les cernes sont un mode de vie

Hanae claqua la porte de l’appartement avec le peu d’énergie qu’il lui restait.

— Haneul, je suis morte. Je t’écris depuis l’au-delà. Dis à ma mère que je l’aimais, grogna-t-elle en laissant tomber son sac dans l’entrée.

Elle glissa lentement le long du mur, comme une actrice de K-drama exagérant sa fin tragique. Ses jambes ne la portaient plus. Ses pensées flottaient encore quelque part entre une palette de blushs et un regard glacial.

Une voix lui répondit depuis le salon, feutrée, désabusée :

— Si t’es morte, t’es une morte bien maquillée.

Haneul, jambes croisées sur le canapé, portait un masque en tissu à la pastèque et tenait une tasse fumante entre ses doigts manucurés. Elle leva les yeux, l’air amusé et à peine surprise par le spectacle d’Hanae en mode épave humaine.

— Raconte. C’était comment, ton baptême du feu chez les BG ?

Hanae poussa un long soupir dramatique, en retirant péniblement ses chaussures comme si elles pesaient une tonne.

— T’as déjà vu un troupeau de mannequins, torse nu, se plaindre que leur fond de teint est trop "jaune olive sous lumière froide" ? Voilà. Mon cerveau a crashé trois fois en une heure. Trois fois. Et j’ai redémarré en mode avion.

Haneul grimaça avec compassion, avant de prendre une gorgée de son thé.

— Oh non, pas les sous-tons. Le fléau de notre génération. T’es revenue vivante, c’est tout ce qui compte.

— À moitié vivante. Et y’avait lui…

Un silence. Juste ce mot-là. Lui.

Haneul tourna la tête, radar activé.

— …lui ? Attends, attends, attends. Rewind. Qui ça, "lui" ? dit-elle, se redressant d’un coup comme si elle avait entendu une alarme.

— Un danseur. Jahyeon.

Silencieux, genre... t’as envie de lui demander l’heure et tu sens que tu viens de violer un pacte mystique. Il m’a regardée comme si j’étais une bande-annonce en 144p. Genre "bof, je vois rien mais je suis quand même intrigué".

Haneul éclata de rire.

— Donc t’as craqué ?

— Non ! Enfin… non. Il est froid. Il parle pas. Il est… intense. Mais je sais pas. Y’a un truc bizarre chez lui. J’arrive pas à poser les mots. C’est pas comme les autres. Il a une sorte d’énergie…

— Traduction : "son aura me hante", déclara Haneul en l’imitant avec une main sur le cœur et des yeux mi-clos.

— Haneul… tais-toi, gémit Hanae en lui lançant un coussin.

Elle se releva et marcha vers la salle de bain, cherchant un peu de répit dans la vapeur d’une douche chaude. En retirant son pull, elle découvrit une légère trace beige sur la manche. Une empreinte de fond de teint qu’elle avait utilisée pour corriger une imperfection sur le visage d’un membre du groupe.

Elle se figea. C’était celle de Jahyeon. Elle se souvenait encore de la sensation étrange d’appliquer la poudre sur sa peau, du frisson silencieux qui avait traversé l’air entre eux. Ce n’était qu’un geste professionnel. Et pourtant…

Un sourire, presque imperceptible, se dessina sur ses lèvres. Elle secoua la tête, amusée par sa propre bêtise.

Dans sa chambre, son téléphone vibra sur le bureau. Une notification. Numéro inconnu.

> Tu as bien survécu à ta première journée ? Si tu veux, demain je te montre où on cache les snacks dans la salle technique. – J.S. 🧃

Elle resta figée. Son cœur battit légèrement plus fort.

J.S…?

Joonseo.

Un petit sourire s’étira sur ses lèvres, cette fois sans résistance.

Deux messages. Deux noms. Deux hommes.

L’un, glacial comme une mer d’hiver, l’autre, espiègle comme une canette de soda secouée.

Et elle, là, au milieu, déjà dépassée.

Elle attrapa son oreiller et l’enfonça sur son visage.

— …Mais qu’est-ce qui m’arrive aujourd’hui, marmonna-t-elle d’une voix étouffée.