Elden n’était pas sur les cartes.
Un point de poussière entre deux collines, quatre-vingts âmes, une rivière paresseuse, des champs qui nourrissaient juste assez.
Nyx y était né il y a huit ans, le jour où la lune était rouge.
Mère disait que c’était un signe.
Père disait que c’était des conneries.
Ils riaient.
Ce matin-là, le ciel était trop bleu.
Nyx courait pieds nus dans les blés hauts comme lui, un bâton en guise d’épée.
« Je suis le Roi des Ombres ! »
Kael, treize ans, le poursuivait, essoufflé mais hilare.
« Attrape-moi si t’es un dieu, frangin ! »
Près de la maison de bois, Mère chantait une vieille berceuse en lavant le linge.
Ses mains faisaient danser l’eau.
Père aiguisait la faux, les muscles noueux, le regard doux.
Lira, six ans, tressait des marguerites en couronne.
« Pour toi, Nyx ! Tu seras roi pour de vrai ! »
Tout était simple.
Tout était parfait.
Et puis l’étoile est tombée.
Pas une étoile filante.
Un bloc de nuit pure, plus grand qu’une montagne, entouré d’une couronne de feu violet.
Elle a traversé le ciel en silence.
Pas de sifflement.
Juste une pression qui a fait saigner les oreilles.
BOUM.
Le sol s’est soulevé.
Les blés se sont couchés comme fauchés.
La maison a craqué.
Le cratère a avalé la moitié du village.
Et les Ondes sont nées.
D’abord une pulsation dans la poitrine.
Comme un deuxième cœur qui cogne.
Puis la douleur.
Puis le pouvoir.
Kael a hurlé le premier.
Ses veines ont gonflé, noires, pulsantes.
Il a soulevé la charrette familiale d’une seule main, les yeux écarquillés.
« Nyx ! Cache-toi sous la maison ! »
Mère a couru vers eux.
Des fleurs violettes ont poussé sur sa peau, vivantes, épineuses.
Elle a entouré Nyx de ronces qui sifflaient comme des serpents.
« Cours, mon trésor ! Ne regarde pas ! »
Père a pris la faux.
Rien.
Pas de pulsation.
Pas d’Onde.
Comme Nyx.
Deux vides dans un monde qui explosait de lumière.
Et les Seigneurs des Ondes sont arrivés.
Ils n’ont pas marché.
Ils ont apparu.
La première était une femme aux cheveux de magma liquide, les yeux comme des soleils noirs.
Elle a levé la main.
La tête de Père a volé.
Propre.
Sans un cri.
Le corps est resté debout trois battements de cœur.
Puis s’est effondré, la faux encore serrée dans la main.
Mère a hurlé.
Un colosse de granit vivant l’a saisie par les cheveux.
Il l’a plaquée au sol.
Ses griffes ont déchiré.
Ses cris ont duré.
Longtemps.
Trop longtemps.
Nyx était figé dans les ronces.
Un gosse de dix ans, ricanant, avec une Onde qui faisait trembler l’air autour de lui comme une chaleur de four.
Il a collé un couteau sous la gorge de Nyx.
« T’as rien, hein ? T’es vide. T’es même pas humain. »
La lame a entaillé.
Du sang chaud a coulé sur la clavicule.
Kael est revenu du cratère.
Un bras arraché, pendouillant, mais debout.
Il a attrapé le gosse par le cou.
Craaaaac.
Le corps du gosse s’est affaissé comme une poupée de chiffon.
Le couteau est tombé.
Mais c’était fini.
Lira pendait à l’arbre le plus proche.
Une corde de lumière autour du cou.
Langue sortie.
Yeux grands ouverts.
Ses marguerites écrasées dans la boue.
Mère gisait à cinq pas.
Nue.
Les fleurs fanées sur sa peau.
Le regard fixé sur le ciel, comme si elle cherchait encore ses enfants.
Kael a titubé vers Nyx.
« Ferme les yeux, petit… »
Le colosse de granit a ri.
Un grondement de montagne.
Il a levé le poing.
CRAC.
Kael n’était plus qu’une tache rouge sur le sol.
Un bras encore accroché à son torse.
Nyx était seul.
Entouré de dieux.
Entouré de cadavres.
Il a ramassé le couteau.
L’a collé à sa propre gorge.
« Finis-moi. »
Personne ne l’a regardé.
Il n’existait pas.
Il était le Vide.
Il a lâché le couteau.
Non.
Pas comme ça.
Il a rampé.
Sous les corps.
Dans le sang.
Dans les blés écrasés.
Et dans sa tête, une voix.
Pas la sienne.
Une bête.
Froide.
Clair.
Je vais tous vous tuer.
Chaque Onde.
Chaque cœur.
Chaque souffle.
Mais il y avait autre chose.
Dans le cratère, au milieu des corps calcinés, quelque chose brillait.
Un éclat noir.
Pas une Onde.
Quelque chose de plus ancien.
Quelque chose qui regardait Nyx.
Il l’a senti.
Comme un doigt glacé sur la nuque.
Il a serré les dents.
Un jour, il reviendra.
Un jour, il prendra ça.
Peu importe ce que c’est.
Il a disparu dans les blés.
Un gosse de huit ans.
Sans pouvoir.
Sans nom.
Sans rien.
Juste une promesse.
Et la haine,
pure,
froide,
absolue,
commençait à brûler.
Fin du chapitre 1.
(À suivre : le garçon qui marcha seul, et la chose noire qui l’attendait.)
Les blés étaient morts.
Noirs, tordus, comme des doigts carbonisés qui griffaient le ciel.
Nyx marchait depuis trois jours.
Pieds nus.
Ventre vide.
Le couteau du gosse au poing, lame émoussée, maculée de sang séché.
Il ne pleurait plus.
Les larmes avaient brûlé ses yeux jusqu’à ce qu’il n’en reste que des braises.
La route était un serpent de poussière.
Des villages entiers réduits en cratères fumants.
Des corps empilés comme du bois.
Certains encore vivants, rampant, suppliant.
Il les regardait.
Passait.
Un gamin de huit ans avec des yeux trop vieux.
La nuit, il dormait dans les carcasses de maisons.
Sous des toits effondrés.
Il rêvait de sa mère qui chantait.
De Kael qui riait.
De Lira et ses marguerites.
Puis il se réveillait.
Et la haine le tenait chaud.
Au quatrième jour, il trouva la rivière.
Pas la sienne.
Celle-là était rouge.
Des poissons morts flottaient, ventres blancs.
Sur la berge, un homme.
Vieux.
Barbe grise.
Pas d’Onde.
Comme lui.
Il pêchait avec une branche et un fil de fer.
Il leva les yeux.
« T’es vivant, toi ? »
Nyx ne répondit pas.
L’homme haussa les épaules.
« Y en a plus beaucoup comme nous. Les Ondés les chassent. Pour le sport. »
Il tendit un poisson grillé sur un feu de brindilles.
Nyx le prit.
Mangea.
Le goût de cendre.
« T’as un nom ? »
« Nyx. »
« Moi c’est Corvin. J’étais forgeron. Avant. »
Il montra ses mains.
Brûlées.
Cicatrices en forme d’Ondes.
« Ils m’ont pris mes doigts. Parce que je refusais de forger leurs armes. »
Nyx regarda le couteau.
« Je vais les tuer. »
Corvin rit.
Un rire sec.
« Tous ? T’es un gosse. »
« Tous. »
Le vieil homme le regarda longtemps.
Puis hocha la tête.
« Y a une ville à deux jours. Varak. Les Ondés y font des jeux. Ils jettent les vides dans l’arène. Contre des bêtes. Contre eux-mêmes. »
Nyx serra le couteau.
« J’irai. »
Corvin soupira.
« T’es pas obligé. »
« Si. »
Ils marchèrent ensemble.
Corvin boitait.
Nyx portait le sac.
Des racines.
Un peu d’eau.
Des histoires.
Le vieil homme parlait peu.
Mais quand il parlait, c’était vrai.
« Les Ondés croient que la Source les a choisis. Qu’ils sont des dieux. »
« Et nous ? »
« Nous, on est le silence entre les coups de tonnerre. »
La nuit, autour du feu, Corvin raconta l’étoile.
« Elle est tombée il y a mille ans. Avant, y avait pas d’Ondes. Les gens vivaient. Mouraient. Sans éclat. »
« Et maintenant ? »
« Maintenant, ils brillent. Et ils brûlent tout. »
Nyx fixa les flammes.
« Je brûlerai plus fort. »
Varak apparut au crépuscule.
Une muraille de fer et d’os.
Des tours tordues.
Des bannières violettes claquant au vent.
Des cris.
Des rires.
L’odeur de sang et de métal chaud.
À l’entrée, deux gardes.
Ondes pulsantes dans les veines.
L’un fit un pas.
« Des vides. »
Il sourit.
Dents pointues.
« L’arène manque de chair fraîche. »
Corvin murmura.
« Cours. »
Nyx ne courut pas.
Il avança.
Le garde leva la main.
Une lance de lumière.
Nyx ne bougea pas.
La lance le traversa.
Pas de sang.
Pas de douleur.
Le garde cligna des yeux.
« Qu’est-ce que… »
Nyx planta le couteau dans sa gorge.
Rapide.
Propre.
Le corps tomba.
L’autre garde hurla.
Une onde de choc.
Corvin fut projeté.
Crâne éclaté contre le mur.
Nyx regarda le vieux.
Mort.
Encore.
Il ramassa la lance de lumière.
Elle s’éteignit dans sa main.
Comme aspirée.
Il sourit.
Pour la première fois.
Les portes s’ouvrirent.
L’arène.
Un cercle de pierre noire.
Des gradins pleins.
Des Ondés en armure.
Des bêtes enchaînées.
Un homme au centre.
Grand.
Cape de feu.
Voix comme un glas.
« Un vide ! Regardez ! Il croit qu’il peut jouer ! »
Rires.
Nyx marcha.
Pieds dans le sable rouge.
Le couteau à la main.
L’homme leva la main.
Un mur de flammes.
Nyx traversa.
Les flammes s’éteignirent.
Avalées.
Le silence tomba.
L’homme recula.
« Qu’est-ce que tu es ? »
Nyx répondit.
Sa voix était celle d’un enfant.
Mais ses yeux étaient ceux d’un dieu mort.
« Je suis le Vide. »
Il tua l’homme.
Pas avec le couteau.
Avec ses mains.
Il arracha l’Onde de sa poitrine.
Comme on arrache une dent.
Le corps se ratatina.
Sec.
Les gradins hurlèrent.
Pas de joie.
De peur.
Nyx leva les yeux.
Des centaines d’Ondes.
Des centaines de cœurs.
Il sourit encore.
Plus large.
Dans le cratère, loin, très loin, l’éclat noir pulsait.
Plus fort.
Il l’appelait.
Comme une mère.
Comme un père.
Comme un frère.
Nyx marcha vers la sortie.
Les gardes ne bougèrent pas.
Il passa.
Derrière lui, l’arène brûlait.
Pas de flammes.
Juste du noir.
Du silence.
Il était seul.
Encore.
Mais plus vide.
La bête en lui grandissait.
Et elle avait faim.
Fin du chapitre 2.
(À suivre : l’arène des dieux, et la chose noire qui murmure son nom.)
Les chaînes de lumière s’effritèrent avant même d’atteindre le sol.
Un silence lourd tomba sur les gradins.
La femme aux ailes de verre plana, ses lames de vent suspendues comme des glaçons.
Nyx leva la main.
Pas un geste.
Juste un vide.
Les lames se brisèrent en poussière noire.
La femme hurla.
Ses ailes fondirent.
Elle tomba.
Morte avant de toucher le sable.
Les neuf autres Seigneurs formèrent un cercle.
Feu.
Glace.
Gravité.
Sang.
Chaque Onde différente.
Chaque cœur battant comme un tambour de guerre.
Ils frappèrent ensemble.
Un pilier de lumière multicolore.
Nyx resta debout au centre.
Il ne bougea pas.
Le pilier le traversa.
Et s’éteignit.
Comme une bougie soufflée.
Les Seigneurs vacillèrent.
Leurs Ondes faiblirent.
Une seconde.
Juste assez.
Nyx avança.
Un pas.
Deux.
Le sable noir sous ses pieds nus se fissura.
Des veines sombres coururent dans le sol.
Comme des racines.
Il tendit la main vers le plus proche : un colosse aux veines de magma.
L’homme leva le poing.
Mais son Onde vacilla.
Nyx toucha sa poitrine.
Pas de violence.
Juste un contact.
Le colosse hurla.
Son cœur explosa en lumière.
Puis en ténèbres.
L’Onde fut aspirée.
Dans la paume de Nyx.
Dans le vide.
Le corps du colosse se ratatina.
Peau sur os.
Yeux vides.
Mort.
Un murmure parcourut les gradins.
« Il… boit les Ondes. »
Un autre Seigneur, une femme aux cheveux d’ombre, recula.
« C’est impossible. Les vides n’ont rien. »
Nyx tourna la tête.
Ses yeux.
Noirs.
Mais au fond, une braise rouge.
Comme un feu qui n’était pas là hier.
Il sourit.
Pas comme un enfant.
Comme quelque chose d’autre.
Les huit restants chargèrent.
Une tempête.
Nyx ferma les yeux.
Et le vide répondit.
Un cercle noir s’ouvrit autour de lui.
Pas une onde.
Pas une lumière.
Un trou.
Les attaques s’y perdirent.
Les Seigneurs s’y perdirent.
Un par un.
Aspirés.
Déchirés.
Silencieux.
Quand le cercle se referma, il ne restait que des armures vides.
Et Nyx.
Debout.
Seul.
Sa poitrine battait.
Mais pas comme avant.
Plus lentement.
Plus profondément.
Et dans ce battement, il sentit elle.
La chose du cratère.
Elle riait.
Tu commences à comprendre.
Le Vide n’est pas l’absence.
Le Vide est la faim.
Un homme descendit des gradins.
Pas un Seigneur.
Pas un vide.
Un prêtre.
Robe violette.
Symbole de l’étoile gravé sur le front.
Il s’agenouilla.
« Tu es l’Anomalie. »
Nyx le regarda.
« Lève-toi. »
Le prêtre obéit.
Tremblant.
« La Source Originelle t’a vu naître. Elle t’a laissé vide… pour une raison. »
Nyx serra le poing.
La braise dans ses yeux grandit.
« Parle. »
Le prêtre déglutit.
« Les Ondes ne sont pas des cadeaux. Ce sont des chaînes. La Source les donne. Et elle peut les reprendre. Mais toi… tu n’as jamais été enchaîné. Tu es la clé. Ou la serrure. »
Il tendit un fragment.
Noir.
Lisse.
Pulsant.
Comme un cœur miniature.
« Prends-le. Il t’appelle depuis le cratère. »
Nyx le prit.
Le fragment brûla sa peau.
Pas de douleur.
Juste une chaleur.
Profonde.
Dans ses veines.
Dans son vide.
Il le serra.
Et pour la première fois, il sentit.
Pas une Onde.
Quelque chose de plus vieux.
De plus noir.
De plus affamé.
Les portes de l’arène s’ouvrirent.
Pas de gardes.
Pas de foule.
Juste le vent.
Et au loin, le cratère.
Il pulsait.
En rythme avec le fragment.
Nyx marcha.
Le prêtre le suivit.
« Tu vas où ? »
« Là où tout a commencé. »
« Et après ? »
Nyx ne répondit pas.
Mais dans sa tête, la bête murmura.
Après, je mange le monde.
Il quitta Varak.
Derrière lui, l’arène s’effondra.
Pas explosée.
Juste… avalée.
Un trou noir dans la pierre.
Un avant-goût.
Dans sa poche, le fragment battait.
Dans ses yeux, la braise rouge grandissait.
Dans son cœur, le vide hurlait.
Mais pour la première fois, il n’était plus seul.
Il avait une faim.
Et un nom.
Nyx.
Le Vide qui marche.
Fin du chapitre 3.
(À suivre : le chemin du cratère, et le premier sceau qui s’ouvre.)
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