux fatigués croisèrent ceux de Shuna, encore dissimulés derrière son bandeau.
— Pourquoi m’avoir sauvé ?
— Parce que personne ne mérite de mourir seul, répondit-elle doucement.
Un faible sourire étira ses lèvres.
— Rokhan, dit-il enfin. C’est tout ce que je suis encore.
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Les jours passèrent, rythmés par le chant des vagues et le claquement des voiles. Rokhan resta longtemps muet, observant ces trois enfants à la dérive. Mais quand il retrouva un peu de force, il demanda à Wano de venir sur le pont.
— Tu portes ton sabre comme un poids, dit-il en désignant la lame à la ceinture du garçon.
— C’est juste pour me défendre.
— Mauvaise réponse. Une arme n’est pas un bouclier. C’est un choix. Si tu veux la garder, apprends à la respecter.
À partir de ce jour, l’entraînement commença.
Wano, Shine et Shuna n’avaient que onze ans, mais leur regard brûlait déjà d’une flamme rare. Sous le ciel changeant et la rigueur du maître, ils apprirent à tenir une épée, à lire le vent, à écouter le silence avant un danger.
Rokhan enseignait sans indulgence, mais jamais sans bienveillance.
— La force sans discipline, c’est du chaos, répétait-il. Et le chaos finit toujours par tout détruire.
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Un matin, alors que le soleil perçait la brume, Shine manquait une parade pour la troisième fois. L’épée de bois de Rokhan heurta son épaule avec un bruit sec.
— Tu ne regardes pas ! s’emporta le maître.
— Je ne peux pas ! répliqua le garçon, haletant.
Rokhan le fixa, intrigué. Shine hésita, puis tira le bandeau noir qu’il gardait autour du front. Ses yeux s’ouvrirent lentement. Un éclat rouge en jaillit, profond, brûlant, presque inhumain.
— Les Yeux de l’Absurdité… souffla Rokhan.
— Quand je fixe quelqu’un trop longtemps… il explose.
Le silence tomba, lourd. Rokhan abaissa son arme.
— Alors tu apprendras à combattre sans les ouvrir. À sentir le mouvement, à prévoir l’attaque, à écouter l’air. Une vraie lame n’a pas besoin d’yeux.
Shine hocha la tête, la gorge serrée. Ce jour-là, il comprit la peur d’être fort.
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Quant à Shuna, elle préférait la finesse à la force.
Rokhan lui confia une rapière légère, fine comme un fil d’argent.
À chaque entraînement, ses gestes devenaient plus précis, plus fluides. Elle anticipait chaque coup avant qu’il ne soit porté.
— Comment fais-tu ça ? s’étonna Shine.
— Je vois plusieurs futurs en même temps, répondit-elle calmement.
— Tu veux dire… tous les avenirs possibles ?
— Oui. Et je choisis celui qui nous garde en vie. Mais ça fait mal… parfois je vois nos morts avant qu’elles n’arrivent.
Rokhan posa une main sur son épaule.
— Alors fais de cette douleur une force. Ce don, mal maîtrisé, te détruira. Mais dompté, il fera de toi la plus fine lame du continent.
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Pour Wano, le maître n’eut pas besoin d’enseigner longtemps.
Il se battait avec tout : épées, lances, bâtons, ou même ses poings. Ses réflexes semblaient précéder la pensée.
— Tu n’as pas besoin d’une arme, dit un jour Rokhan, son regard adouci. Toi, tu es né pour diriger.
Le vieil homme leur raconta peu à peu son passé. Il avait été un maître épéiste d’un grand royaume, l’un des cinq qui portaient ce titre. Mais il avait refusé un ordre : celui d’exterminer un village rebelle.
— J’ai préféré fuir que vivre avec le sang des innocents sur les mains. Depuis, je cherche la paix… et je crois que je l’ai trouvée avec vous.
Les enfants restèrent silencieux. Dans leurs cœurs, Rokhan n’était plus un étranger : il était devenu un père.
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Les années passèrent. De onze à quinze ans, ils parcoururent les mers, affrontant tempêtes, bêtes marines et pirates. Sous la tutelle de Rokhan, ils devinrent de véritables combattants.
Mais la paix ne dure jamais.
Un soir, alors que le Lune Blanche approchait d’une île perdue, le ciel s’assombrit. Au loin, des voiles noires fendaient la brume.
— Les pirates… murmura Shine.
— Les mêmes que ceux du village, ajouta Wano.
Rokhan serra le pommeau de son épée.
— Alors, le passé me rattrape enfin.
Le combat fut brutal. Les canons tonnèrent, la mer se teinta de feu.
Rokhan, blessé, se tenait encore debout, son épée ruisselante d’eau et de sang.
— Fuyez ! hurla-t-il. Partez maintenant !
Wano refusa d’abord, mais le vieil homme planta son regard dans le sien, empli d’une tendresse farouche.
— Tu es leur capitaine. Ta place n’est pas ici. Protège-les. Donne un sens à ce que je t’ai appris.
Alors Wano recula, les poings tremblants.
Shuna pleurait en silence. Shine serrait sa rapière, impuissant.
Rokhan se tourna une dernière fois vers eux.
— Un capitaine ne se mesure pas à la force de ses bras… mais à la force de ceux qu’il protège !
Puis il chargea. Seul.
Les flammes embrasèrent la plage. Son épée traça dans la nuit une lumière dorée.
Chaque mouvement était un poème, chaque frappe une leçon. Il abattit des dizaines d’hommes avant qu’une explosion ne fasse trembler l’île entière.
Quand la fumée se dissipa, il ne restait que le silence.
Wano, à genoux sur le pont du Hakutsuki regardait l’horizon.
— Maître…
Il serra les poings, le regard brûlant.
— Je te le promets. Je bâtirai un équipage libre. Un monde sans chaînes ni maîtres.
Le vent se leva, gonflant la voile. La mer semblait murmurer le nom de Rokhan.
Ce soir-là, le ciel pleura des étoiles.
Et dans leurs cœurs naquit un serment éternel
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