Je n'avais jamais été du genre à croire aux miracles. Pas plus que je ne croyais au destin. Pourtant, j'étais en train de le vivre, ce fameux «miracle» dont on parle dans les romans: me retrouver dans un univers de fiction, celui de Katekyō Hitman Reborn!.
Ça ne s'était pas produit par un rituel magique ou une étrange lumière qui m'aurait happée dans mon sommeil. Non. Je m'étais simplement réveillée un matin... et j'étais Tsunayoshi Sawada.
Ou du moins, j'occupais son corps.
Je n'étais pas un garçon de quatorze ans en échec scolaire. J'étais une femme de presque vingt-cinq ans, fatiguée du monde réel, désabusée par mes propres expériences, et soudain plongée dans la peau d'un adolescent japonais que tout le monde appelait «Dame-Tsuna».
Le plafond familier de sa chambre me fixait de ses craquelures insignifiantes, et la première chose que je ressentis fut l'étrangeté de ce corps. Plus petit. Plus maigre. Plus fragile aussi. J'avais déjà l'impression qu'un simple coup de vent me ferait tomber.
Un soupir m'échappa.
— Génial... Pas assez que ma vie était compliquée, il fallait que je tombe dans celle d'un gamin martyrisé et destiné à devenir le parrain de la mafia Vongola.
Et ce n'était pas le pire. Le pire, c'était que je savais ce qui allait arriver demain.
Reborn.
Le plus grand tueur à gages du monde. Le bébé mafieux qui débarquerait chez moi pour faire de ma vie un enfer.
Je roulai sur le côté, fixant le mur couvert d'affiches scolaires banales, et laissai mon esprit vagabonder.
Je n'étais pas Tsuna. J'avais ses souvenirs en vrac, comme des images superposées aux miennes, mais mon esprit restait le mien. Je n'avais jamais été à l'aise en société, incapable de décoder correctement les expressions faciales. Les sourires me paraissaient suspects, les regards trop longs m'agaçaient, et les sous-entendus me passaient au-dessus de la tête. On m'avait toujours dit que j'étais trop froide, trop distante, comme si j'étais dépourvue de compassion. En réalité, j'étais sélective: je pouvais être extrêmement attachée à ceux qui comptaient vraiment, mais les autres... disons que leur existence me laissait indifférente. Sauf les enfants. Eux, je les adore. Je suis toujours très gentille avec eux.
Tsuna, lui, était trop gentil, trop malléable. Il disait oui à tout le monde, et ça me donnait envie de le secouer. À présent que j'étais dans sa peau, il était hors de question de répéter ses erreurs.
— Je refuse, murmurai-je en fixant le plafond. Je refuse que Gokudera, Yamamoto, Sasagawa ou même ce fichu Lambo soient mes gardiens.
Je savais que ça poserait problème. Dans le canon, ils avaient un rôle crucial. Mais moi, je n'avais aucune affinité avec eux. Gokudera et son obsession toxique pour «Juudaime» me sortait par les yeux. Yamamoto, avec son sourire niais et son déni complet de la réalité, m'agaçait plus qu'autre chose. Il me donnait l'impression qu'il pouvait être tué à la moindre erreur parce qu'il pensait que c'était un jeu au lieu d'être la réalité. Sasagawa, aussi bruyant qu'un haut-parleur mal réglé, me donnait des migraines. Quant à Lambo... je ne supportais pas l'idée de confier ma vie à un gamin capricieux de cinq ans. Non pas que je ne pouvais pas m'attacher à lui mais c'est un enfant de cinq ans.
Non. Hors de question.
Je voulais Hibari. Mukuro. Chrome. Même Ryohei adulte peut-être, à la limite, mais certainement pas ses gémissements de gamin surexcité.
Je me redressai, m'assis au bord du lit et frottai mon visage entre mes mains.
Il me fallait un plan.
Parce que demain, tout commençait.
⸻
Je descendis dans la cuisine de la maison Sawada. Nana — ma «mère» désormais — me salua avec son éternel sourire chaleureux. Je ne pus m'empêcher de la fixer quelques secondes. Elle avait la douceur d'un personnage trop pur pour cet univers cruel. Elle ignorait totalement dans quoi son fils était destiné à tomber, et une part de moi se brisa un peu en la voyant s'affairer à préparer le petit-déjeuner comme si de rien n'était.
— Tsuna-chan, tu es debout plus tôt que d'habitude! fit-elle gaiement.
Je me contentai de hocher la tête, incapable de jouer pleinement le rôle.
— ... Oui.
Elle ne sembla pas remarquer mon ton sec. Nana avait cette capacité surnaturelle de tout positiver, même les pires maladresses.
Je m'assis, pris machinalement une bouchée de riz. L'habitude du corps faisait le reste. Mais mon esprit, lui, était ailleurs.
Demain.
Demain, Reborn débarquerait. Et si je ne voulais pas répéter l'histoire, il faudrait que je lui montre immédiatement que je n'étais pas le Tsuna pathétique qu'il croyait.
Je réfléchis à tout ce que je savais. Les Vongola étaient une famille ancienne, enracinée dans l'Italie mafieuse, avec une lignée de gardiens liés par les flammes du ciel. J'avais lu assez de livres sur les légendes et les anciennes religions pour comprendre les symboliques derrière ces flammes: soleil, nuage, tempête, pluie, foudre, brume. Une cosmologie à part entière.
Et moi, j'avais hérité du «Ciel».
Le Ciel, le liant, celui qui rassemblait tous les autres. C'était ironique, vu mon incompétence sociale. Mais en même temps, c'était logique: je pouvais m'attacher profondément, intensément, et ceux que je choisissais... je ne les lâchais plus.
Je posai mes baguettes et fixai ma mère.
— ... Maman, si quelqu'un venait un jour pour m'entraîner... tu voudrais que je devienne fort?
Elle rit doucement, comme si j'avais fait une blague.
— Bien sûr, Tsuna-chan! De toute façon, tu es déjà très spécial.
Ses mots résonnèrent étrangement. Spécial. Pas «normal». Pas «ordinaire». Spécial.
Je terminai mon repas en silence.
⸻
La journée passa dans un flou étrange. Le collège, les moqueries des camarades, le professeur qui me réprimandait sans conviction. Tout cela me paraissait insignifiant comparé à ce qui se préparait.
Je n'étais pas Tsuna. Je n'étais pas ce gamin que tout le monde rabaissait. J'étais moi, avec mes vingt-cinq ans d'expérience, mes blessures, mes obsessions et mon intelligence. J'avais toujours eu un QI anormalement élevé, capable d'absorber des tonnes d'informations. Mais ce cadeau venait avec sa malédiction: l'incapacité à «fonctionner» normalement avec les autres. Les blagues m'échappaient, les gestes implicites m'agaçaient, et je finissais toujours par dire ce qu'il ne fallait pas.
Alors quoi? Je devais devenir un boss de la mafia? Moi, qui avais du mal à gérer une simple conversation?
Un rire amer m'échappa.
Et pourtant, je savais que je le pouvais. Parce qu'un boss n'avait pas besoin d'être aimé de tous. Un boss devait être craint, respecté, écouté. Et ça, je pouvais le faire.
Le soir, de retour dans la chambre de Tsuna, je me laissai tomber sur le lit. La lune filtrait par la fenêtre, argentée et implacable.
— Reborn, murmurai-je. Demain, tu viens me briser. Mais je te préviens... je ne suis pas ton jouet.
Je n'étais pas Tsuna.
J'étais moi.
Et cette histoire, je comptais bien la réécrire à ma manière.
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