Premières impressions

Le lendemain, je me suis surpris à chercher Éric du regard dès que je suis arrivé au lycée.

Comme si mes yeux avaient pris l’habitude de le chercher dans la foule. Et évidemment, je l’ai trouvé. Lui et son groupe étaient déjà là, appuyés contre le mur, en train de rigoler comme si tout tournait autour d’eux.

Ce qui me frappait, c’était leur façon d’occuper l’espace. Les gens passaient, mais pas trop près. Certains lançaient des regards rapides, d’autres faisaient semblant de ne pas les voir. Pourtant, personne ne pouvait vraiment les ignorer. C’était comme une règle silencieuse : eux, ils marquent leur territoire, et toi, tu contournes.

Éric parlait, les autres riaient. Ce n’était pas des blagues incroyables, mais tout le monde riait quand même. Pas par peur, non… mais parce qu’il avait ce truc qui force l’attention. Une voix posée, un sourire calculé, et un regard qui ne laissait rien passer.

J’étais là, à distance, avec mon casque, à observer comme si je regardais un film.

Et la vérité, c’est que ça me dérangeait pas. Parce qu’en les regardant, j’avais l’impression de toucher un peu ce monde que je n’avais jamais eu. Un monde où tu ne subis pas, tu imposes.

Pendant un instant, Éric a tourné la tête. Son regard a balayé la cour et s’est arrêté pile sur moi. Je ne sais pas pourquoi, mais mon cœur a accéléré. J’ai soutenu ses yeux deux secondes, pas plus, avant de détourner.

Peut-être que j’ai rêvé, mais j’ai cru voir un léger sourire en coin. Comme si lui aussi m’avait remarqué.

Je me suis détesté d’avoir détourné. Je me suis senti faible, invisible. Mais en même temps, il y avait cette petite étincelle dans ma poitrine. Comme si, pour la première fois, j’existais dans le regard de quelqu’un d’autre que ma mère ou mes profs.

La journée a continué, cours après cours. Les profs parlaient, je notais deux trois trucs, mais la vérité c’est que j’étais ailleurs. Chaque fois que je levais les yeux, mon regard glissait vers la fenêtre, ou vers le coin de la cour où Éric et les siens passaient leur temps.

À la pause du midi, je me suis assis sur un muret un peu à l’écart. J’ai sorti mon sandwich, posé mes écouteurs, et je les ai observés de loin. Ils avaient cette façon d’être bruyants sans se soucier de rien. Moi, même pour rire trop fort, je regarde autour de moi. Eux, non. Eux, ils agissaient comme si le monde devait s’adapter à eux, pas l’inverse.

Je me suis demandé : et si j’étais à leur place ? Si c’était moi, au centre du cercle, en train de parler, de rire, de décider ? Est-ce que je serais différent ? Est-ce que, pour une fois, je me sentirais vivant ?

Je crois que c’est ce jour-là que j’ai compris : je ne voulais plus seulement être spectateur. Je voulais, d’une façon ou d’une autre, traverser la vitre et entrer dans ce monde. Même si je savais pas encore le prix à payer.

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