...Chapitre 3 – La maison vide...
La chambre de Nji sentait encore la poussière et la craie, mêlées à une odeur de bois humide et de savon rance. Les volets mal ajustés laissaient entrer une lumière pâle, découpant la pièce en bandes d’ombre et de clarté. Aminatou resta longtemps sur le seuil, hésitant à franchir la limite invisible qui séparait le présent du passé.
Chaque objet semblait l’observer, figé dans le temps : une pile de livres cornés, une paire de sandales abandonnée, un cahier entrouvert sur la table, un petit trophée de football recouvert d’une fine pellicule de poussière. Le vent glissait à travers la fenêtre mal fermée, faisant bruisser les feuilles de papier, comme si la chambre respirait encore.
Je n’étais pas là quand il est parti…
Ses pensées tournaient, douloureuses, mêlées de regrets et de culpabilité. Elle avança enfin, posant la main sur le lit défait. Le drap froissé avait conservé une légère odeur de lessive bon marché et de parfum discret, celui que Nji mettait parfois avant de partir courir le matin. Elle inspira, les yeux fermés, comme pour retenir un fragment de lui.
Sur la table, le cahier entrouvert attira son regard. Les pages étaient couvertes de notes rapides, certaines griffonnées dans l’urgence. Entre deux phrases, un dessin grossier : un cercle, brisé par une ligne sinueuse, qu’elle ne comprenait pas. Elle fronça les sourcils.
— Qu’est-ce que tu essayais de dire, Nji ? murmura-t-elle.
Elle tourna la page. D’autres symboles apparaissaient, semblables à des vagues qui se rejoignaient au centre. Et, en marge, une phrase répétée plusieurs fois, comme une incantation :
« Écouter, c’est se souvenir. »
Aminatou sentit un frisson lui parcourir l’échine. Elle posa le cahier, mais la phrase continuait de résonner dans son esprit.
Un bruit discret la fit sursauter. La bassine posée dans un coin vibrait, alors qu’aucune goutte n’y tombait. L’eau s’agitait d’elle-même, formant de petits cercles qui s’élargissaient. Aminatou recula, le cœur battant.
Et alors, une voix… ou plutôt un chuchotement, indistinct mais insistant, glissa dans la pièce :
« Tu ne devais pas oublier… »
Ses mains tremblaient. Elle se retourna, mais la porte était vide. Seule.
Souvenirs en fragments
Elle s’agenouilla et effleura la surface de l’eau dans la bassine.
Des images éclatèrent dans son esprit : des rires d’enfance, des courses dans les champs, Nji appelant son prénom depuis le vieux manguier, un ballon de football volant entre eux. Puis un autre souvenir, plus subtil : Nji lui montrant un symbole dessiné sur un carnet, disant « Quand tu sauras lire les signes, tu comprendras ».
Et soudain, tout s’éteignit brutalement, comme une lampe soufflée. Le cœur d’Aminatou se serra. Elle rouvrit les yeux : la bassine était redevenue immobile.
Elle regarda de nouveau le cahier. Les notes étaient toujours là, les symboles aussi. Mais quelque chose avait disparu. Une sensation, un détail qui lui semblait familier… Elle ne saurait dire quoi.
...Mabo – l’apparition...
Un bruit de pas derrière elle la fit sursauter.
— Aminatou ?
Mabo se tenait dans l’encadrement de la porte, le visage blême, les yeux écarquillés.
— Tu… tu as vu ça, toi aussi ? demanda-t-il d’une voix basse.
— Vu quoi ? répondit-elle, sur la défensive.
— L’eau… les mains… les visages… un instant… j’ai cru voir Nji…
Aminatou se figea. Les yeux de Mabo brillaient d’une peur mêlée d’émerveillement.
— Tu rêves, souffla-t-elle, mais sa voix trahissait sa propre incertitude.
Mabo s’approcha, posant une main sur le bord du lit.
— Ce n’est pas un rêve. Il y a quelque chose… ici. Quelque chose que nous ne comprenons pas.
Le silence tomba, seulement brisé par le bruissement des feuilles et le léger clapotis de l’eau dans la bassine.
Le premier oubli
Elle retourna vers le cahier, mais son regard glissa sur une page qu’elle aurait juré avoir lue la veille. Elle parcourut les notes, le dessin, le cercle brisé… mais aucun mot ne lui sembla familier. Aucun nom, aucun souvenir précis.
Elle aurait dû se souvenir de quelque chose… mais c’était comme si la mémoire lui avait été arrachée.
Je me rappelle de… je me rappelle de… quoi déjà ? murmura-t-elle.
Mabo la regarda avec inquiétude, mais elle ne voulut pas admettre sa peur. Elle referma le cahier avec douceur, comme pour contenir le trouble.
...Le malaise grandissant...
Les objets dans la chambre semblaient bouger imperceptiblement. Les pages du cahier, le drap sur le lit, la bassine… tout vibrait légèrement comme si un souffle invisible passait entre eux. Aminatou se pencha sur le lit, essayant de rassembler ses souvenirs. Mais chaque effort pour se concentrer créait un flou supplémentaire.
— Je… je ne comprends pas, dit-elle à voix basse.
— Personne ne comprend, répondit Mabo. Nous sommes juste… témoins.
Leurs yeux se croisèrent. Le lien entre eux deux était fragile, mais réel. Pourtant, la chambre semblait aspirer toute sécurité, toute logique. Une ombre passa sur le mur, et pour un instant, Aminatou crut voir une silhouette connue : Nji, silencieux, immobile, lui tendant la main. Puis plus rien.
Les murmures
Le vent souffla à travers la fenêtre, et des mots indistincts glissèrent dans l’air :
« Écoute… comprends… ne fuis pas… »
Aminatou frissonna.
Elle savait que la chambre, la maison, le village tout entier, portait encore les traces de son frère et des secrets qu’il avait emportés. Chaque objet, chaque bruit, chaque reflet d’eau devenait un écho, un murmure qu’elle devait déchiffrer pour avancer.
Elle inspira profondément, reprenant son courage. Le cahier sous le bras, elle quitta la chambre, sentant que quelque chose avait changé. Une pièce de mémoire venait de disparaître, mais elle n’aurait su dire quoi.
> ||La poussière du sol.||
||L’odeur de savon.||
||Le cahier ouvert.||
||Nji… ou pas…||
Le monde autour d’elle semblait glisser, imperceptiblement. La boucle avait commencé, et avec elle, la première trace d’oubli.
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