Le soleil d’après-midi écrasait la rue principale de Bouaké quand Fansso franchit la porte de la petite maison d’édition locale, L’Étoile d’Afrique. Ses mains tremblaient légèrement en tenant une enveloppe épaisse contenant son tout premier recueil de planches. C’était un mélange d’histoires courtes, parfois sombres, toujours intenses, dessinées avec une rage et une sincérité brûlante.
Dans la salle d’attente, une vieille femme à l’air sévère, habillée d’un pagne coloré, feuilletait un magazine. Fansso s’assit, le cœur battant, les yeux fixés sur la porte.
Un homme à la quarantaine, l’air pressé et les lunettes sur le nez, ouvrit la porte du bureau et appela :
« Louo ? Entrez, s’il vous plaît. »
Fansso se leva et traversa la pièce. L’éditeur, Monsieur Kéita, posa le recueil sur son bureau et l’ouvrit. Il parcourut les pages sans un mot, ses yeux fatigués lisant chaque trait, chaque bulle.
« Hum... » fit-il enfin, relevant la tête. « Ton style est... particulier. Très sombre, très... brut. Ce n’est pas ce que nous cherchons. »
Fansso sentit son espoir s’effriter. « Mais c’est mon univers. Je veux montrer la réalité, même si elle est dure. »
Monsieur Kéita soupira. « Ici, on publie des histoires qui vendent. Des histoires légères, optimistes. Ton travail, c’est un mur pour beaucoup. C’est difficile à accepter. »
Le rejet fut un coup de poing. Fansso quitta la maison d’édition avec le cœur lourd, serrant son recueil comme un talisman.
Dans les jours qui suivirent, il envoya ses travaux à plusieurs autres éditeurs, chacun renvoyant la même réponse polie mais ferme : « Nous ne pensons pas que votre style trouvera un public. »
À l’école, les remarques désobligeantes reprirent de plus belle. « T’es un rêveur inutile. Tu devrais arrêter, Fansso. »
Une nuit, assis sur le toit de la maison familiale, Fansso regarda les étoiles, cherchant une réponse. « Pourquoi personne ne voit ce que je veux dire ? »
Il attrapa son cahier, griffonna frénétiquement, laissant la colère et la frustration guider ses crayons. Chaque page devint un cri silencieux.
Mais malgré les refus et les moqueries, il refusa de plier. La graine du mangaka était plantée. Et même si la terre était aride, il allait se battre pour qu’elle pousse.
Après son énième refus, Fansso se retrouva un soir dans la petite pièce où il passait la plupart de son temps : son atelier improvisé. Le mur était couvert de feuilles, d’esquisses et de notes griffonnées au crayon.
Il repensa à cette lettre d’un éditeur parisien, polie mais tranchante : « Votre style est trop radical pour le marché actuel. Trop sombre, trop brut. Peut-être qu’avec plus d’expérience... »
Il froissa la lettre, puis la lança dans la poubelle, son regard brûlant de rage.
Le téléphone vibra. C’était un message de Nnenna :
"Ne lâche pas, Fansso. Le chemin est dur, mais ta voix compte."
Il soupira, surpris par la douceur de ces mots. Elle était la seule à croire en lui, la seule lumière dans cet océan d’obscurité.
Les jours suivants, Fansso tenta de revoir son travail, de l’adoucir, de changer les traits, de rendre les personnages moins « monstrueux ». Mais à chaque fois, il sentait qu’il trahissait ce qu’il voulait vraiment raconter.
Un matin, à l’école, il eut une violente dispute avec son professeur d’arts plastiques, qui lui reprochait son style « nihiliste ».
« Tu devrais dessiner des choses plus belles, plus joyeuses ! » lança la professeure, rouge de colère.
« Et cacher la vérité ? » répliqua Fansso, la voix tremblante. « Je veux montrer ce que personne n’ose dire. »
La tension monta, et Fansso quitta la salle en claquant la porte, sous les regards moqueurs de ses camarades.
Cette même semaine, un groupe de jeunes détruisit une partie de ses dessins affichés dans un petit café local où il avait accepté d'exposer. Il retrouva les feuilles déchirées et piétinées sur le sol. Son cœur se serra.
Mais cette épreuve lui donna une résolution nouvelle. Il décida de continuer, non pas malgré les critiques, mais à cause d'elles. Son art serait son cri, sa rébellion.
Une nuit d'orage, il resta éveillé, la fenêtre grande ouverte, le vent fouettant les rideaux, et la pluie martelant le toit. Il dessina sans relâche, créant une série de planches plus noires, plus violentes, plus sincères.
Ce fut le début d'un style qu'il n'abandonnerait plus jamais.
Les semaines suivantes, Fansso et Awa tissèrent un lien solide. Elle écrivait des articles, organisait des rencontres informelles, et peu à peu, le nom de Fansso Louo circulait dans les cercles d'artistes et de jeunes lecteurs.
Pourtant, à Bouaké, les critiques ne cessaient pas. Certains voisins le regardaient encore avec méfiance, d'autres le traitaient d'étrange ou de fou.
Un soir, alors qu'il rentrait chez lui, une bande de jeunes l'interpella dans une ruelle. Ils riaient, moqueurs.
« Ton style, c'est quoi ? Du cauchemar pour gamins ? »
Fansso resta calme, le cœur battant. Il répondit avec fermeté :
« C'est la vérité que vous refusez de voir. »
Les jeunes le poussèrent, mais il ne recula pas.
Ce moment fut un basculement. Fansso comprit que son combat ne serait pas seulement artistique, mais aussi social.
La nuit enveloppait Bouaké dans un voile d’obscurité paisible, seulement troublée par le bruissement des feuilles et le chant lointain des grillons. Sur le toit de la maison familiale, Fansso était assis, les jambes repliées contre sa poitrine, un carnet à la main. Le ciel étoilé s’étendait au-dessus de lui, infini et silencieux, comme un miroir de ses pensées tourmentées.
Il sentait la fraîcheur du vent sur sa peau, mais à l’intérieur, une tempête faisait rage. Depuis plusieurs semaines, les refus s’étaient accumulés, chaque lettre renvoyée était un coup au moral, chaque critique un poids supplémentaire dans son sac déjà trop lourd.
Dans la lumière blafarde d’une vieille lampe solaire posée à ses côtés, il feuilleta doucement ses dessins. Des visages tordus, des corps fracturés, des ombres qui semblaient sortir d’un cauchemar. Son art, brut et sans concession, reflétait ce qu’il ressentait au plus profond : la douleur, la colère, la solitude.
Il repensa au visage de Monsieur Kéita, l’éditeur de Bouaké, dont le regard s’était arrêté, sans compréhension, sur ses pages. « Trop sombre... Pas de place pour ça ici. » Ces mots lui revenaient en boucle, comme un écho cruel.
« Pourquoi ils ne comprennent pas ? » murmura-t-il à voix basse.
Il serra le carnet contre sa poitrine. Pour lui, chaque dessin était un cri, un morceau de vérité qu’il refusait d’enterrer.
Le souvenir de Nnenna fit naître un léger sourire sur ses lèvres. Elle, avec sa lumière douce et sa foi inébranlable en lui, avait été la première à voir au-delà des traits sombres. « Tu dois tenir, Fansso. Ta voix est nécessaire. »
Et puis il y avait Awa, la journaliste venue d’Abidjan, qui lui avait tendu une main amicale dans cet univers de rejets. Leur rencontre avait été une bouffée d’oxygène, mais même elle ne pouvait pas effacer la solitude qui l’étreignait parfois.
Il regarda au loin, vers les lumières scintillantes de la ville. Ce mélange de promesses et de défis. Puis son regard se posa sur les toiles déchirées et les carnets abîmés posés près de lui. Il se souvint de la soirée tragique où un incendie avait ravagé une partie de la maison, détruisant une grande partie de ses dessins.
La douleur de cette perte lui serra le cœur comme un étau.
Il posa ses mains sur les pages calcinées, les effleura doucement.
« Tout ça... c’était mon passé, mes combats, mes rêves... » souffla-t-il, la voix brisée.
Mais malgré la désolation, une flamme brûlait encore en lui. Une promesse silencieuse : Ce n’est pas la fin. C’est le début.
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