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Un déluge de tristesse submergea la ville, aussi dense et impitoyable que les pensées de Smith. Le ciel, lourd de nuages charbonneux, crevasse sous le poids de son chagrin, libérant des larmes glacées qui noyaient les rues et inondaient par la même occasion la chambre close de son cœur. Chaque goutte qui s'écrase sur le pare-brise résonnait comme un coup de marteau sur son âme, un rappel mélancolique de l'impasse dans laquelle il se trouvait.
Il se gara enfin, le moteur calant dans un soupir métallique. Sous la lueur blafarde d'un réverbère, il lut pour la énième fois le message de sa mère. Les mots, polis et implacables, dansaient devant ses yeux embués : « N'oublie pas le dîner de ce soir. Les Choi sont des gens bien. Sois à l'heure. » Un code pour un rendez-vous arrangé, une mise en scène pour son propre renoncement. Personne ne le comprenait, pas même ceux qui partageaient son sang. Il se sentait comme un oiseau exotique enfermé dans une cage dorée, les barreaux étant les attentes étouffantes de sa famille et le regard réprobateur de la société. Ses ailes, celles qui le portaient vers le désir interdit d'aimer un homme, étaient clippers, mutilées.
Aujourd'hui, il devait enterrer cette part essentielle de lui-même. Il devait serrer la main d'une inconnue, lui sourire, et feindre un avenir qui n'aurait jamais dû être le sien. Une amertume cuisante lui monta à la gorge. Ce qu'il haïssait par-dessus tout, c'était cette jalousie absurde, dévorante, qui le rongeait : il mourait d'envie d'être à la place de cette jeune femme. Elle, elle avait le droit d'épouser un homme. Elle pouvait rêver d'une bague aux doigts, d'un "oui" prononcé devant l'autel, d'une vie construite sur une attirance sincère. Lui, il rêvait en secret d'une main masculine se glissant dans la sienne, d'une voix grave lui demandant de partager sa vie, d'un regard fier le présentant à des parents comme étant « celui qui compte ».
Une larme brûlante, chargée de tout son désespoir, traça un sillon salé sur sa joue. Il ferma les yeux, laissant son front se cogner doucement contre le cuir froid du volant. Ici, dans cette bulle d'acier et de verre, il s'autorise un moment de faiblesse. Les sanglots le secouèrent, silencieux et violents. C'était si déchirant de devoir trahir son propre cœur pour l'amour de ceux qui refusaient de le voir tel qu'il était.
Toc, toc, toc.
Un bruit sec, léger, fit sursauter Smith. Il releva la tête, le cœur battant la chamade. De l'autre côté de la vitre passagère, un jeune homme lui souriait, un sourire radieux qui semblait défier les lois de la physique. Stupéfait, Smith constata que la pluie avait disparu. Le soleil inondait l'asphalte sec, l'air était tiède et sentait le béton chaud. Il n'était plus devant le restaurant chic, mais sur le parking bondé d'un centre commercial. La panique, froide et aiguë, lui poignarda la poitrine. Devait-il crier ? Fuir ?
Pris de vertige, il obéit à son premier instinct. D'une main tremblante, il baissa la vitre et déverrouille les portières.
— Putain, smith, qu'est-ce qui te prend ? lança l'inconnu d'une voix teintée d'une familiarité chaleureuse. Tu t'en fermes dans ta voiture comme si tu voulais faire annuler le mariage ! J'étais juste allé t'acheter de quoi pimenter ta nuit de noces, tu sais, pour ton cher et tendre Day !
Le sang de Smith ne fit qu'un tour. Day ? Mariage ? Nuit de noces ? Il observa, médusé, le jeune homme déposer un sac de courses à l'arrière, à côté d'autres paquets aux emballages colorés. Il avait des cheveux doux, des yeux en demi-lune et une énergie communicative.
— Bon, allez, on peut rentrer, maintenant, déclara-t-il en s'installant sur le siège passager avec aisance.
Smith le dévisagea, perdu dans un brouillard d'incompréhension. Son cerveau tentait désespérément de rattraper la réalité qui venait de basculer. Des amis ? Lui qui n'en avait jamais eu, rejeté à cause de son orientation ? Où devait-il aller ?
— Je... Rentrer... Où ? balbutia a-t-il, les sourcils si froncés qu'ils en faisaient mal.
Le jeune homme le regarda, bouche bée, avant d'éclater de rire.
—Ne me dis pas que tu as oublié où tu habites ! Même si bientôt tu vivras avec l'homme le plus canon de la ville, tu dois au moins te souvenir que tu habites encore chez tes parents pour quelques jours !
Sans attendre de réponse, il sortit, fit le tour de la voiture et ouvrit la portière de Smith.
—Allez, bouge. Je vais conduire, tu as l'air complètement épuisé. Trop d'excitation, hein ?
Comme un automate, Smith se glissa sur le siège passager. Il observait le jeune homme conduire avec une sérénité déconcertante. Les pièces du puzzle commençaient à s'assembler dans son esprit en feu. Ici, il n'était pas un paria. Ici, il pouvait aimer. Ici, son cœur n'était pas une erreur. Pour ne pas être renvoyé dans son ancienne vie, cet enfer doré, il devait apprendre. Tout apprendre. Mais d'abord, il devait mettre un nom sur ce sauveur au sourire éclatant.
— Je sais que tu es crevé à cause des préparatifs, reprit le conducteur, sa voix devenue plus douce. Je fais de mon mieux pour t'aider, et je serai toujours là, tu sais. Je resterai ton meilleur ami, même quand tu seras marié et que tu décideras de donner une demi-douzaine de magnifiques bébés à Day. J'ai tellement hâte de te voir avec un ventre rond, tu seras radieux !
Un ventre rond ? La question brûlait les lèvres de Smith, mais il la ravala. Il venait d'atterrir dans une dimension où l'impossible était réalité. Et cette réalité, aussi incroyable fût-elle, exauçait ses vœux les plus secrets, même ceux qu'il n'avait jamais osé formuler. Une onde de choc mêlée d'un espoir fou l'envahit. Lui qui avait toujours vécu plié sous le poids des règles, il se tenait maintenant au seuil d'une vie où il pouvait enfin respirer.
— Pourquoi tu fais cette tête ? s'inquiéta son ami. Bon, d'accord, j'exagère un peu. Je sais que tu n'as jamais été du genre à rêver de mariage ou... de porter des enfants. Mais la vie est pleine de surprises, non ? Alors sois au moins heureux pour moi qui suis comme toi. Tu seras là pour moi quand je fonderai ma famille, hein ?
Ils venaient de se garer devant une maison que Smith reconnut immédiatement. C'était sa maison. Le même jardin, la même façade. Une voiture se gara derrière eux, et son frère Nam en sortit. Mais ce n'était pas tout à fait le Nam qu'il connaissait. Celui-ci avait le visage moins grave, les épaules moins lourdes.
— Julien, t'es là aussi ! s'exclama Nam en s'approchant. J'espère que mon frère ne t'a pas trop fait courir.
Julien. Son nom était Julien. Et d'après le regard que Nam lui lançait, chargé d'une tendresse non dissimulée, Smith comprit que leur relation dépassait de loin la simple amitié. Son frère, le pilier sérieux et éternellement célibataire, semblait enfin vivre pour lui-même.
La révélation fut un coup de tonnerre. Smith n'avait pas seulement échangé sa vie contre une autre où il était libre d'aimer. Il avait atterri dans un monde où tout le monde semblait avoir la permission d'être heureux. Une détermination nouvelle, féroce et douce à la fois, naquit en lui. Il avait été offert une seconde chance, non seulement pour lui, mais aussi pour ceux qu'il aimait.
Il regarda Julien, puis Nam, et un sourire authentique, le premier depuis si longtemps, éclaira son visage.
— Je... Je serai là pour toi, Julien, comme tu l'es pour moi, promit-il, sa voix retrouvant une force qu'il ne se connaissait pas. Et je te rassure, je suis heureux. Vraiment heureux. Et je ne le dis pas pour te faire plaisir.
La joie qui illumina le visage de Julien fut sa plus belle récompense. Smith était chez lui. Dans le bon monde. Et il jura silencieusement de protéger ce bonheur coûte que coûte, même s'il devait, pour cela, apprendre à naviguer dans un univers dont il ne connaissait pas encore toutes les règles.
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Smith croyait, naïvement, qu’il pourrait se fondre dans cette réalité. Qu’il pourrait jouer le jeu, ne serait-ce que quelques jours. Mais cette illusion s’écroula la seconde où son regard croisa le sien.
Sa mère.
Elle était là, dans le salon inondé de soleil, et elle riait. Un rire cristallin, libre, qu’il ne lui avait jamais connu. Elle parlait avec un jeune homme élégant, Day, et lui tapotait le bras avec une familiarité affectueuse. Pour Smith, ce fut une gifle. Une vision si radicalement opposée à la femme réservée, presque sévère, de son monde à lui. Ici, elle rayonnait d’une joie authentique en présence de son fiancé à lui.
Son cœur se serra si brutalement qu’il en eut le souffle coupé. Non, c’était trop. Beaucoup trop. Comment feindre la normalité face à ce bonheur qui lui était à la fois offert et volé ? Comment supporter le poids de ce sourire maternel qui, dans une autre vie, se serait éteint à la seule évocation de sa vérité ?
Il ne pouvait pas s’attacher. S’il s’attachait à cette mère version alternative, à cet ami, à ce fiancé de pacotille, le retour dans son enfer quotidien serait une torture insoutenable. Un contraste trop cruel entre l’acceptation ici et le rejet là-bas.
Pour l’amour du ciel, songea-t-il, la panique lui griffant la gorge, je suis un homme qui aime les hommes. Mon plus grand vœu s’est exaucé ici, et je ne peux même pas en profiter sans que ça me déchire les entrailles !
Sans un mot, poussé par un instinct de fuite primal, il se rua vers l’escalier. Ses pas lourds et précipités firent écho dans la maison, brisant net la conversation joyeuse du salon.
— Smith ? appela la voix de sa mère, teintée d’une surprise inquiète.
Julien, témoin de la scène, sentit un pincement au cœur. Il lança un sourire apaisant à Madame Croft et à Day.
—Ne vous inquiétez pas, je vais voir ce qui ne va pas, dit-il d’une voix qu’il s’efforça de rendre légère, tout en attrapant nerveusement le tissu de son pantalon.
— Bien… Vois ce qui lui arrive, murmura sa mère, son visage soudainement assombri. J’ai peur que les préparatifs du mariage ne le stressent trop.
Elle se tourna vers Day,une coupable tristesse dans le regard.
—Je suis désolée, Day. Toi qui voulais tant lui parler…
Le jeune homme secoua la tête avec une douceur qui surprit Smith, s’il l’avait entendu.
—Ne vous excusez pas, Madame Croft. Je comprends tout à fait. Je reviendrai lorsqu’il se sentira mieux. Le moment n’était sans doute pas bien choisi.
Julien gravit les marches deux à deux, laissant derrière lui les murmures confus. Arrivé devant la porte close de la chambre, il frappa doucement.
Smith ? C’est moi.
Aucune réponse. Seul un bruit étouffé, des reniflements rauques et saccadés, lui parvenaient de l’autre côté. Une inquiétude viscérale s’empara de lui. N’y tenant plus, il actionna la poignée et fit irruption dans la pièce.
La vision qui s’offrit à lui le glaça.
Smith était assis au bord du lit, le visage enfoui dans ses mains, ses épaules secouées de tremblements incontrôlables. Lorsque la porte s’ouvrit, il sursauta et releva la tête, et ce que Julien vit dans ses yeux lui coupa le souffle.
Ce n’était pas là le regard de son ami.
Le Smith qu’il connaissait était un roc, une force tranquille que rien ni personne ne pouvait ébranler. Celui qui se tenait devant lui n’était qu’un fragile assemblage de peur et de détresse.
— Smith… ? prononça Julien en faisant un pas précautionneux à l’intérieur.
Il dut s’arrêter net quand Smith, dans un geste d’impuissance absolue, agrippa ses propres cheveux et tira, comme pour s’arracher à la réalité.
Julien se figea, le sang glacé dans ses veines.
— Smith… souffla-t-il, la voix devenue un murmure à peine audible. Dis-moi ce qui se passe. S’il te plaît.
Comme si ces mots doux avaient brisé le dernier de ses barrages, Smith s’effondra. Littéralement. Il se laissa choir sur le matelas, son visage retourné à nouveau contre ses paumes, des sangs déchirants lui déchirant la poitrine. Des larmes brûlantes inondaient ses joues, traçant des sillons luisants sur sa peau.
Julien n’hésita plus. Il traversa la pièce en deux enjambées et se laissa tomber à genoux devant lui. Avec une infinie délicatesse, il entoura les poignets de Smith de ses doigts et écarta ses mains, dévoilant un visage ravagé par une angoisse qu’il ne comprenait pas.
Il plongea son regard dans celui, noyé de larmes, de son ami. Et il dit la vérité, doucement, mais avec une certitude qui ne trompait pas.
— T’es pas mon Smith, hein ?
Les yeux de Smith s’écarquillèrent, la panique y dansant une danse folle. La terreur pure.
—Comment… ? parvint-il à haleter, son cœur battant une chamade désordonnée contre ses côtes.
— J’ai tout de suite su en te voyant dans cet état, expliqua Julien, en caressant le dos de sa main d’un pouce apaisant. Mon Smith… il ne pleure jamais. Il n’a jamais peur.
À cette révélation, quelque chose en Smith se brisa définitivement. Une plainte rauque s’échappa de ses lèvres avant qu’une nouvelle vague de larmes, plus violente, ne le submerge. « Un bon à rien », pensa-t-il amèrement, les mots de sa vraie mère résonnant dans son crâne. « Je ne peux même pas réussir à être quelqu’un d’autre. »
— Eh, doucement, calme-toi, le supplia Julien, se relevant pour s’asseoir à côté de lui sur le lit, sans jamais lâcher ses mains glacées. Chut… respire. Et explique-moi. Raconte-moi tout.
D’une voix brisée, entrecoupée de sanglots et de silences lourds, Smith se vida. Il parla du placard, du rejet, du regard déçu de ses parents. Il décrivit l’oppression quotidienne, l’obligation de cacher son vrai soi, jusqu’à ce rendez-vous forcé, cette femme inconnue qu’on lui destinait comme un ultime châtiment.
— Et puis… après ça, j’ai atterri ici, finit-il par murmurer, épuisé, son visage étant une carte de détresse.
Julien resta silencieux. Un silence si long et si profond que Smith crut que le monde s’était arrêté de tourner. Il regardait son ami, immobile, les traits figés, et sentit la panique remonter en lui, plus forte. Sa respiration devint sifflante, son buste se soulevant par à-coups. Il se noyait dans ce silence.
Soudain.
— AH ! s’exclama Julien, frappant son poing contre sa paume, faisant sursauter Smith qui cligna des yeux, sa crise naissante stoppée net.
— Tu m’as fait peur, se plaignit-il faiblement.
— Désolé ! rit Julien, un peu gêné, en se grattant la nuque. C’est juste que… j’ai réfléchi. Et je crois savoir comment faire. Je connais une chamane. Une vraie. Elle pourra peut-être nous expliquer pourquoi et comment tu es arrivé ici, et… s’il y a un moyen pour que tu retournes dans ton monde.
Les derniers mots tombèrent comme une sentence. Une douleur aiguë transperça la poitrine de Smith.
Il veut que je reparte.
La réalité le frappa de plein fouet, cruelle et logique. Cette vie n’était pas la sienne. Cette famille, cet ami, ce fiancé… c’était un emprunt. Un rêve volé. Il avait un devoir ailleurs, une femme qu’il n’aimait pas l’y attendait.
— Je vais la contacter, voir si elle peut nous prendre ce soir même, qu’en dis-tu ? s’enthousiasma Julien en sortant déjà son téléphone de sa poche. Comme ça, tout va s’arranger, tu verras !
Smith tourna lentement la tête vers la fenêtre. Dehors, le soleil brillait, implacable et joyeux, indifférent au drame qui se jouait dans cette chambre.
Il ferma à demi les paupières, une larme résiduelle roulant sur sa tempe.
— Oui, murmura-t-il d’une voix éteinte, presque un souffle. Bientôt, tout va s’arranger.
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La décision était prise, non comme un acte de bravoure, mais comme un naufragé qui, à bout de forces, cesse de lutter contre le courant et se laisse porter vers une terre inconnue. Smith avait choisi de rester. Pour un mois. Un seul mois à voler du temps au destin, à emprunter une vie qui, peut-être, aurait pu être la sienne.
Le lendemain matin, la lumière du soleil qui inonda sa chambre lui parut différente. Elle n'était plus l'implacable témoin de son angoisse, mais une caresse chaude sur sa peau. Chaque détail de la maison des Croft prenait une nouvelle dimension. Le bruit des oiseaux dans le jardin, l'odeur du café que Mme Croft — sa mère — avait préparé, le son de la radio dans la cuisine. C'était une symphonie de normalité heureuse, et il en était le spectateur émerveillé et nerveux.
Julien arriva peu après le petit-déjeuner, aussi radieux et énergique que la veille, mais avec une nuance nouvelle dans le regard : une attention douce, protectrice.
— Allez, paresseux ! lança-t-il depuis le pas de la porte. On ne passe pas sa journée de congé à se morfondre. J'ai un planning de maître.
Smith se laissa entraîner, le cœur battant un peu plus vite. La journée fut un tourbillon délibéré. Julien semblait avoir deviné son besoin de s'accrocher à des sensations fortes, à des preuves tangibles de ce nouveau monde. Ils allèrent dans un parc d'attractions, et Smith hurla de rire et de peur sur des montagnes russes, ses cris se mélangeant à ceux de Julien. Pour la première fois, il sentit le poids de ses propres inhibitions se dissoudre, remplacé par une légèreté presque enfantine.
Puis ce fut un café bondé, où Julien salua une demi-douzaine de connaissances, présentant toujours Smith avec une fierté non dissimulée. « Mon meilleur ami, Smith, bientôt un homme marié ! » Personne ne sourcilla. Personne ne lança de regard en biais. Smith se tenait un peu plus droit.
L'après-midi, ils marchèrent le long de la rivière. Le silence entre eux n'était plus lourd, mais complice.
— Tu sembles… mieux, aujourd'hui, remarqua Julien, brisant le calme.
Smith regarda l'eau scintiller sous le soleil.
— C'est étrange, Julien. Ici, respirer semble plus facile. Comme si l'air était moins lourd.
Julien lui donna un coup de coude amical.
— C'est peut-être parce que tu arrêtes enfin de retenir ton souffle. Tu as passé ta vie à te faire tout petit, Smith. C'est le moment de prendre ta place.
Prendre sa place. Les mots de la chamane lui revinrent. « La place qui était vide. » Il regarda Julien, son sourire sincère, sa présence inébranlable. Une boule d'émotion lui serra la gorge. C'était ça, l'amitié. Non pas une simple camaraderie de circonstance, mais un pilier, un refuge. Une main tendue dans les ténèbres qui vous disait : « Tu n'es pas seul. »
— Merci, dit Smith, la voix un peu rauque. Pour tout. Pour… être là.
Julien lui adressa un sourire en coin, ses yeux en demi-lune plissant.
— Idiot. C'est à ça que servent les meilleurs amis. À être là, dans les bons moments comme dans les tempêtes. Même quand ces tempêtes, c'est toi qui les provoques en oubliant où tu habites.
Ils rirent, et ce rire fut pour Smith une libération. C'était la première fois qu'il riait sans amertume, sans arrière-pensée.
Le soir, alors qu'ils rentraient, une voiture se gara devant la maison des Croft. Day en sortit. Son cœur à Smith fit un bond. Il était encore plus élégant en tenue décontractée, un simple jean et un t-shirt qui soulignaient sa silhouette déliée. Son regard chercha immédiatement Smith, et un sourire tranquille illumina son visage en le trouvant.
— Je suis passé voir comment tu allais, dit Day en s'approchant. Ta mère m'a dit que vous étiez partis en expédition avec Julien.
— Une thérapie par les montagnes russes et le café, annonça Julien avec solemnité. Méthode approuvée.
Day rit, et le son était une mélodie douce qui réchauffa Smith de l'intérieur.
— Je vois ça. Je ne veux pas vous déranger. Je… J'avais juste envie de te voir.
Ces mots, si simples, frappèrent Smith de plein fouet. J'avais juste envie de te voir. Personne ne lui avait jamais dit ça. Personne n'avait jamais considéré sa simple présence comme un objectif en soi. Dans son ancienne vie, il était une obligation, un devoir. Ici, il était un désir.
— Tu ne nous déranges pas, parvint à dire Smith.
Un silence chargé d'une douce tension s'installa. Julien, avec un sens du timing parfait, s'éclaircit la gorge.
— Bon, eh bien, moi, j'ai une vie palpitante à vivre qui m'attend. Des chaussettes à plier, une série à binge-watcher. Je vous laisse. À demain, Smith ! Prends soin de lui, Day !
Il partit en leur faisant un signe de la main. Smith et Day restèrent seuls sur le trottoir, baignés par la lueur dorée du couchant.
— Tu veux qu'on aille marcher un peu ? proposa Day.
Ils marchèrent dans les rues tranquilles du quartier. Smith était hyper conscient de la présence de Day à ses côtés, de la chaleur qui émanait de lui. Day parlait de son travail, de ses passions, et Smith l'écoutait, fasciné. C'était un homme passionné, intelligent, et d'une douceur désarmante.
— Et toi ? demanda finalement Day. Ces derniers temps… tu as l'air un peu ailleurs. Est-ce que… est-ce que quelque chose te tracasse ? À propos de nous ?
La question était posée avec une telle vulnérabilité que Smith sentit son cœur se serrer. Ce n'était pas un interrogatoire, c'était une main tendue, une offre de partage.
Je suis un imposteur. Je ne suis pas le Smith que tu aimes. Je viens d'un monde où aimer quelqu'un comme toi est un crime. Les mots brûlaient ses lèvres.
Mais il se souvint de sa décision. Goûter au bonheur. Juste une fois.
— Non, mentit-il doucement. Ce n'est pas toi. C'est… tout. Le mariage, les préparatifs. C'est beaucoup à assimiler. Parfois, j'ai l'impression de rêver.
Day s'arrêta et se tourna vers lui. Ses yeux, pleins de bienveillance, scrutaient son visage.
— Je comprends. Mais sache que je suis là. Nous avançons à ton rythme, Smith. Toujours.
Puis, avec une lenteur qui donna à Smith tout le temps de se dérober, Day leva une main et effleura doucement sa joue. Le contact fut une décharge électrique de tendresse pure. C'était un geste si simple, si intime, si chargé d'affection que les yeux de Smith s'embuèrent. Il ferma les paupières, se concentrant sur cette sensation, l'engrammant dans sa mémoire pour les jours sombres à venir.
— Tu es si précieux, murmura Day.
Quand Day partit, longtemps après, Smith resta un moment sur le perron, le visage encore chaud du contact de sa main. La maison était silencieuse. Il monta dans sa chambre, l'esprit et le cœur en ébullition. La journée avait été un tourbillon de sensations nouvelles : les rires partagés avec Julien, le regard admirateur de sa mère, la tendresse de Day.
Il attrapa le téléphone de l'autre monde, toujours caché sous un t-shirt dans un tiroir. L'écran était noir, muet. Pour la première fois, en le regardant, il ne sentit pas l'étreinte de la peur, mais une vague de pitié pour le Smith de l'autre côté, celui qui était encore coincé sous la pluie, dans sa voiture.
Il avait pris sa décision. Un mois. Un mois pour vivre, pour aimer, pour être aimé. Un mois pour être, enfin, lui-même.
Il se coucha, un sourire aux lèvres, s'abandonnant à la douce fatigue du bonheur. Pour la première fois de sa vie, il s'endormit en sachant, sans l'ombre d'un doute, qu'il était aimé. Et pour cette nuit, c'était suffisant. C'était tout.
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