Deux jours s'étaient écoulés depuis ce départ abrupt : silence radio total, aucun message ni même un appel... rien ! La lettre restait posée sur la table comme un fantôme qui hantait l’appartement. Lenny ne pouvait se résoudre à l’ouvrir ; il savait qu'elle contenait des mots d'amour et des supplications pour qu'il le pardonne. Et cela le terrifiait. Il connaissait trop bien sa propre faiblesse face aux paroles réconfortantes de Ron. Ce dernier avait trop d'emprise sur son cœur.
Que faire alors de ce morceau de papier ? Le jeter ? Non ! Le brûler pourrait lui apporter la paix... ou peut-être tout simplement le laisser là, en espérant qu’il disparaîtrait comme par magie ?
– Ouvre-la, lui conseilla simplement sa sœur. Tu ne sauras jamais ce qu'il y a dedans si tu ne la lis pas.
Finalement, une semaine après le départ de Ron, poussé par les adresses insistantes d’Éliane, Lenny finit par céder et déplia la lettre. À sa grande surprise, le contenu ne correspondait pas du tout à ses attentes. Dire qu'il avait été déçu serait un euphémisme. La lettre était courte et dépouillée : « Contacte-moi quand tu auras envie de parler. J’attendrai. »
Un mélange d’émotions l'envahit. Ron ne lui demandait ni pardon ni ne le suppliait de revenir. Non, il lui faisait simplement comprendre qu’il allait l'attendre. Il semblait s'attendre à ce que Lenny fasse le premier pas, et au fond, il le savait. Il savait pertinemment que cela finirait par être le cas. Cela avait toujours été ainsi entre eux.
À cet instant, Lenny se sentait au bord de la rupture. L’homme était à deux doigts de céder, d'accepter cette invitation, car Ron lui manquait terriblement. C’était la première fois qu’ils passaient autant de temps séparés depuis le début de leur relation. Avait-il vraiment été judicieux de demander une pause ? Combien de temps une pause devait-elle durer ? Des jours, des mois, des années ? Lenny n’en avait aucune idée ; c’était la première fois qu’il se retrouvait dans une situation pareille. Et s’ils finissaient par se séparer définitivement ? Cette pensée le terrifiait véritablement.
Éliane était envahie par une tristesse profonde, une colère sourde qui bouillonnait en elle, principalement dirigée contre Ron, ce vaurien. Voir son bien-aimé frère se détruire ainsi, sans pouvoir l'aider, la rongeait. Jamais elle ne l'avait vu aussi esseulé, aussi brisé. La détresse marquait son visage, chaque trait exprimant des tourments qu'elle ne savait comment apaiser. Elle avait toujours su que, comme tout un chacun, son frère finirait par connaître une peine de cœur, une déception amoureuse, mais pas à son âge, et certainement pas de manière aussi brutale. Ce qu’il vivait à ce moment était un véritable cauchemar, et elle ne l’aurait souhaité à personne, pas même à son pire ennemi.
Elle espérait de tout cœur qu'il parviendrait à oublier et à avancer, même si Éliane en doutait fortement. Lenny aimait Ron trop intensément pour pouvoir « tourner la page » comme on le dit si facilement. Au fond d’elle, elle savait qu’il lui serait impossible de vivre sans lui, et elle redoutait le moment où ils se retrouveraient face à face.
Pourtant, elle souhaitait qu'ils ne se remettent jamais ensemble, même si cette idée lui semblait presque irréaliste. L'amour que son frère éprouvait pour Ron le faisait vaciller, et Éliane détestait l'idée de voir son frère souffrir encore. Elle aurait voulu le protéger, le mettre à l'abri de cette douleur insupportable. Et c’est à ce moment-là qu’une idée germa dans son esprit : son frère avait besoin de s’éloigner, ne serait-ce qu’un peu, de la ville. Peut-être même du pays. Il le fallait, après tout, pour qu’il puisse tourner la page et oublier ce connard. Ce lâche, cet immonde dégénéré, ce salaud sans scrupules qui avait joué avec son cœur comme un gamin avec un jouet cassé ! Quel raté !
— Et si tu prenais des vacances ? proposa Éliane, avec un soupçon d’hésitation. Ça te ferait du bien.
L’idée était séduisante. Lenny n’avait pas eu de véritable pause depuis… eh bien, jamais. Il était trop occupé pour se permettre un tel luxe. Sortir de cet appartement, quitter cette existence monotone et douloureuse, rien que d’y penser lui relevait un peu le moral.
— Tu n’auras rien à gérer, c’est moi qui m’occupe de tout, lui assura sa sœur avec un enthousiasme contagieux après qu'il eut murmuré qu'il allait réfléchir à la proposition.
— J’ai dit que j’allais y réfléchir, pas que j’allais y aller.
— C’est déjà décidé, tu y vas, que ça te plaise ou non.
À cette réponse, Lenny roula des yeux tandis qu'une légère esquisse de sourire se dessina sur ses lèvres. Sa sœur avait ce talent incroyable pour raviver son moral et lui redonner goût à la vie — quelque chose qu’elle faisait depuis toujours. Elle avait été celle qui avait toujours été là quand tout le monde avait pris ses distances, même leur père, qui lui avait un jour claqué la porte au visage en le traitant de « sale pédé. »
— Il faut que tu sortes un peu, s'exclama-t-elle en observant son frère au regard hagard. Tu as l'air d'un mort-vivant à rester enfermé dans cet appartement, ajouta-t-elle avec insistance.
— Que nenni ! Je suis simplement naturellement pâle, répliqua Lenny.
— Naturellement pâle, mon œil. Aucun de tes élèves ne te reconnaîtrait si tu te baladais comme ça dans la rue !
Tous deux éclatèrent de rire et, bien qu'il hésitât, Lenny finit par céder à sa sœur. Une petite escapade hors de la ville ne ferait pas de mal. Il lui avait même confié sa carte de crédit pour qu’elle puisse s’occuper des détails de leurs vacances, qu’ils planifiaient pour deux semaines plus tard. Il avait encore du travail à terminer, un travail qu’il avait complètement ignoré pendant ces quelques jours, enfermé dans sa mélancolie suite à sa petite dispute avec Ron.
Lenny Maciej Nowak était professeur de danse, l’un des rares enseignants que tout le monde rêvait d’avoir. Son charisme sur scène et son talent avaient fait de lui une figure prisée des élèves. Surnommé "le génie" dans le milieu, il était l'un des plus grands danseurs classiques de sa génération. À trente ans, après avoir atteint l'apogée de sa carrière, il avait décidé de se retirer des concours pour se consacrer à l’enseignement, transmettant son art aux générations futures.
Il avait d'abord commencé sa carrière au sein d'une prestigieuse école de ballet, reconnue pour son excellence. Là-bas, il affûtait ses compétences dans une ambiance stimulante, entouré d'artistes passionnés et d'enseignants de renom. Cependant, son ambition ne s'était pas arrêtée là. Fort de ses expériences et de son savoir-faire, il décida de donner vie à son rêve : créer sa propre école de ballet, à la hauteur de ses aspirations.
Ainsi, il ouvrit son propre établissement, un lieu où la passion de la danse se mêlait à l'exigence artistique. Très vite, la renommée de son école grandit, attirant des élèves venus des quatre coins du pays. Les cours affichaient complets et sa méthode d'enseignement — alliant rigueur et bienveillance — produisait des résultats remarquables. Les jeunes danseurs s'épanouissaient sous ses yeux, captivés par sa vision et son enthousiasme contagieux.
Chaque spectacle qu'ils présentaient était un véritable triomphe. Sous la lumière des projecteurs, les talents émergents brillaient, faisant peu à peu de son école un incontournable du monde de la danse. Ce n'était pas seulement une école ; c'était un foyer pour tous ceux qui aspiraient à l'art du ballet. Et Dieu qu'il regrettait d'avoir abandonné ses élèves si longtemps en raison d'une stupide peine de cœur.
Anneliese, son assistante, devait être furieuse. S'être évaporée pendant une semaine sans donner de nouvelles, c’était inacceptable. Elle devait certainement être partie dans une colère noire. Lenny savait qu’il avait un peu perdu son professionnalisme en disparaissant, mais il se disait qu’au moins, même s'il avait temporairement failli à ses obligations, elle resterait fidèle aux siennes.
L'Allemande était une personne dévouée, sérieuse et travailleuse. Parmi les trois assistantes qu'il avait recrutées au fil des ans, elle était de loin la plus talentueuse. Elle avait seulement vingt-huit ans, mais son ambition et sa détermination étaient impressionnantes. Le destin avait pourtant joué un tour cruel : un accident de moto avec son petit ami l'avait laissée marquée, l'obligeant à abandonner son rêve de danse. C'est ainsi qu'elle s'était retrouvée aux côtés de Lenny. Au fil du temps, une vraie amitié s'était tissée entre eux, malgré leur différence d'âge.
Un lundi, deux semaines après la tragédie qui l'avait touché, Lenny retourna enfin au travail. Et comme il l'avait anticipé, Anneliese lui avait fait passer un véritable savon. Sa capacité à intimider les autres, même les élèves, était presque légendaire.
— Tu aurais dû m'appeler, Lenny. Je serais venue.
Après avoir entendu toute l'histoire, Anneliese était sur le point de laisser tomber quelques larmes. Elle comprenait la douleur de son ami, ayant déjà vécu quelque chose de similaire. Son ancien petit ami, un véritable salaud, l'avait trahie et l'avait laissée seule après son accident.
— Das Arschloch ! murmura-t-elle entre ses dents, laissant échapper sa colère pour celui qu’elle ne pouvait s’empêcher de considérer comme un trou du cul.
Elle avait toujours eu en travers de la gorge l’ex-petit ami de Lenny, le connard qui l’avait trompé au moment où tout aurait dû être parfait. Une fois, elle l’avait surpris en compagnie d'une autre femme — un moment qu’elle avait pris soin de garder secret.
— Comme je te l'ai dit, Anny, ma sœur veut m'organiser un petit voyage. Juste pour me vider la tête, pour ne plus penser à ce "trou du cul" comme tu l'as si bien dit.
À cette remarque, Anneliese, que l’on appelle affectueusement Anny, sentit ses joues s’enflammer. Elle avait murmuré son insulte en pensant que Lenny ne comprendrait pas l’allemand ; elle s’était trompée.
— Je suis désolée, vraiment, je n’aurais pas dû dire ça, s'excusa-t-elle promptement en réalisant que son patron comprenait mieux l’allemand qu’elle ne le pensait. C’était déplacé de ma part.
— Ne t'inquiète pas, Anny. Ron est vraiment un "Das Arschloch". Un connard infidèle, fit Lenny avec un faible rire. Tu as le droit de le dire ; après tout, tu n'es pas juste une employée pour moi ; tu es ma meilleure amie.
Les mots de Lenny apportèrent un soulagement à Anny et la joie de se savoir sincèrement considérée comme une amie.
— Je m’occuperai de tes élèves comme des trésors précieux, lui promit-elle avec sérieux, mais un sourire malicieux dans les yeux. Prépare-toi, ils vont en baver sous ma surveillance !
Elle ajouta avec un clin d'œil :
— Et surtout, n’oublie pas de prendre du temps pour toi et de te reposer, mon Shooting Star.
Lenny, malgré la trahison qui pesait sur son cœur, réalisait à quel point il était chanceux d’avoir sa sœur et Anneliese dans sa vie. Avec une légèreté nouvelle dans son cœur, il rejoignit ses élèves qui l’accueillirent avec une joie débordante à son retour.
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