Chapitre 2

Lundi matin.

Le ciel était d'un gris uniforme, et une fine pluie tombait sans interruption depuis l'aube, imprégnant l'air d'une odeur de terre humide.

Je traversai les couloirs du lycée d'un pas rapide, le sac pesant sur mon épaule, espérant atteindre la salle d'art avant que la masse bruyante d'élèves ne m'engloutisse.

La salle était déjà à moitié pleine. Les odeurs familières de peinture séchée, de bois et de poussière flottaient dans l'air.

Je m'installai dans un coin, sortant machinalement mon carnet de croquis.

La professeure, une femme énergique à la chevelure rousse éparse, entra à son tour en claquant des mains.

- Aujourd'hui, annonça-t-elle joyeusement, nous commençons un projet en groupe !

Un gémissement collectif monta dans la salle.

Je sentis mon estomac se contracter.

Un projet en groupe. Ce n'était pas prévu.

Interagir, dépendre d'autres personnes... Cela rendait les choses plus risquées, plus compliquées.

- Vous serez par binôme. Le sujet est simple : "Le lien invisible." Vous devrez créer une œuvre qui représente une connexion humaine, quelle qu'elle soit.

Elle balaya la salle du regard, puis sortit une feuille d'une pochette.

- J'ai fait les groupes moi-même pour varier un peu les profils.

Par réflexe, je me fis toute petite, espérant passer inaperçue.

- Mia... tu seras avec Jay.

Un frisson parcourut mon échine.

Je levai timidement les yeux.

À quelques tables de là, Jay me regardait déjà avec son éternel demi-sourire. Il me fit un petit signe de la main avant de se lever, son sac sur l'épaule.

Il vint s'asseoir à côté de moi comme si c'était la chose la plus naturelle du monde.

- Le destin, souffla-t-il d'un ton faussement dramatique.

Je ne pus m'empêcher de sourire.

- Ou une punition, murmurai-je.

Il éclata d'un rire sincère, attirant quelques regards autour de nous.

La professeure nous distribua une fiche avec les consignes.

Jay la parcourut rapidement, puis me regarda.

- "Lien invisible", hein ? T'as une idée ?

Je hochai la tête négativement.

En vérité, j'avais déjà une dizaine d'idées.

Mais leur partager revenait à m'exposer.

Et je n'étais pas prête. Pas encore.

Jay sembla le comprendre. Il ne me pressa pas.

- On pourrait faire un truc avec des fils, proposa-t-il. Genre des silhouettes reliées par des fils rouges, tu vois ?

Je haussai un sourcil, intriguée.

- Le fil rouge du destin ?

Il parut surpris.

- Ouais, exactement ! Tu connais ?

Je haussai les épaules.

- Un peu.

- C'est une légende asiatique, je crois. Deux personnes destinées à se rencontrer sont reliées par un fil rouge invisible...

Sa voix ralentit, et il me regarda d'un air plus sérieux.

- J'aime bien l'idée. Pas toi ?

Je sentis une chaleur étrange se répandre dans ma poitrine.

Le fil rouge du destin.

Relier deux âmes, même à distance. Même sans qu'elles le sachent.

Peut-être que c'était une belle façon de parler de ce que je vivais, de ce que je perdais.

- D'accord, dis-je doucement. On fait ça.

Jay eut un sourire éclatant.

- Team rouge, alors !

Nous passâmes l'heure à esquisser des idées sur une grande feuille, griffonnant des silhouettes, des cœurs, des chemins entremêlés.

Parfois, nos doigts se frôlaient sur le papier, et à chaque contact, un frisson nerveux me parcourait.

Je sentais ses regards sur moi, légers mais persistants.

Pas intrusifs.

Juste... attentifs.

Pour la première fois, je me surpris à vouloir rester là.

À vouloir prolonger cet instant absurde et précieux.

Le lien invisible.

Il était peut-être déjà en train de se tisser.

Même si je savais qu'un jour, ce lien se briserait brutalement.

Que je partirais, laissant derrière moi des souvenirs, rien de plus.

Mais pour aujourd'hui, juste aujourd'hui, j'avais envie d'y croire.

À ce fil rouge tendu entre deux âmes perdues.

À cette normalité volée.

À ce garçon qui, sans le savoir, avait déjà commencé à entrer dans mon monde.

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Le lendemain, après l'école, alors que je pensais que ma journée était finie et que je pourrais enfin me retirer dans mon petit monde silencieux, Jay me surprit en me rattrapant dans les couloirs.

- T'as un moment ce soir ? demanda-t-il avec un sourire malicieux.

Je le regardai, un peu prise au dépourvu.

- Pour... ?

Il leva les yeux au ciel comme si la réponse était évidente.

- Viens voir mon entraînement de basket. Je te préviens, je suis une star. Si tu veux pas être éblouie, mieux vaut rester loin.

J'eus un petit rire, un peu nerveux. Je n'étais pas du genre à traîner dans les endroits bondés, et un terrain de basket était rarement calme. Mais je ne pouvais pas dire non à un sourire comme le sien.

- D'accord, je suppose. Je passerai juste... observer.

Il hocha la tête avec enthousiasme.

- Parfait ! Viens vers cinq heures. Mon coach va adorer que tu sois là. Et fais pas de bruit, il aime bien faire des discours motivants avant chaque match. C'est un vrai showman.

Je me demandais si c'était une bonne idée. Un moment où je me retrouvais entourée de garçons qui m'étaient totalement étrangers. Mais, d'une manière ou d'une autre, l'idée de passer un peu plus de temps avec Jay, même dans un cadre bruyant et sportif, me donnait un étrange frisson d'excitation.

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Le gymnase était bondé de bruit et d'énergie.

Je me tenais au bord du terrain, les bras croisés, observant Jay et les autres joueurs s'échauffer. Ils se donnaient à fond, échangeant des passes, courant en tout sens, tandis que leur coach, un homme à la carrure imposante, hurlait des instructions avec un enthousiasme presque comique.

Jay avait pris la place de meneur, comme je m'y attendais. Il se mouvait avec cette aisance fluide, ses gestes marqués par l'habitude, l'adrénaline et la confiance.

Je me sentais presque en dehors de ce monde, comme si j'étais une spectatrice de quelque chose que je ne comprenais pas totalement. Mais Jay... Il avait cette énergie brute, ce charisme qui attirait forcément l'attention.

J'étais tellement absorbée par sa façon de jouer qu'une voix familière me fit sursauter.

- Eh, Jay, t'as fini de faire ton Don Juan, oui ?

Je tournai la tête, surprise, et vis un des autres joueurs - un grand type à l'air taquin - qui s'adressait directement à Jay avec un sourire moqueur.

Son coach, un homme aux cheveux grisonnants et à l'apparence imposante, s'avançait avec une expression faussement sévère. Il s'arrêta juste en face de Jay, les mains sur les hanches.

- T'as fini de draguer la spectatrice, ou on peut commencer l'entraînement, là ?

La salle se tut un instant, et tous les yeux se tournèrent vers eux. Jay rougit légèrement sous la taquinerie, mais il garda son sourire. Il haussait les épaules, comme si ça n'avait pas d'importance, mais je sentais qu'il était un peu gêné. Un léger malaise flottait autour de lui.

- T'inquiète, coach, je me concentre sur le jeu, répondit-il avec un clin d'œil, avant de jeter un regard furtif dans ma direction.

Je ne savais pas si je devais sourire ou m'enfoncer dans ma propre peau pour éviter qu'ils ne m'observent. Mais Jay, comme toujours, parvint à me faire sentir un peu plus... normale. Comme si je n'étais qu'une spectatrice parmi tant d'autres.

- Eh bien, j'espère pour toi, dit le coach en secouant la tête, ou tu vas voir ma méthode de motivation. Et ça, crois-moi, c'est pas beau à voir.

Jay leva les mains en signe de capitulation.

- Promis, coach, je suis là. Laisse-moi juste faire un dernier échauffement avec... Mia.

Il se tourna vers moi, ce sourire brillant de défi et de complicité.

Je ne savais pas pourquoi, mais entendre mon prénom prononcé avec autant d'assurance m'étonna. C'était comme s'il voulait me faire participer, comme s'il me faisait entrer dans son monde. Un monde bruyant, rapide, où il brillait et où je n'avais pas l'habitude de me trouver.

Je lui souris, un peu maladroitement.

Il me fit un petit clin d'œil avant de s'élancer vers le terrain.

Je le suivis des yeux, le cœur battant un peu plus vite. Je savais que je ne devais pas m'attacher.

Mais avec lui, tout semblait plus simple. Même si, au fond, je savais que cette normalité n'était qu'une illusion.

La séance continua, entre rires et encouragements, et je me retrouvai à applaudir presque sans m'en rendre compte chaque fois que Jay marquait un panier. Il semblait indétrônable, presque magique. Comme une évidence.

Quand l'entraînement se termina, le coach lança un dernier regard à Jay.

- Alors, tu viens de perdre ton rôle de Don Juan, ou tu vas continuer à faire la star ?

Jay lui répondit, toujours avec son sourire décontracté, mais cette fois, il s'approcha de moi, l'air un peu plus sérieusement concentré.

- T'as vu ça ? me dit-il en riant. Il n'arrête jamais de me charrier.

- Et toi, tu n'arrêtes pas de sourire à chaque fois qu'il le fait, répliquai-je.

Jay haussait les épaules comme si ça n'avait aucune importance.

- C'est mon rôle. Et, de toute façon, ça m'amuse.

Il me lança un regard complice, avant de se tourner à nouveau vers ses coéquipiers.

- Bon, je vais me changer. Tu m'attends ?

Je hochai la tête, en observant les autres joueurs qui commençaient à se rassembler autour de leur coach pour discuter du match à venir.

Je ne savais pas ce qui était en train de se passer entre Jay et moi, mais une chose était certaine : à chaque minute passée à ses côtés, les barrières que je m'étais imposées s'effritaient un peu plus.

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