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Point de vue extérieur

Aux États-Unis, dans la demeure familiale des Clark

Autour de la longue table en acajou patiné par les années, les membres de la famille Clark étaient rassemblés, engoncés dans un silence funèbre. La lumière tamisée des lustres en cristal projetait des ombres tremblotantes sur leurs visages fermés, comme si l’éclat même de la pièce refusait de percer leur chagrin. Au centre de ce tableau figé, une jeune femme se tenait affaissée, les épaules voûtées sous le poids d’une douleur insondable. Entre ses doigts pâles et noueux, un mouchoir en lin, jadis immaculé, était maintenant froissé, trempé de larmes amères. Ses yeux, habituellement vifs et pétillants d’intelligence, étaient désormais deux mares troubles, noyées sous un déluge ininterrompu.

Il n’y avait que quelques heures à peine, son rire résonnait encore dans ces murs. Mais un appel téléphonique, brutal et froid, avait réduit son monde en cendres. La voix monocorde d’un policier lui avait appris que son frère cadet, Jason, avait péri dans un accident de voiture, fauché en pleine jeunesse. Les mots s’étaient enfoncés en elle comme des lames, déchirant sa réalité avec une cruauté chirurgicale. Un choc frontal… mort sur le coup. La phrase tournait en boucle dans son crâne, chaque syllabe ravivant la brûlure atroce qui lui rongeait les entrailles.

Mon Dieu… Sa voix n’était plus qu’un souffle rauque, brisé par les sanglots qui lui secouaient la poitrine. Les larmes coulaient sans retenue, chaudes et salées, traçant des sillons luisants sur ses joues hagardes. Chaque goutte emportait avec elle un fragment de son âme, laissant derrière elle un vide glacial. Son regard, autrefois si expressif, était maintenant vitreux, reflétant l’abysse de son désarroi.

Quatre heures. Quatre heures depuis que le sol s’était dérobé sous ses pieds. Quatre heures que le temps s’était figé dans une suspension étouffante, tandis que le reste du monde continuait, indifférent. Jason n’était plus. Son frère, son complice, celui qui avait toujours su la ramener à la raison d’un sourire moqueur… Il était parti, emportant avec lui une part d’elle-même.

Pourtant, autour d’elle, l’atmosphère était étrangement… normale. Trop normale. Les autres membres de la famille échangeaient des regards calculés, des murmures feutrés. Aucune larme, aucun tremblement. Seuls Lewis, le meilleur ami de Jason, et elle semblaient véritablement submergés par le deuil. Les autres, eux, paraissaient déjà engager un débat bien différent.

- Est-ce que je suis la seule à être choquée que Jason se soit marié sans en informer personne ? La voix aigre de sa demi-sœur, Victoria, trancha comme une lame dans l’air épais.

Natalia releva la tête, ses yeux injectés de sang reflétant une colère sourde.

- Est-ce vraiment le moment d’aborder ce sujet ? Sa voix tremblait, mais cette fois, ce n’était plus seulement de chagrin. Il est mort. Mort, Victoria. Et toi, tout ce qui t’importe, c’est son statut marital ?

Un silence tendu s’installa, brisé par Clara, l’aînée des Clark, dont la froideur calculatrice contrastait violemment avec la détresse de Natalia.

- Je comprends ta douleur, Natalia, mais nous devons considérer les implications légales. Si la presse découvre ce mariage secret, les conséquences pourraient être désastreuses pour la réputation de la famille.

Cameron, le frère cadet, opina d’un air grave.

- Clara a raison. Nous devons gérer cette situation avec prudence. Il faut que les détails concernant ce mariage restent confidentiels… du moins jusqu’à ce que nous ayons rencontré cette femme. Son regard se posa sur Natalia. L’as-tu contactée ?

Natalia serra les poings, ses ongles s’enfonçant dans sa paume.

- Oui. Le mot lui brûla la gorge. Elle… elle ne savait pas. Quand je lui ai annoncé la mort de Jason, elle a cru à une erreur. Elle a raccroché. J’ai dû lui envoyer une preuve… Sa voix se brisa. - Elle était dévastée.

Lewis, jusqu’alors silencieux, émit un grognement incrédule.

- Ça n’a aucun sens. Jason ne se serait jamais marié sans m’en parler. Surtout pas sans en parler à Natalia.

- Les documents ne mentent pas, Lewis, rétorqua Cameron en désignant le dossier étalé sur la table. Il s’est bel et bien marié. Et pire encore… Il marqua une pause, laissant planer un silence lourd de sous entendus.

Clara prit le relais, les lèvres pincées.

- Il lui a tout légué. La maison. L’entreprise. Tout.

Natalia sentit une vague de fureur subite l’envahir. Elle se leva d’un coup, faisant trembler la vaisselle sur la table.

- Tu as consulté le notaire ? Son regard était maintenant brûlant d’accusation. - Il n’est même pas encore en terre, et tu fouilles déjà dans ses affaires ?

Clara ne broncha pas, mais ses doigts se resserrèrent autour du verre de vin qu’elle tenait, au point que ses jointures blanchirent. - Arrête de jouer les saintes nitouches. Tu sais très bien que si cette femme hérite de tout, nous sommes ruinés.

- Et alors ? Natalia ricana, un son sans joie. - Jason a fait son choix. Qui sommes-nous pour le remettre en question ?

- Des Clark, répliqua Cameron d’une voix sourde. Et cette fortune est celle de notre famille, pas celle d’une inconnue.

Un silence glacial s’abattit sur la pièce. Natalia les dévisagea un à un, réalisant avec horreur que, pour eux, le véritable drame n’était pas la mort de Jason… mais la menace que représentait son héritage.

Et dans son cœur déchiré, une certitude s’imposa : la bataille ne faisait que commencer.

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