Eline serra son sac de danse entre ses mains, les yeux fixés sur le bâtiment devant elle. L’académie danse luminaire "Art Motion" ressemblait à un immense bloc de verre et de métal, brillant sous les rayons du soleil matinal. À peine sortie du taxi, l’adrénaline l’envahissait, et ses jambes semblaient plus légères qu’elles ne l’étaient vraiment. Mais c’était une légèreté trompeuse.

Respire, Eline, respire. Elle se répéta cette phrase encore et encore, comme une sorte de mantra. C’était sa première vraie journée dans une académie de danse prestigieuse, et même si elle en rêvait depuis des années, elle se sentait soudainement insignifiante face à tout ce qui l’entourait.

Elle marcha lentement vers les portes imposantes, se sentant petite, presque invisible. Les élèves qui passaient autour d’elle étaient élégants, concentrés, tous comme des professionnels. Mais elle… elle n’était qu’une simple fille de province qui avait été repêchée après un concours local.

À peine avait-elle franchi les portes que la taille du bâtiment la submergea. Des couloirs immenses s’étendaient devant elle, bordés de portes vitrées, où des groupes de danseurs s’échauffaient ou se préparaient pour leurs cours. Elle était perdue, mais elle n’avait pas le temps de s’attarder sur ses doutes. Un bruit de pas s’approcha d’elle.

— “Nouvelle ?”

Une voix douce, mais ferme, s’éleva derrière elle. Eline se retourna et se retrouva face à une fille aux cheveux courts et au regard pétillant, qui lui tendait la main.

— “Moi c’est Lina. Toi ?”

— “Eline…” Elle serra sa main, un peu timide, se demandant si elle pourrait vraiment trouver sa place ici.

— “Allez, je vais te montrer où tu dois aller. T’inquiète, tu vas t’y faire. Tout le monde a l’air perdu le premier jour.”

Lina la guida dans les couloirs, passant devant des salles de danse, des étudiants qui s’échauffaient, d’autres qui riaient ou révisaient des chorégraphies. Chaque salle semblait vibrer d’énergie et de passion. Eline ne put s’empêcher de sourire, même si une petite voix dans sa tête lui disait qu’elle n’était pas encore prête pour ce monde.

Ils arrivèrent devant une grande porte vitrée, et Lina s’arrêta.

— “Regarde là-bas.” Elle désigna un jeune homme dans le fond de la salle, en train de faire des étirements. Il était grand, ses cheveux noirs un peu en bataille, et son regard concentré sur ses mouvements. Ses gestes étaient précis, fluides, presque hypnotiques.

— “Tu vois ce gars ? C’est Naël. Le danseur star de l’académie.”

Eline cligna des yeux. Naël. Un nom qui résonnait déjà dans l’air. Elle observa chaque geste, chaque mouvement, fascinée. Il avait quelque chose de magnétique, d’inaccessible.

Tout à coup, Naël tourna légèrement la tête et leurs regards se croisèrent. Ce fut un instant fugace, mais Eline sentit une étrange chaleur envahir ses joues. Elle détourna les yeux rapidement, le cœur battant plus fort qu’il ne l’avait jamais fait.

Lina rit doucement, comme si elle avait compris ce qui venait de se passer.

— “Ouais, tout le monde a cet effet-là sur Naël.”

Eline tenta de sourire, mais son esprit était ailleurs, capturé par ce regard qui semblait la suivre même après qu’il ait détourné les yeux. Elle ne savait pas encore ce que cela signifiait, mais elle se sentait déjà liée à ce monde et à cette académie d’une manière qu’elle n’aurait pas pu expliquer. Tout allait changer, mais pour l’instant, elle n’avait aucune idée de ce qui l’attendait.

Eline passa la semaine suivante à observer Naël à distance. Chaque mouvement qu’il faisait semblait parfait, chaque geste était une danse fluide, sans effort. Il était le genre de danseur qui attirait tous les regards, et pourtant, il restait comme un iceberg : distant, glacial. Eline ne pouvait s’empêcher de le regarder, fascinée par sa maîtrise et son charisme. Mais en même temps, il y avait quelque chose de… inaccessible chez lui, comme s’il appartenait à un autre monde.

Lors d’une répétition en groupe, Eline eut la chance de le voir en action. Il était au centre de la salle, ses mouvements d’une précision absolue, comme s’il appartenait à une autre dimension. Ses pieds effleuraient le sol avec une telle grâce que la danse semblait être une extension naturelle de lui-même. Même les autres danseurs semblaient le suivre sans effort, comme s’ils étaient simplement là pour l’accompagner dans son spectacle.

“Tu vas bien, Eline ?” Lina lui demanda, le visage inquiet.

Eline secoua la tête, essayant de cacher son malaise. “Ouais… C’est juste que… Naël, il est tellement…”

“Intense ?” Lina haussait les épaules. “Tu t’y feras. Il est comme ça avec tout le monde. L’intensité, c’est sa signature.”

Mais Eline n’était pas sûre qu’elle en avait envie. Pourquoi se sentait-elle si attirée par lui, même s’il semblait aussi inaccessible qu’un rêve ? Chaque fois qu’il passait près d’elle, son cœur s’emballait, ses mains devenaient moites. Mais jamais il ne lui adressait la parole, jamais un sourire. Juste des regards glacés et des silences. Pourtant, au fond d’elle, elle sentait que derrière cette façade, il y avait quelque chose de plus. Une douleur, peut-être. Un mystère qu’elle n’arrivait pas à percer.

Ce soir-là, alors qu’elle se préparait pour sa dernière répétition de la journée, elle croisa Naël dans le couloir. Il ne la remarqua même pas, trop absorbé par ses pensées, marchant d’un pas rapide, les yeux fixés droit devant lui. Mais lorsqu’il tourna la tête et que leurs regards se croisèrent, quelque chose se produisit. Eline sentit une connexion étrange, inexplicable. Naël la fixa quelques secondes avant de détourner le regard, comme s’il avait remarqué quelque chose chez elle… ou qu’il en avait simplement eu assez.

Eline resta figée dans le couloir, son cœur battant à toute allure. “Pourquoi moi ?” se demanda-t-elle. Pourquoi elle, et pas les autres danseuses autour de lui ? Elles étaient toutes belles, gracieuses, expérimentées. Alors pourquoi elle ? Elle ne s’était jamais sentie particulièrement remarquable. Un battement de cœur en plus, un frisson le long de sa peau, et elle sentit sa respiration se couper.

Lina, qui l’avait suivie dans le couloir sans qu’elle ne s’en aperçoive, la regarda avec un sourire en coin. “Tu sais, il ne le fait pas souvent. Ce genre de regard. Alors, je ne sais pas si c’est une bonne chose ou non.”

Eline tourna la tête vers elle, surprise. “Tu veux dire que… ça veut dire quelque chose ?”

“Tout dépend de ce que tu veux que ça signifie.” Lina haussait les épaules, comme si cela n’était qu’une question de perspective. “Il ne fait confiance à personne facilement, tu sais. Alors si tu as attiré son attention, tu es déjà un peu spéciale à ses yeux.”

Eline n’eut pas le temps de répondre. Un cri retentit soudain de la salle de danse, et elles se précipitèrent toutes les deux à l’intérieur. Mais, même pendant la répétition, Eline ne pouvait pas se débarrasser de la sensation étrange qui la traversait. Naël l’avait regardée. C’était plus qu’un simple regard. C’était comme s’il avait vu quelque chose en elle, quelque chose qu’elle-même n’avait même pas encore compris.

Elle se concentra sur sa danse, essayant de repousser la pensée qui tournait dans sa tête. Mais plus elle pensait à lui, plus elle avait l’impression que sa propre danse devenait plus fluide, plus naturelle. Était-ce possible que, d’une manière ou d’une autre, il l’ait déjà changée ?

La cafétéria bourdonnait d’excitation. Ce matin-là, tous les élèves étaient rassemblés autour du grand panneau d’affichage électronique, leurs regards rivés sur les annonces du jour.

Eline, encore fatiguée de ses échauffements matinaux, sirotait une bouteille d’eau en silence, assise avec Lina à une table du fond.

— T’as entendu parler du concours du gala ? demanda Lina, les yeux pétillants.

— Le gala ? répéta Eline, surprise.

— C’est un événement énorme ici. Chaque année, l’académie organise un concours de duos pour la performance d’ouverture. Seuls les meilleurs sont choisis. Les duos sont tirés au sort, et ensuite… c’est chacun pour soi. Enfin, à deux.

Eline hocha la tête, pas certaine d’avoir envie d’y participer. Elle était encore nouvelle. Pas prête.

Mais à cet instant, le panneau clignota, et une voix retentit dans les haut-parleurs.

— « Résultats du tirage au sort pour la sélection des duos du gala. Merci de consulter la liste officielle. »

Les élèves se levèrent d’un bond, courant vers l’écran. Eline suivit timidement, poussée par Lina.

Les noms défilaient.

Lina bondit en riant.

— Je suis avec Hugo ! Génial !

Eline fronça les sourcils, glissant son regard le long de la liste.

Et là, son cœur s’arrêta.

Naël Soren — Eline Duval

— C’est… une blague ? murmura-t-elle.

Lina, qui lisait par-dessus son épaule, écarquilla les yeux.

— Oh. Mon. Dieu. Tu vas danser avec Naël ?!

Eline resta figée. Le sang battait à ses tempes. Elle sentit tous les regards se tourner vers elle. Chuchotements. Murmures. Curiosité.

— Tu sais ce que ça veut dire ? continua Lina, à la fois excitée et inquiète. Il n’a jamais fait de duo avec une nouvelle. Jamais.

Eline était incapable de répondre. Ses jambes tremblaient. Elle sentit un frisson lui parcourir le dos.

— C’est peut-être une erreur, dit-elle enfin.

Mais au fond d’elle, elle savait que non. C’était écrit noir sur blanc. Son nom, juste à côté du sien.

Elle leva les yeux et vit Naël, à l’autre bout de la pièce. Il lisait la liste sans expression, impassible. Puis son regard se tourna vers elle.

Leurs yeux se croisèrent.

Il ne sourit pas. Il ne montra aucune réaction. Juste un léger hochement de tête… presque imperceptible. Puis il se détourna et quitta la pièce.

— Tu viens de décrocher la pire ou la meilleure chose qui pouvait t’arriver ici, souffla Lina, un sourire en coin.

Eline se laissa tomber sur une chaise.

Danser avec lui. Naël.

Tout allait commencer.

Et rien ne serait plus jamais comme avant.

Elle respira profondément, comme si l’air lui manquait tout à coup. Un mélange d’angoisse et d’adrénaline vibrait en elle.

Ce duo… c’était peut-être une chance. Ou une tempête à venir.

Elle n’avait plus le choix maintenant. Tout allait se jouer sur cette scène. Pas seulement sa place à l’Académie, mais peut-être bien plus que ça.

Un lien, un combat, une révélation.

Et face à Naël, elle n’avait plus qu’une seule chose à faire.

Danser.

Elle resta encore un moment seule dans la salle, les yeux perdus dans les miroirs.

Le reflet qu’elle voyait… ce n’était plus la même Eline que le premier jour.

Celle-ci avait peur, oui. Mais elle était prête à affronter l’inconnu.

Un sourire discret se dessina sur ses lèvres.

Naël n’avait qu’à bien se tenir.