Le portail s’ouvrit dans un bruissement métallique, lent, presque cérémoniel, comme si même les murs de la propriété savaient que ce jour marquait l’arrivée d’une nouvelle proie.
Naelia regarda le manoir Dervan, immense bâtisse de pierre grise et de fenêtres noires, aussi glaciale que celui qu’elle devait désormais appeler époux.
La voiture s’arrêta. Ezran descendit sans un mot, sans un regard. Il ne lui ouvrit pas la portière. Il marcha, droit, sans se retourner, jusqu’à l’entrée.
Naelia descendit seule, la robe de mariée toujours sur elle, froissée par les heures passées. Le soleil se couchait. Un vent sec balayait la cour. Elle frissonna.
— Madame Dervan, souffla un majordome austère en l’accueillant. La chambre vous attend.
Pas madame Ezran. Pas madame Liora. Pas Naelia. Juste un titre vide. Une étiquette collée sur une porte fermée.
Elle suivit l’homme à travers les couloirs silencieux du manoir. Les tableaux la fixaient, les parquets craquaient sous ses pas, et l’air sentait la cire froide et les secrets étouffés.
La chambre était grande. Trop grande. Meublée avec soin mais sans chaleur. Des draps immaculés. Une armoire fermée à clé. Pas de photos. Pas de fleurs. Juste le néant.
— Monsieur Dervan dort dans l’aile est. Vous n’aurez pas à partager sa chambre, annonça sèchement le majordome avant de refermer la porte derrière elle.
Elle resta là. Debout. Seule. Dans sa robe trop serrée. Dans son cauchemar trop réel.
Elle s’assit lentement sur le lit. Puis s’allongea. Fixant le plafond.
Ce n’était pas sa maison. Ce n’était pas sa chambre. Ce n’était pas sa vie.
Mais c’était désormais sa cage.
⸻
Le lendemain, elle se leva tôt. Par réflexe. Sa mère lui avait appris à se lever à l’aube. Mais sa mère n’était plus là. Juste un fantôme dans sa mémoire.
Elle trouva une salle de bain attenante. L’eau était glaciale. Elle se lava sans un bruit. Mit une robe simple trouvée posée sur un cintre, sans doute choisie par Diane.
Elle descendit. Les domestiques la regardèrent avec une gêne polie. Personne ne lui souriait. Personne ne lui disait bonjour. Elle n’était pas attendue.
Dans la salle à manger, Ezran lisait le journal. Déjà impeccable, vêtu de noir. Il ne leva même pas les yeux quand elle entra.
Elle s’assit en face.
Le silence s’étira.
Puis, il parla, enfin.
— J’ai demandé à ce qu’on t’aménage une routine. Tu verras les dames de la fondation deux fois par semaine. Tu accompagneras ma mère aux événements mondains quand elle l’exige. Et tu apprendras à tenir ton rôle.
Naelia hocha la tête.
— Bien.
Il leva les yeux, surpris.
— Tu as décidé de jouer à la parfaite épouse ?
— Je ne joue à rien, répondit-elle simplement.
Il referma le journal.
— Tu es intelligente. Trop calme pour être honnête. Méfie-toi, Liora. Je ne suis pas du genre à me faire duper longtemps.
Elle croisa son regard.
— Et moi, je ne suis pas du genre à supplier.
Un silence glacé suivit. Il se leva sans finir son café.
— Je t’ai dit ce qu’il y avait à savoir. Et ne viens pas traîner dans mon aile. C’est une règle. Tu restes à ta place.
Il sortit.
Elle resta seule. Encore.
Mais cette fois, quelque chose avait changé.
Elle n’avait pas tremblé. Elle n’avait pas pleuré. Elle n’avait pas fui.
Elle avait regardé Ezran droit dans les yeux. Elle avait existé.
⸻
Ce soir-là, elle se promena dans le jardin à la tombée du jour. La maison Dervan était immense, mais les murs semblaient se resserrer dès que l’on restait trop longtemps au même endroit.
Sous un arbre, elle trouva un banc. Elle s’y assit. Écarta les pans de sa robe. Ferma les yeux.
Elle pensa à sa mère. À ses rêves. À cette vie qu’on lui avait volée.
Mais une idée, petite, douce, presque incongrue, germa dans son esprit.
Peut-être qu’ici, dans cette maison de silence, elle pouvait devenir autre chose.
Pas Naelia, la fille cachée.
Pas Liora, la poupée imposée.
Mais quelque chose entre les deux. Quelque chose d’indomptable.
Elle rouvrit les yeux. Un léger sourire au coin des lèvres.
Ce n’était que le premier jour.
Mais c’était aussi le premier pas.
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