Prologue

Ce n’est pas la lumière qui l’éblouit. C’est le vide derrière ses paupières.

Le rideau est tombé. Les cris se sont tus.

Pas tout à fait. Ils résonnent encore, mais loin. Comme une mémoire en boucle.

Saphir avance, un pied après l’autre, comme s’il traversait l’eau.

— “Saphir ! Par ici, s’il te plaît !”

Des flashs. Des sourires. Il sourit aussi. Bien sûr qu’il sourit. Il le faut.

On l’accompagne en coulisse. Il fait un signe de la main, presque mécanique.

— “C’était génial, mec ! Tu les as retournés !”

Il entend sans écouter. On le tape sur l’épaule. On le félicite. Il hoche la tête.

Mais son cœur tape trop fort. Et pas au bon rythme.

Il entre dans sa loge. Il retire son blouson trempé de sueur. Sa main tremble.

Il ne sait pas si c’est l’adrénaline… ou autre chose.

Il s’assoit. Ou plutôt, il s’effondre doucement sur le canapé. Il essaie de respirer.

Un souffle. Encore un. Respire. Respire, putain.

Mais l’air ne vient pas. Sa poitrine est serrée. Sa gorge est bloquée.

Son regard floute les lumières autour. Il a chaud. Trop chaud. Il retire ses bracelets. Il dégrafe un bouton. Rien ne change.

Quelqu’un entre.

— “Saphir ?”

Il n’a pas le temps de répondre.

Son corps lâche.

Tout devient noir.

Il a ouvert les yeux. Et le monde s’est mis à peser à nouveau.

Un plafond blanc. Une lumière agressive.

Et ce bruit, là, ce bip régulier, comme un rappel qu’il est encore là. Encore en vie.

Saphir fixe le plafond comme s’il cherchait à percer un trou dedans. Il voudrait juste… disparaître.

La porte s’ouvre.

Son manager entre. Il a ce sourire de circonstance, déjà agacé de devoir faire un détour à l’hôpital.

— “Tu vas bien ?”

— “Ouais, ça va.”

Mensonge.

Mais personne ne cherche plus loin.

— “On organise une petite fête. Tes fans sont en ébullition, ça va leur faire plaisir de te voir sourire. Juste un petit moment, rien de trop.”

Saphir hoche la tête. Il ne dit pas non.

Il ne peut pas. S’il dit non, il est égoïste. Capricieux. Faible.

S’il dit non, il reste seul.

Alors il sourit.

Il se lève.

Il rentre chez lui, il se change, et il sourit. Devant les caméras. Devant les autres. Devant les gens qui l’aiment… mais pas assez pour voir.

⸻

Les jours passent.

Il écrit. Une chanson.

Les mots lui viennent naturellement. Trop naturellement.

« J’ai crié en silence, j’ai tendu la main, mais personne n’a vu. »

Il la laisse sur la table du studio. Il sait que quelqu’un la verra.

Mais non.

— “C’est un premier jet ?”

— “Hâte de voir ce que tu vas en faire, mon gars, ça sent le chef-d’œuvre.”

Chef-d’œuvre.

Mais personne ne voit le vide entre les lignes.

Il laisse d’autres indices. Il parle de repos. Il parle de se “retirer pour un temps”.

Et tout le monde sourit.

— “Reviens-nous vite ! Tes fans t’attendent.”

Mais personne ne vient. Personne ne frappe à la porte. Personne ne lui dit : « T’as besoin de moi ? »

Alors il part.

Un endroit isolé. Un ranch loin de tout.

Il reste là. Deux jours. Trois. Peut-être plus.

Il regarde son téléphone. Rien.

Pas un appel. Pas un message. Pas une seule tentative.

Il est debout un bout de papier et un stylo à la main.

Il écrit un dernier mot, très court.

« Désolé. J’ai attendu. »

Et il saute.

...****************...

C’était un soir comme les autres.

Sky venait de sortir de ses cours, le sac en vrac sur l’épaule, les écouteurs dans les oreilles.

Il y avait ce froid, ce vent, ce quotidien qu’il connaissait trop.

Et puis, la notification.

« Saphir, star mondiale, retrouvé sans vie. »

Sky s’arrête net.

Il relit.

Il rerelit.

Non.

Pas lui.

Pas lui.

Il tremble. Son téléphone glisse presque de ses mains.

« Pourquoi ? »

Il rentre en courant. Il claque la porte. Il s’effondre sur le sol de sa chambre.

Son cœur bat à une vitesse démente, mais rien ne sort. Pas un cri. Pas une larme. Juste ce vide.

Des vidéos défilent. Des hommages. Des extraits de ses chansons.

Et cette dernière publication, ce dernier morceau… les paroles résonnent autrement maintenant.

« J’ai tendu la main, mais personne n’a vu. »

Sky, lui, a vu. Trop tard.

Il murmure :

— “J’aurais voulu… juste… que tu sois heureux.”

Il serre les draps, la gorge nouée.

— “Si je pouvais… si je pouvais juste te sauver. Une seule fois. Te montrer que t’as compté. Même si moi, je suis personne. Juste un fan paumé.”

Il ferme les yeux.

Et le monde chavire.

⸻

Silence.

Une sensation étrange. Comme si son corps flottait.

Et puis… le froid du sol.

Il se redresse brusquement.

— “C’est quoi ce délire ?”

Pas sa chambre. Pas son lit. Un couloir… blanc, lumineux, immense.

Des cintres. Des vêtements. Des tenues de scène.

Il regarde ses mains. Ce ne sont pas ses mains.

Un miroir. Il se précipite vers lui.

Un autre visage.

Quelqu’un entre. Une styliste. Elle le regarde en fronçant les sourcils.

— “T’es encore là ? Dépêche, Saphir va arriver dans cinq minutes.”

Il ne comprend rien. Il avance. Il marche, titube presque.

Chaque pas le rapproche d’une scène de vie qu’il ne connaît pas.

Et puis, il le voit.

Saphir.

Vivant.

Époustouflant.

Magnifique.

Il le regarde, un peu agacé.

— “Ma chemise a un trou. Tu peux la réparer ou t’es juste là pour décorer les cintres ?”

Sky ne sait pas quoi répondre.

Il ouvre la bouche, mais aucun son ne sort.

Il tremble.

Il le regarde, juste… le regarde.

Saphir lève un sourcil.

— “Tu vas bien ? T’as l’air d’avoir vu un fantôme.”

Non. Il venait de voir un miracle.

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