Chapitre 3 — Fractures invisibles

Le quatrième jour débuta comme les précédents : dans le silence.

Pas le silence doux des matins calmes. Non. Celui plus brut, plus pesant, de ceux qui précèdent les tempêtes. Sara s’y était habituée. Elle le portait comme une seconde peau.

Dehors, le ciel était blanc. Ni bleu, ni gris. Juste effacé.

Un genre de lumière terne qui rendait tout flou, sans profondeur.

Comme dans ses souvenirs.

Sara se leva avant l’aube, comme toujours. Elle se lava, s’habilla en noir, attacha ses cheveux, rangea son lit avec une rigueur presque militaire.

Chaque matin ressemblait au précédent. Et c’était mieux ainsi.

Elle sortit sans faire de bruit. Zoey dormait encore.

Elle ronflait doucement, une main sous l’oreiller, un sourire accroché aux lèvres.

Sara la regarda un instant.

Juste un instant.

Et referma la porte.

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La cafétéria était vide à cette heure-là. Quelques étudiants traînaient leurs tasses de café comme des cadavres vivants. Elle choisit une table isolée dans le fond, dos au mur, et s’installa avec une bouteille d’eau. Toujours la même.

Un serveur l’aborda, un plateau dans les mains.

— Vous avez oublié de prendre votre petit-déjeuner. Il est compris dans le forfait résidence.

Sara le regarda sans un mot.

Il sourit, mal à l’aise, et déposa quand même le plateau : œufs brouillés, toasts, confiture, yaourt.

Elle n’y toucha pas.

Elle se contenta de fixer la vapeur qui s’élevait du café noir.

Tout était trop chaud, trop vivant pour elle à cette heure-là.

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À huit heures, elle était déjà installée en salle 103 pour son séminaire de droit pénal international.

La salle était presque pleine. Les étudiants prenaient place avec nervosité. C’était le cours du professeur Lane. Une légende à Harvard. Redouté autant qu’admiré.

Sara ne l’écoutait pas vraiment. Elle savait déjà tout ce qu’il allait dire.

Elle avait lu chacun de ses livres. Elle les avait démontés, analysés, critiqués dans son propre carnet.

Mais elle prenait quand même des notes. Par réflexe. Par stratégie. Pour ne pas se faire remarquer.

Le cours dura deux heures. À la fin, le professeur fit un appel :

— Valdez ? Sara Valdez ?

Elle leva la main, sans un mot.

Il lui adressa un sourire pincé.

— Je voudrais vous voir dans mon bureau. Demain. 10h30. Rien d’alarmant.

Elle hocha simplement la tête.

Autour d’elle, les regards se tournèrent.

Pourquoi elle ?

Sara l’avait vu venir. Les professeurs aimaient sonder les élèves silencieux. Les cerveaux brillants qui ne cherchaient pas la lumière.

Elle allait devoir improviser. Et ça, elle savait faire.

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De retour dans sa chambre, elle découvrit Zoey assise en tailleur sur son lit, une assiette sur les genoux, en train de manger une omelette.

— Hey ! Tu veux goûter ? C’est mon copain qui l’a préparée ce matin. Il a dormi chez moi cette nuit. Une tuerie. Sérieux, il cuisine comme un dieu.

Sara secoua la tête.

— Non merci. J’ai mangé.

Zoey leva les yeux au ciel.

— T’es trop mystérieuse. T’es genre… un roman fermé avec un cadenas et une alarme laser.

Sara haussa les épaules.

— Y’a rien d’intéressant à lire.

Zoey rit.

— C’est ce que les personnages profonds disent toujours. T’as pas un secret genre… tu bosses pour la CIA ?

Sara faillit sourire. Elle détourna le regard.

— J’étais juste dans la police. En France.

Zoey la fixa, bouche ouverte.

— Attends… quoi ?

Sara laissa tomber son sac sur le lit.

— C’est rien. Une erreur de parcours.

— Mais… t’avais quel âge ?!

— Quinze ans quand j’ai quitté l’Espagne. Dix-sept quand j’ai démissionné.

Zoey la fixa, l’air abasourdie.

— Wow. Ok. Bon, bah, je retire tout ce que j’ai dit. Moi à dix-sept ans, je faisais des TikToks débiles avec des filtres de chiens. Toi, tu menottais des trafiquants ?

— Parfois.

Zoey éclata de rire.

— Je t’adore. Tu le sais ça ? Tu me fascines.

Sara soupira doucement. Fasciner n’était jamais une bonne chose.

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Plus tard dans la journée, elle retourna à la bibliothèque.

Elle voulait du calme. De la distance. Un écran entre elle et le monde.

Mais ce jour-là, elle ne trouva pas sa place habituelle. Quelqu’un y était déjà installé : un garçon blond, mal rasé, les écouteurs dans les oreilles, entouré de feuilles volantes.

Elle hésita. Puis bifurqua.

Elle s’enfonça dans les rayons de médecine légale et choisit un volume épais sur les lésions intracrâniennes post-traumatiques.

Pas pour le lire. Pour s’asseoir derrière, hors de portée des regards.

Elle ouvrit le livre et laissa ses pensées dériver.

L’image de la rose noire revint.

Le message.

La menace.

Elle ne savait pas s’ils la suivaient. Mais elle sentait leur souffle.

La France n’était plus sûre.

L’Espagne… n’en parlons pas.

Et ici, aux États-Unis, même avec ses précautions, elle n’était jamais tranquille.

Quelqu’un savait.

Quelqu’un jouait avec elle.

Mais ce qu’ils avaient oublié, c’est qu’elle n’était plus une victime.

Plus maintenant.

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Le soir venu, elle rentra. La chambre était vide. Zoey avait laissé un mot :

> “Je dors chez lui ce soir ❤️ Je reviens demain. Tu veux que je te ramène des cookies ? PS : il a parlé de toi. Il te trouve… intense. 😏”

Sara froissa le papier.

Le jeta dans la corbeille.

Là où allaient les tentatives d’amitié.

Elle sortit son carnet. Écrivit.

> Jour 4.

On commence à parler de moi.

Mauvais signe.

Et en dessous :

> Je suis une fracture ambulante. Invisible. Mais prête à casser.

Elle rangea son carnet. Ferma les yeux.

Le sommeil ne vint pas.

Mais l’alerte, elle, ne l’avait jamais quittée.

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