AVA

– J’espère que tu te rends compte de la bonne amie que je suis et que tu m’apprécies à ma juste valeur, me dit Jules en bâillant, alors qu’on traverse notre jardin en direction de la maison de Josh. Je me suis quand même réveillée à l’aube pour aider ton frère à tout nettoyer et tout emballer, alors que je ne l’apprécie même pas, ce mec.

Je m’esclaffe et passe mon bras sous le sien.

– Je te paie un moka au caramel au Morning Roast après. Promis.

– Ouais, ouais. (Elle marque une pause.) Avec topping ?

– Évidemment.

– Bien. (Nouveau bâillement.) Alors ça en vaut la peine.

Jules et Josh ne sont pas fans l’un de l’autre. J’ai toujours trouvé ça étrange, vu qu’ils se ressemblent beaucoup. Ils sont tous les deux extravertis, charmants, intelligents en diable et de vrais bourreaux des cœurs.

Jules est la version humaine de Jessica Rabbit, tout en cheveux roux brillants, peau de lait, et des courbes qui me donnent envie, quand je les compare aux miennes, de pousser un soupir. Dans l’ensemble, je suis contente de mon physique, mais en tant que membre du Comité des Tout-Petits-Nénés, j’aurais bien aimé gagner un ou deux bonnets sans avoir à recourir à la chirurgie plastique. Ironiquement, Jules se plaint parfois de son bonnet E, au motif que son dos en pâtit. Il devrait y avoir un PayPal pour les seins, qui permettrait aux femmes d’échanger leurs tailles de bonnets en un seul clic.

Comme je l’ai dit, je suis satisfaite de mon physique la plupart du temps, mais tout le monde, y compris les top models ou les stars de cinéma, a ses complexes.

En dehors de ses griefs envers ses seins, Jules est la personne de ma connaissance la plus sûre d’elle – à part mon frère, dont l’ego est si énorme qu’il pourrait abriter toute la côte Est des États-Unis, avec encore de la place pour le Texas. Bon, sans doute qu’il a raison, étant donné qu’il a toujours été un golden-boy, et si mal que ça me fasse de l’admettre parce que c’est mon frère, il n’est pas mal, au fond. Un mètre quatre-vingt-cinq, avec d’épais cheveux noirs et une structure osseuse taillée à la serpe, il ne laisse jamais personne oublier sa beaugossitude. Je suis convaincu que Josh commanderait une sculpture de lui-même et la planterait sur sa pelouse s’il le pouvait.

Jules et Josh ne m’ont jamais révélé pourquoi ils se hérissent autant le poil, toutefois j’ai mon petit doute : peut-être qu’ils se reconnaissent trop l’un dans l’autre.

La porte d’entrée étant déjà ouverte, on ne prend pas la peine de frapper.

À ma grande surprise, la maison est assez propre. Josh a mis la plupart de ses affaires au garde-meuble la semaine passée, et il ne reste plus qu’à emballer le canapé (quelqu’un viendra l’emporter plus tard), quelques articles de cuisine épars et la peinture abstraite bizarre qui trône au salon.

– Josh ?

Ma voix résonne dans le grand espace vide, tandis que Jules s’assied au sol et ramène les genoux contre sa poitrine avec une expression grincheuse. Pour le cas où vous ne l’auriez pas deviné, elle n’est pas du matin.

– Josh, où tu es ?

– Chambre à coucher !

Un coup assourdi retentit à l’étage après cette réponse, suivi d’un juron étouffé. Une minute plus tard, Josh descend, chargé d’un gros carton.

– Des trucs que je vais donner, explique-t-il en le posant sur le comptoir de la cuisine.

Je fronce le nez.

– Mets un tee-shirt. S’il te plaît.

– Et priver JR de son petit plaisir matinal ? rétorque-t-il, tout sourire. Je ne suis pas cruel à ce point.

Je ne suis pas la seule à trouver que Jules ressemble à Jessica Rabbit. Josh l’appelle systématiquement par les initiales du personnage de dessin animé, ce qui énerve mon amie au plus haut point. Mais encore une fois, tout ce que fait Josh l’irrite à mort, donc…

Jules relève la tête et se renfrogne.

– Oh, je t’en prie. J’ai vu de plus beaux abdos à la salle de sport du campus. Écoute ta sœur et enfile un tee-shirt avant que mon dîner d’hier soir ne remonte.

– Mon Dieu, m’est avis que la dame proteste trop, ironise Josh en tapant du plat de la main sur ses tablettes de chocolat. La seule chose qui pourrait remonter…

J’agite les bras en l’air, coupant court à la conversation avant qu’elle ne prenne une tournure qui risquerait de me traumatiser à vie.

– OK. Assez bavardé. Finissons tes bagages avant que tu rates ton vol.

Par chance, Josh et Jules se comportent bien pendant l’heure et demie qui suit, qu’on passe à emballer les objets restants et à les charger dans le SUV qu’il a loué pour le déménagement.

Bientôt ne reste plus à emballer que le tableau.

– Dis-moi que tu vas donner ce truc aussi, dis-je en avisant l’énorme toile. Je ne sais même pas comment elle tiendrait dans la voiture.

– Non, laisse-la ici. Il l’aime bien.

– Qui ça ?

Pour autant que je sache, personne n’a encore repris le bail de Josh. Mais on est en juillet et je ne doute pas qu’il sera bientôt pris d’assaut, avec l’approche du début de semestre.

– Tu verras.

Je n’aime pas le sourire qui vient d’apparaître sur le visage de mon frère. Pas du tout.

Le vrombissement d’un puissant moteur emplit la pièce.

Et le sourire de Josh s’élargit.

– En fait, tu vas voir tout de suite.

Jules et moi, on échange un regard avant de courir vers la porte d’entrée et de la pousser.

Une Aston Martin que je connais bien s’engage lentement dans l’allée. La portière s’ouvre et Alex en sort, plus beau qu’il n’est permis à un être humain, dans la panoplie jean, lunettes de soleil et chemise noire aux manches retroussées.

Il enlève ses Aviator et nous jauge d’un regard froid, pas plus impressionné que ça par le comité d’accueil que nous formons sur le perron.

Sauf que je ne suis pas d’humeur particulièrement accueillante.

– Mais… mais c’est Alex, je balbutie.

– Et trèèèèèès sexy, avec ça, ajoute Jules.

Elle m’assène un coup de coude dans les côtes, à quoi je réponds par un froncement de sourcils. Qui se soucie de savoir s’il est sexy ? C’est un con.

Josh va taper dans la main de son ami.

– Salut, mec. Où sont tes affaires ?

– L’entreprise de déménagement apportera tout plus tard.

Alex jette un regard de travers à Jules qui le reluque comme on le ferait avec un jouet flambant neuf. À part Josh, Alex est le seul gars qui n’a jamais succombé à ses charmes, ce qui a le don de l’intriguer au plus haut point. Elle adore les défis, probablement parce que la plupart des gars tombent à ses pieds avant même qu’elle n’ait à ouvrir la bouche.

– Minute. (Je lève la main, mon cœur battant soudain à un rythme affolé contre ma cage thoracique.) Entreprise de démé… Non, tu n’emménages pas ici.

Josh passe un bras par-dessus mon épaule, les yeux pétillant de malice.

– En fait, si. Je te présente ton nouveau voisin, petite sœur.

Mes yeux se mettent à jouer au ping-pong entre lui et Alex, que la conversation semble ennuyer au plus haut point.

– Non.

Il n’y a qu’une seule raison pour qu’Alex Volkov quitte son luxueux penthouse de Washington DC pour revenir à Hazelburg, et je pourrais parier mon nouvel appareil photo que ça n’a rien à voir avec la nostalgie de ses années universitaires.

– Non, non, non, non, non.

– Si, si, si, si, si.

Je lance un regard furieux à mon frère.

– Je n’ai pas besoin d’une baby-sitter. J’ai vingt-deux ans.

– Qui a parlé de baby-sitting ? réplique mon frère en haussant les épaules. Il s’occupe de la maison. Je réaménage à mon retour, l’année prochaine, donc c’est logique.

– Arrête tes conneries. Tu veux qu’il garde un œil sur moi.

Le visage de Josh s’adoucit.

– Ça, c’est un bonus. Ça ne fait pas de mal d’avoir quelqu’un sur qui tu peux compter quand je ne suis pas là, surtout vu toute cette histoire avec Liam.

Je grimace à la mention de mon ex. Liam fait exploser mon téléphone depuis que je l’ai surpris en train de me tromper, un mois et demi plus tôt. Il s’est même pointé à la galerie où je travaille de temps en temps, pour me supplier de lui accorder une seconde chance. Je ne suis pas dévastée par notre rupture, on n’est sortis ensemble que quelques mois et je n’étais pas amoureuse de lui ou quoi que ce soit, mais la situation a fait remonter toutes mes insécurités à la surface. Josh s’inquiète que Liam perde tout contrôle, mais soyons honnêtes, Liam s’habille en Brooks Brother, joue au polo et est héritier d’un fonds de placement. Je doute qu’il fasse quoi que ce soit qui risque de décoiffer ses cheveux parfaitement gominés.

Je suis plus embarrassée d’être sortie avec lui que préoccupée par ma sécurité physique.

Je me débarrasse du bras de Josh en haussant une épaule.

– Je peux me débrouiller toute seule. Appelle la compagnie de déménagement et annule, j’ajoute à l’intention d’Alex, qui scrolle sur son téléphone sans plus nous prêter la moindre attention. Tu n’as pas besoin d’emménager ici. Tu n’as pas… des trucs à faire à DC ?

– DC est à vingt minutes en voiture, réplique-t-il sans lever les yeux.

– Pour info, je suis totalement d’accord pour que tu emménages à côté de chez moi, intervient Jules. (Traîtresse.) Est-ce que tu tonds la pelouse torse nu ? Sinon je te le recommande fortement.

Alex et Josh froncent les sourcils en même temps.

– Toi, lance Josh en la pointant du doigt, ne t’avise pas de venir ici faire tes manigances pendant que je suis absent.

– C’est mignon comme tu penses avoir ton mot à dire sur ma vie.

– Je me fous de ce que tu fais de ta vie. C’est quand tu entraînes Ava dans tes plans foireux que je m’inquiète.

– Flash info : tu n’as pas ton mot à dire concernant la vie d’Ava non plus. C’est une personne indépendante.

– C’est ma sœur…

– C’est ma meilleure amie…

– Rappelle-toi quand tu as failli la faire arrêter…

– Faut vraiment que tu arrêtes avec ça. C’était il y a trois ans…

– Ohé ! je crie, les doigts pressés à mes tempes. (Traiter avec Josh et Jules en même temps, c’est comme gérer des enfants.) Fin des hostilités. Josh, arrête d’essayer de contrôler ma vie. Jules, arrête de le provoquer.

Josh croise les bras.

– En tant que grand frère, c’est mon boulot de te protéger et de désigner quelqu’un pour me remplacer quand je ne suis pas là.

Ayant grandi avec lui, je reconnais cette expression sur son visage. Il ne changera pas d’avis.

– Et je suppose que c’est Alex ton remplaçant ? je demande, résignée.

– Je ne suis le « remplaçant » de personne, intervient l’intéressé d’un ton froid. Ne fais pas de bêtises et tout se passera bien.

Je pousse un gémissement et me couvre le visage de mes mains.

L’année va être très longue

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