Le soleil de Bangkok chauffait les vitres du lycée Saengthong en cette fin d’après-midi, projetant une lumière dorée sur les couloirs presque vides. Lay, élève de terminale en section scientifique, se dépêchait de rendre un dossier au bureau de la vie scolaire. Fils d’un mécanicien et d’une couturière, il avait appris tôt que l'effort était sa seule monnaie d'échange. Chaque note comptait, chaque minute était planifiée. Pas de place pour les distractions.
Mais le destin, lui, n’aime pas qu’on lui impose des règles.
En sortant du bureau, Lay prit un raccourci à travers la salle de musique, espérant éviter l'agitation du club de théâtre qui répétait dans l’auditorium voisin. Il s’attendait à une pièce vide. Au lieu de cela, il tomba sur Perth.
Assis devant le piano, Perth semblait absorbé par sa mélodie. Les doigts glissaient sur les touches avec une aisance naturelle. Son dos droit, ses épaules détendues, et ce visage si expressif… Lay n’eut pas le réflexe de reculer. Perth s’arrêta de jouer sans se retourner.
— Tu peux entrer, tu sais, dit-il d’une voix calme, presque douce.
Pris au dépourvu, Lay s’excusa à demi-mots et s’apprêta à sortir.
— Reste. Je joue mieux quand j’ai un public, ajouta Perth avec un sourire léger.
Lay s’avança, s’assit sur un banc près du mur et resta silencieux. Perth reprit sa mélodie, plus lente cette fois. Quelque chose dans cet instant était étrange. Paisible. Troublant.
Perth, fils d’un riche homme d’affaires influent, était connu dans tout le lycée. Beau, charmeur, excellent dans presque tout ce qu’il entreprenait, il semblait pourtant souvent ailleurs. Il n'avait jamais parlé à Lay auparavant. Mais ce jour-là, il lui demanda soudain :
— Tu veux essayer ?
Lay secoua la tête.
— Je ne joue pas.
— Tu veux apprendre ?
Le regard de Perth était franc. Intrusif. Lay ne répondit pas, mais ses joues rosirent malgré lui.
***
Dehors, Tan, élève en section sportive, terminait l'entraînement de basket. Il repéra Lay à travers la fenêtre de la salle de musique et s'arrêta. Il fronça les sourcils en voyant Perth s’asseoir trop près de lui. Tan connaissait Lay depuis des années, et bien qu’il n’ait jamais osé le lui dire, il ressentait pour lui plus qu’une simple amitié.
— Il se passe quoi là ? murmura-t-il à lui-même.
Plus tard, dans les vestiaires, Tan en parla à Ram.
— T’as vu Lay avec Perth ?
Ram, un garçon calme, sérieux et souvent silencieux, hocha la tête.
— C’est rien, dit-il. Peut-être qu’ils se sont juste croisés.
— Perth ne “croise” jamais les gens par hasard. Il choisit. Et j’aime pas ce que je vois.
***
Le lendemain, les rumeurs allaient déjà bon train. Momo, grande bavarde et présidente du club de théâtre, s’était vantée d’avoir aperçu “un moment ultra intime” entre Lay et Perth. À ses côtés, Nanong, plus discrète, l’écoutait en silence, jetant parfois un regard inquiet vers Lay au fond de la classe.
Pendant la pause déjeuner, Lay retrouva ses habitudes, assis près de la fenêtre, seul avec son sandwich. Mais son cœur n’était pas calme. Il repensait au toucher des touches de piano, au regard de Perth, à ce sourire. Il ne comprenait pas pourquoi cela l’affectait autant.
C’est alors que Perth s’approcha de sa table, une boîte de jus à la main.
— Tu veux bien qu’on mange ensemble ?
Les regards se tournèrent. Un silence tendu s’abattit dans la classe. Lay hésita, puis hocha la tête.
Perth s’assit, comme si tout était normal.
— J’ai aimé te voir écouter hier. Ça faisait longtemps que quelqu’un me regardait sans attente.
Lay ne répondit pas. Il avait la gorge sèche. Tout en lui lui criait de fuir. Et pourtant, il resta.
***
De leur côté, May et Ling, deux amies proches de Perth, observaient la scène de loin. May, artiste talentueuse et très proche de Perth, fronçait les sourcils.
— Il agit bizarrement avec ce garçon, non ? demanda-t-elle.
— Ou différemment, corrigea Ling avec un léger sourire. Peut-être que ça le rend humain.
***
Ce soir-là, l’orage éclata au-dessus de Bangkok. Lay, comme toujours, quitta le lycée en dernier après un passage à la bibliothèque. Il n’avait pas pris de parapluie.
En descendant les escaliers, il vit Perth l’attendre près du portail.
— Je savais que t’oublierais un parapluie, dit-il en riant doucement.
Il ouvrit le sien. Ils marchèrent ensemble sous la pluie battante, si près que leurs bras se frôlaient à chaque pas. Lay n’osait parler.
Arrivé à l’arrêt de bus, Perth se tourna vers lui.
— Lay… Tu m’intrigues. Et c’est rare.
Puis il s’éloigna, laissant Lay seul, trempé, bouleversé.
Le soir, une notification s’afficha sur le téléphone de Lay :
*Perth : “Je crois que je veux te connaître. Pour de vrai.”*
Lay relut le message cinq fois. Un monde qu’il n’avait jamais imaginé venait de s’ouvrir sous ses pieds.
Le lendemain matin, Lay se réveilla plus tôt que d’habitude. Toute la nuit, il avait pensé au message de Perth. Il l’avait lu, relu, mais n’avait pas répondu. Pas parce qu’il n’en avait pas envie… mais parce qu’il ne savait pas quoi dire. Perth était un monde à part. Lui, il n’était que Lay. Un garçon discret qui passait inaperçu.
Au lycée, Lay évita soigneusement les regards. Mais bien sûr, Perth n’en avait rien à faire des regards.
Il entra dans la classe de Lay en plein cours, un prétexte en main — un devoir à remettre, un livre à emprunter. Mais son regard allait droit vers Lay. Il lui adressa un sourire discret. Lay détourna les yeux.
Dans le couloir, quelqu’un attendait Perth : un garçon au regard perçant, grand, vêtu d’une chemise simple et d’un jean. Alex.
— Tu t’accroches, hein ? dit Alex en marchant à ses côtés.
Perth sourit.
— Il est différent.
— Je te connais, Perth. Tu t’intéresses rarement pour rien.
— Justement. Avec lui, j’ai l’impression que ce n’est pas pour rien.
Alex le fixa longuement. Il connaissait Perth mieux que personne. Depuis l’enfance, ils avaient tout traversé ensemble : les drames familiaux, les attentes sociales, les masques qu’il fallait porter pour survivre dans ce monde de façade.
— Tu sais que si tu vas trop loin, tu risques de le blesser, dit-il simplement.
— Et si c’était moi qui risquais d’être blessé ? répondit Perth dans un souffle.
***
Pendant ce temps, Lay se retrouvait dans la bibliothèque avec Ram. Ram, qui avait toujours été là. Présent. Silencieux. Attentif.
— Il te tourne autour, dit Ram, sans le regarder.
Lay ne répondit pas.
— Et toi, tu ne sais pas quoi en penser.
— Je ne sais même pas pourquoi il me parle, admit Lay.
— Peut-être qu’il t’a vu. Vraiment vu.
Lay le regarda, surpris.
— Comme toi tu vois les autres. Tu observes, tu juges pas. Peut-être qu’il a remarqué ça.
Ram était l’un des rares à vraiment comprendre Lay. Il ne posait pas trop de questions. Il proposait des silences confortables.
***
À la cafétéria, Alex retrouva May et Ling. Momo et Nanong les rejoignirent peu après, apportant avec elles la rumeur du jour.
— Apparemment, Perth a demandé à Lay de le rejoindre après les cours, lança Momo avec excitation.
— C’est pas un peu rapide, ça ? dit Nanong.
— C’est Perth, répondit May. Il fonce, il réfléchit après.
Alex écoutait, sans réagir. Mais au fond, il veillait. Il savait que Perth jouait un jeu qu’il ne contrôlait peut-être pas encore.
***
À la sortie des cours, Perth attendait Lay près du vieux terrain de foot désaffecté. Un endroit calme, à l’écart des regards. Lay arriva, un peu hésitant.
— Tu m’as pas répondu, dit Perth doucement.
— Je savais pas quoi dire.
Perth haussa les épaules.
— Tu pouvais dire “je sais pas”... c’est déjà une réponse.
Ils restèrent un moment en silence.
— Tu veux qu’on soit amis ? demanda Lay.
— Pas seulement.
Lay sentit son cœur se resserrer.
— Alors tu veux quoi ?
— Je sais pas encore. Mais je veux que tu sois dans ma vie. Et je veux l’être dans la tienne.
Pour la première fois, Lay vit Perth sans défense, sans masque. Juste un garçon sincère. Fragile.
Mais derrière les arbres, deux silhouettes observaient discrètement : Tan et Ram. Tan, furieux, serra les poings. Ram, inquiet, fixait Lay.
***
Plus tard, dans la chambre de Perth, Alex le retrouva assis au bord de son lit, regard perdu.
— Tu t’es livré, hein ? dit Alex en s’asseyant à côté de lui.
— Trop tard pour faire marche arrière.
— Je suis là, dit Alex. Comme toujours.
Perth le regarda, reconnaissant.
— J’ai peur qu’il s’éloigne… parce que je suis moi.
Alex posa une main sur son épaule.
— Alors montre-lui que ce "toi", il mérite d’être aimé.
***
Ce soir-là, Lay ouvrit un nouveau message de Perth.
*Perth : “Je ne te demande pas d’aimer. Juste d’ouvrir la porte.”*
Lay hésita. Puis, lentement, il écrivit sa première réponse :
*Lay : “Je ne suis pas habitué à ce genre de choses. Mais je peux essayer.”*
Et c’est ainsi que, sans promesse, sans certitude, mais avec une honnêteté rare… commença quelque chose de précieux.
Le lendemain matin, Lay sentit pour la première fois un poids étrange en entrant dans le lycée. Son message envoyé à Perth la veille — une simple phrase — avait ouvert une porte qu’il n’était pas encore prêt à franchir, mais qu’il ne voulait plus refermer.
En cours, Perth lui adressa un regard furtif, pas un sourire éclatant comme à son habitude, mais un regard doux, chargé de reconnaissance. Lay détourna les yeux, le cœur battant.
À quelques rangs de là, Tan ne lâchait pas Perth du regard. Ram, fidèle à lui-même, observait tout en silence, cachant derrière son calme une inquiétude croissante. Il voyait Lay changer, lentement. Et il savait ce que cela impliquait.
***
Alex, quant à lui, sentait le vent tourner. Il restait près de Perth, le protégeant sans le dire, l’encadrant sans étouffer.
— Tu sais que ce ne sera pas simple, dit-il à Perth dans les vestiaires après le sport. Les gens vont parler. Et Lay n’a pas la même carapace que toi.
— Je m’en fiche, répondit Perth. Je préfère ça que continuer à faire semblant avec tout le monde.
— Alors ne le brise pas.
Perth leva les yeux vers lui, sincère.
— C’est moi que j’essaie de réparer en ce moment. Et peut-être que Lay peut m’aider à y arriver.
***
Dans les couloirs, Momo discutait avec excitation avec Nanong.
— Il s’est passé un truc, j’en suis sûre. Lay a changé. Il a… ce petit air ! Tu sais, comme dans les dramas.
— Ou alors il est juste stressé, répondit Nanong, plus réaliste.
May, qui dessinait dans un coin, les écoutait distraitement. Elle gribouilla un profil de Perth… et juste à côté, celui de Lay. Inconsciemment.
Ling, à ses côtés, remarqua le dessin.
— Tu les vois ensemble, toi aussi ?
May ferma son carnet.
— Je ne sais pas si je les vois ensemble… mais je vois qu’ils avancent l’un vers l’autre.
***
Après les cours, Lay trouva une note glissée dans son casier :
*Toi. Moi. Salle de musique. 17h.*
Il hésita longtemps. Puis il y alla.
La salle était vide. Seul Perth l’attendait, assis au piano. Lorsqu’il le vit entrer, il ne parla pas tout de suite. Il joua quelques notes, puis s’arrêta.
— Tu sais, dit-il, j’ai passé des années à dire ce qu’on attendait que je dise. À sourire parce que c’était plus simple que d’être honnête. Mais avec toi… j’ai pas envie de tricher.
Lay s’approcha, lentement.
— Et si moi je ne sais pas comment être… ce que tu cherches ?
Perth se leva, se rapprocha à son tour. Ils n’étaient plus qu’à un mètre.
— Je ne cherche rien. Je découvre. Et je veux te découvrir, toi.
Silence. Un long moment. Puis Lay murmura :
— Alors apprends doucement.
Perth sourit.
— Promis.
***
Mais dehors, dans le couloir adjacent, une silhouette avait tout entendu. Tan. Il tourna les talons, furieux. Il ne comprenait pas pourquoi ça le blessait autant. Il aurait voulu être celui à qui Lay s’ouvrait. Et maintenant, il se sentait invisible.
Ram retrouva Tan quelques minutes plus tard, accoudé à une rambarde.
— Tu l’aimes ? demanda-t-il.
Tan ne répondit pas tout de suite.
— Je voulais juste qu’il me voie, moi aussi.
Ram hocha la tête.
— Alors ne lui fais pas porter ta colère.
Tan le fixa.
— Et toi, t’as jamais rien ressenti ?
Ram répondit, les yeux dans le vide :
— Si. Mais j’ai appris à me taire avant que ça fasse mal.
***
Plus tard dans la soirée, Perth et Alex s’étaient retrouvés sur un toit, là où ils allaient souvent depuis l’enfance. Ils regardaient les lumières de Bangkok scintiller.
— Tu l’aimes déjà, hein ? demanda Alex.
Perth ne répondit pas. Il soupira.
— Il me fait peur. Pas parce qu’il est impressionnant. Mais parce qu’il me donne envie d’être meilleur.
— Alors fonce, dit Alex. Mais fais-le avec ton cœur, pas avec ton égo.
***
Ce soir-là, Lay reçut une vidéo. Perth avait enregistré une courte mélodie au piano. En légende :
*“C’est ce que tu m’inspires.”*
Lay n’écrivit rien. Mais il la réécouta dix fois. Puis vingt. Puis il ferma les yeux… et sourit.
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