Chapitre 1 : La pluie aux yeux d’or

Cela faisait sept jours que la pluie tombait sans relâche sur le petit village de Yunhai, niché au creux des montagnes brumeuses. Elle n’était ni violente ni destructrice, mais constante, mélancolique, comme si le ciel lui-même pleurait un souvenir oublié. Les anciens disaient que c’était un signe. Les plus superstitieux ne quittaient plus leur maison.

Et au matin du huitième jour, sous cette pluie obstinée, Li Mei naquit.

Elle était fragile, silencieuse. Elle ne pleura pas. Mais lorsqu’elle ouvrit les yeux, la sage-femme recula d’un pas.

Ses iris n’étaient ni noirs, ni bruns, ni bleus. Ils étaient dorés, comme forgés dans la lumière d’un soleil ancien.

— "L’enfant du ciel," murmura la vieille. "Ou du feu."

Ses parents moururent quelques semaines plus tard dans un glissement de terrain. Aucun survivant dans leur maison. Sauf elle. On la retrouva indemne, endormie au milieu des décombres, un halo tiède autour de son petit corps. Dès lors, personne ne voulut l’adopter. Les rumeurs grandirent. On disait qu’elle portait un esprit ancien, qu’elle était une créature déguisée, un présage de fin ou de renouveau.

Elle grandit dans le silence et l’observation, élevée par les moines du temple de Nuage-Vert, en haut de la colline. Ils l’appelèrent "Li Mei", ce qui signifie Beauté du Secret.

À seize ans, elle était devenue une jeune fille discrète, douce mais solitaire. Elle parlait peu. Ria rarement. Mais partout où elle passait, le vent changeait, les feuilles tremblaient, et les torches vacillaient.

Elle ne comprenait pas pourquoi. Et personne ne lui expliquait rien.

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Un soir, alors qu’elle cueillait des plantes près de la rivière, elle vit son reflet dans l’eau. Ses yeux dorés brillaient sous la lune, plus intensément que jamais. Puis, soudain, le reflet changea.

Elle ne vit plus une fille.

Elle vit un dragon aux écailles d’or et d’argent, immense, majestueux… et seul.

Elle sursauta, recula, et l’image disparut. Le silence revint.

Ce soir-là, elle ne dormit pas.

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Peu de temps après, un phénomène étrange secoua Yunhai. Une aube rouge couvrit le ciel pendant plusieurs heures. Les enfants pleuraient sans raison, les animaux fuyaient vers les collines, et les statues du temple suintaient une fine poussière noire.

Au sommet du temple, un vieil homme — Maître Jinhai, le plus ancien des moines — observait l’horizon avec inquiétude. Il tenait un vieux parchemin à moitié brûlé. Il le relut, une fois encore :

> “Quand le ciel pleurera sans fin,

une âme dorée se lèvera.

Ni bête, ni humaine,

mais née du feu d’avant le temps.

Elle portera la mémoire du ciel,

et le monde tremblera à son souffle.”

Il ferma les yeux.

— "Elle est revenue."

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À cet instant, dans sa petite chambre, Li Mei se leva d’un bond, le cœur battant. Elle ne savait pas pourquoi… mais elle devait monter au temple. Maintenant.

Et dans les cieux, quelque chose s’éveilla.

Chapitre 2 : Le Souffle du Passé

Li Mei gravit les marches du temple sans vraiment sentir ses jambes. Il était près de minuit, mais la lune éclairait chaque pierre comme si elle l’attendait. Le vent soufflait fort, mais il ne l'arrêtait pas. Au contraire, il semblait la pousser vers l'avant, comme une force invisible la guidant à travers la nuit.

Au sommet, Maître Jinhai l’attendait déjà. Il était là, assis en tailleur devant la grande cloche de bronze, les yeux fermés, comme s’il avait senti sa venue bien avant qu’elle ne décide de venir.

— "Tu es venue plus tôt que prévu," dit-il sans ouvrir les yeux.

Li Mei s’arrêta, haletante, le cœur battant à tout rompre.

— "Quelque chose m’a appelée. J’ai vu… un dragon."

Jinhai se leva lentement, comme s’il portait mille années sur ses épaules.

— "Ce n’était pas un rêve. Ce que tu as vu… c’est toi."

Li Mei recula, incrédule.

— "Qu’est-ce que vous racontez ?"

— "Tu portes en toi une mémoire ancienne. Un feu qui ne s’est jamais éteint. Tu ne l’as pas encore compris… mais ton âme n’est pas née avec ce corps."

Il l’invita à le suivre à travers un couloir secret du temple, derrière un rideau de soie poussiéreux. Ils descendirent un escalier étroit, taillé dans la pierre. À mesure qu’ils s’enfonçaient dans les profondeurs, l’air changeait. Plus dense. Plus chargé. Comme si chaque pierre transpirait une magie oubliée.

Ils débouchèrent dans une salle circulaire, au plafond voûté couvert de constellations peintes à la main. Au centre, un brasier blanc flottait dans l’air, sans brûler quoi que ce soit. Sa lumière était douce, mais si intense qu’elle semblait murmurer aux os.

— "Voici la Flamme Primordiale," dit Jinhai. "Elle contient les fragments de l’âme du Dragon Céleste."

— "Le Dragon Céleste…" murmura Li Mei.

— "Il y a mille ans, il protégeait l’équilibre du monde. Il n’était pas qu’une bête ailée. Il était l’harmonie, l’ordre, la voix du ciel. Mais quand l’humanité a commencé à rompre l’équilibre, à jouer avec des forces qu’elle ne comprenait pas… il s’est levé. Pas pour détruire. Pour sacrifier."

Jinhai ferma les yeux un instant, comme pour retenir un souvenir trop grand.

— "Il a affronté le Chasseur d’Âmes, un esprit noir créé par la soif de pouvoir des hommes. Et pour l’enfermer, le Dragon s’est scellé avec lui dans les confins du monde. Mais avant de disparaître, il a dispersé son essence… dans le temps. Et aujourd’hui, elle s’est réincarnée en toi."

Li Mei tremblait. Tout son être semblait résonner avec ces mots.

Elle s’approcha de la flamme. Lorsqu’elle tendit la main, elle entendit… des voix. Une langue ancienne, chaude comme la lave et douce comme le vent. Les flammes tournèrent autour d’elle. Elle ne bougeait plus. Elle se souvenait.

Des ailes.

Des cieux.

Des cris.

Du feu.

Elle vit son corps ancien, immense et doré, planer au-dessus d’une mer de nuages. Et puis… elle vit le visage du Chasseur. Vide. Froid. Affamé.

Elle sursauta, tombant à genoux. La flamme s’éloigna d’elle, comme satisfaite.

Jinhai posa une main sur son épaule.

— "Ce n’est que le début. Tu dois maintenant te souvenir de tout. Et pour cela, tu dois retrouver les Trois Sceaux."

Li Mei releva les yeux.

— "Et si je refuse ? Si je choisis de rester humaine ?"

— "Alors le monde s’effondrera une seconde fois. Et cette fois… il n’y aura plus personne pour le sauver."

Au loin, dans une vallée oubliée, une ombre ouvrit les yeux. Une énergie noire parcourut la terre comme un serpent. Le Chasseur avait senti l’éveil.

Et il était prêt.