La pièce n’avait plus d’air. Quelqu’un avait fermé les rideaux. Les murs se rapprochaient. La lumière de la caméra clignotait en rouge, pointée sur elle comme un viseur. Ellie ne comprenait pas. Pas vraiment. Pas encore. Elle entendait ses propres cris. Mais comme à travers une vitre. Lointains. Déformés. Ils ne semblaient pas venir d’elle. Colton s’était approché. Deux autres garçons le suivaient, les yeux brillants, les rires sales. L’un d’eux avait les mains dans les poches. L’autre ajustait la caméra, concentré, presque pro. Comme s’il tournait un film.
— Regarde-moi, a soufflé Colton. Regarde bien. C’est ta faute.
Elle a secoué la tête, mais ses gestes étaient trop lents. Comme dans l’eau. Le sol tanguait sous elle. La peur l'avait quittée. C'était pire maintenant. C'était... l’abandon. Hailey s’est penchée vers elle. Un sourire figé sur les lèvres.
— Tu pensais que tu étais intouchable, hein ? Tu n'es qu’un petit mythe qu’on va casser en morceaux. Puis, elle a reculé. Elle a pris Séraphina par le bras.
— On te laisse. Amuse-toi bien, Ellie. Elles ont quitté la pièce. La porte s’est refermée. Et là… les garçons sont restés.
Le premier à s’approcher l’a attrapée par les cheveux. Ellie a crié. Pas un cri de rage. Un cri d’animal blessé. Viscéral. Brut. Elle a tenté de se débattre. Ses ongles ont griffé quelque chose. Une main, peut-être. Un visage. Il y a eu un juron. Un coup. Sa joue a claqué contre le matelas. Son oreille sifflait. Les rires ont redoublé. Les caméras tournaient toujours. Un poids s’est abattu sur elle. Puis un autre. Puis d’autres encore. La douleur. La peur. La honte. Tout s’est mélangé. Elle ne savait plus où était le haut, le bas, ni même où était son propre corps. Elle a hurlé. Longtemps. Jusqu’à ce que sa gorge se déchire. Jusqu’à ce que plus rien ne sorte.
Personne n’est venu. Le temps s’est arrêté. Ou peut-être qu’il s’est étiré, comme un cauchemar qu’on ne peut pas quitter. Quand enfin tout s’est calmé, elle était sur le lit. Nue. Sale. Le regard fixé sur le plafond fissuré. Le monde était devenu flou. Lointain. Autour d’elle, ils riaient encore. Un des garçons a sorti un paquet de clopes.
— File-moi une.
— Tiens.
— As-tu filmé le bon angle ?
— Ouais. Elle pleurait bien.
Ils fumaient, détendus. Comme après un match. Comme si elle n’était plus là. Plus qu’un meuble. Un souvenir. Mais elle était là. Encore là. Et c’est à ce moment qu’elle a vu la porte. Mal fermée. Très légèrement. Presque rien. Mais assez pour laisser passer un filet d’air. Et un espoir.
Son regard s’est fixé dessus. Une seule pensée :
Fuir.
Son corps tremblait. Chaque mouvement lui arrachait une douleur vive. Mais elle a bougé. Lentement. Doucement. Un pied à terre. Puis l’autre. Ils ne la regardaient pas. Elle s’est levée. A tenu le mur. Chaque pas était un combat. Puis, elle a couru. Elle ne savait pas comment. Ni par quelle force. Mais elle a couru. Elle a traversé le couloir. Descendu l’escalier en boitant. Sa jambe criait. Son dos hurlait. Son esprit, lui, s’était déconnecté. Il ne restait qu’un instinct : partir. Et quand elle est arrivée au salon… elle a compris. Ils regardaient.
Ils la regardaient.
Elle.
Des images d’elle. Dans cette chambre. Son corps. Sa douleur. Sa honte.Certains riaient. D’autres pointaient du doigt. Un garçon a crié :
— Eh ! Elle se barre ! Rattrapez-la ! Et là, Ellie a couru.
Encore.
Vers la porte. Vers la nuit. Vers n’importe où. Les arbres l’ont engloutie. Les branches déchiraient sa peau. Le vent fouettait son visage. Mais elle courait.
Parce que tout ce qui restait d’elle… c’était ça.
Courir.
Ils l’avaient perdue. Pas longtemps. Mais assez. Ellie courait, son sac battant contre sa hanche, le court souffle, le cœur tambourinant un rythme effréné. Elle s’est traînée jusqu’à un arbre, s’est blottie, recroquevillée, le monde tournant trop vite autour d’elle. Elle ferma les yeux, espérant fuir cette nuit qui la dévorait. Puis tout est revenu. Les cris, les coups, les regards braqués, les caméras qui avaient tout capturé. Les mains, ce poids, le dégoût, l’humiliation, la trahison. Séraphina, Hailey, Colton. Une brûlure sourde, mais ce n’était pas du feu. C’était du poison rampant dans sa poitrine, dans sa gorge, dans son ventre. Elle a vomi. Tout. Jusqu’à n’avoir plus rien à expulser de ce corps trahi. Puis, en silence, elle a pleuré. Des larmes sèches, un cri muet. Et pourtant, elle a attrapé son téléphone. La voix brisée, tremblante comme une lame sur sa peau, elle a appelé sa mère.
— Maman… appelle la police… je vais mourir sinon…
L’angoisse de sa mère dans le combiné, ses questions affolées. Mais avant que l’espoir ne puisse naître, trois silhouettes surgissent, la scellent, la retiennent, leurs regards lourds d’une menace glaciale. Ils avaient vu la vidéo, ils la hantaient avec ça, la tourmentaient à nouveau. Séraphina, vipère venimeuse, arrive alors, déversant ses insultes comme du fiel brûlant.
— Tu pensais pouvoir fuir ? Tu es à nous. Un des hommes murmure, avertissant :
— Séraphina, calme-toi, on est là.
Mais elle s’en fiche, traînant Ellie hors de la forêt, la jetant au milieu de la fête. Tous les regards s’abattent sur elle, affamés, cruels. Un garçon s’approche, moqueur :
— Je peux jouer avec elle un peu ?
Un autre l’arrête, sec :
— Plus tard. Elle reste là pour l’instant.
Ils l’enferment dans une chambre froide, la peur devenant un poids, un silence étouffant, un cri qu’elle n’a plus la force de pousser. Mais Ellie, malgré tout, se promet :
“Je ne vais pas mourir ici.”
“Je ne vais pas leur laisser ça.”
Même brisée, même salie, même trahie, elle allait survivre. Juste pour leur prouver qu’ils ne l’avaient pas tuée.
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