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Reinan : Les Sirènes Du Soleil Levant

Chapitre 1: Les Prévisions de Taro

Dans un petit village de pêcheurs niché au bord de la mer du Japon, vivait un jeune garçon du nom de Taro. Doué d’un véritable talent pour la pêche, il parvenait à subvenir à ses besoins grâce à sa seule persévérance.

Orphelin depuis sa naissance, il n’avait jamais connu ses parents. Il avait toujours vécu seul, mais cela ne l’avait jamais empêché de sourire à la vie. Plein d’énergie et de joie, il avançait dans le monde avec un courage admirable.

Chaque jour, il vendait ses prises à un homme qui l’avait vu grandir. Cet homme, chaleureux et constant, était la seule figure paternelle que Taro ait jamais connue.

Ce matin-là, comme à son habitude, Taro se rendit au petit restaurant de ce vieil ami, un panier rempli de poissons frais sous le bras.

— Bonjour, Monsieur Fujisawa, lança-t-il joyeusement.

Le vieil homme, affairé derrière son comptoir, se retourna aussitôt, un large sourire aux lèvres.

— Ah, bonjour Taro. Comment vas-tu, mon petit ?

— Je vais très bien, je suis en pleine forme, répondit le garçon avec entrain.

— Je suis ravi de l’apprendre, mon petit.

Taro tendit le panier à Fujisawa.

— Je vous ai apporté les poissons que vous aviez commandés la dernière fois.

Monsieur Fujisawa jeta un œil au contenu et écarquilla légèrement les yeux, impressionné.

— C’est incroyable ! Beaucoup de pêcheurs ne savent même pas où les trouver, et toi, tu les déniches en deux jours.

Fier de lui, Taro se frotta le nez d’un air espiègle.

— N’oubliez pas que je suis le meilleur pêcheur du village, personne ne peut me rivaliser.

Fujisawa rit doucement, puis désigna l’arrière du restaurant d’un geste de la main.

— Je vois, c’est très aimable de ta part. Tu peux le confier à Nanami, elle est à l’arrière.

— D’accord, je m’en occupe tout de suite.

Taro s’élança gaiement vers l’arrière-boutique, sous le regard attendri de Fujisawa. Dans la cuisine, Nanami s’activait, rangeant la vaisselle avec efficacité. Le garçon s’approcha.

— Bonjour, Nanami.

Elle se retourna, rayonnante.

— Bonjour, mon petit Taro ! Comment vas-tu aujourd’hui ?

— Je vais très bien. Et toi, que fais-tu ?

— Je range ces assiettes, le restaurant va bientôt ouvrir. Et toi, qu’est-ce que tu fais ici si tôt ?

— M. Fujisawa m’a demandé d’apporter ces poissons.

Il lui tendit le panier. Elle en examina rapidement le contenu.

— Merci, Taro, tu es vraiment un garçon adorable.

Elle le rangea avec soin, puis se tourna de nouveau vers lui.

— Viendras-tu manger avec nous ce soir, Taro ?

Le garçon hésita, baissa un peu les yeux.

— Euh, non merci, c’est vraiment très gentil, mais je préfère ne pas me mêler aux gens du village.

Nanami haussa légèrement les sourcils, peinée.

— Taro, tu ne peux pas fuir les gens du village indéfiniment… Tu restes toujours seul, même pour le dîner. Et encore aujourd’hui, tu refuses.

Il détourna le regard.

— Si je venais, je crains d’apporter des problèmes.

— Taro…

Le garçon fit demi-tour.

— Je te laisse, j’ai encore beaucoup de poissons à aller pêcher.

Il s’éloigna, laissant derrière lui une Nanami silencieuse, les mains crispées sur une assiette. Dehors, Taro se dirigea vers sa barque avec sa fidèle canne à pêche. Mais ce qu’il trouva lui serra le cœur.

Sa barque, recouverte de graffitis et de gribouillis, dégoulinait de peinture. Même l’intérieur était souillé.

Une colère mêlée de tristesse s’empara de lui. En se retournant, il aperçut des enfants qui riaient de loin.

— Et vous, vous trouvez ça drôle, bande d’idiots !

Les enfants s’égaillèrent en riant plus fort encore. Taro soupira, déposa sa canne et commença à frotter chaque planche souillée avec ardeur. Le soleil passait lentement dans le ciel quand, enfin, il se redressa, fier de lui.

— Voilà, ma barque est toute belle et toute propre !

Il poussa son embarcation vers l’eau, embarqua et se mit à ramer avec un large sourire. Arrivé au large, il lança sa ligne avec enthousiasme.

Les heures passèrent, et les prises furent nombreuses. Le ciel, pourtant radieux, lui donna soudain un étrange frisson. Une sensation de malaise. Taro leva les yeux vers les nuages immobiles, son front plissé d’inquiétude. Il attrapa un dernier poisson et murmura :

— Eh bien, c’est tout pour aujourd’hui. Je vais rentrer.

Pendant ce temps, au village, le restaurant de M. Fujisawa s’emplissait de voix, de rires et d’odeurs appétissantes. Parmi les clients du jour, Dame Sakura et sa fille entrèrent avec élégance.

— Bonjour, Monsieur Fujisawa.

— Ah, bonjour, Dame Sakura ! Quelle agréable surprise ! Qu’est-ce qui vous amène ici aujourd’hui ?

— Je suis venue récupérer ma commande habituelle. J’espère qu’elle est prête ?

— Oui, elle est prête, on me l’a livrée ce matin.

Il se tourna vers la jeune fille.

— Dis-moi, Rika, pourrais-tu aller chercher le panier chez Nanami ?

— Oui, tout de suite !

Rika s’éclipsa. À peine avait-elle disparu qu’un autre client important fit son entrée : le riche marchand Saï, accompagné de son fils Haru.

— Bonjour, monsieur Fujisawa.

— Ah, monsieur Saï, comment allez-vous aujourd’hui ?

— Je vais très bien, merci.

— Et comment se porte le jeune Haru ?

Le garçon, gêné, protesta.

— Arrêtez de me parler comme à un enfant, je grandis maintenant !

Tous rirent de bon cœur.

— Pardonne-moi, cher Haru, répondit Fujisawa en souriant.

Rika revint à ce moment-là et salua Haru.

— Salut Haru, comment ça va ?

— Je vais bien, Rika. Que fais-tu ici ?

— J’aide ma mère à faire les courses. Et toi ?

— Moi aussi, j’aide mon père.

— Ah, vraiment ? s’étonna Fujisawa.

— Oui, intervint monsieur Saï. Ma femme est malade. Nous sommes venus chercher du poisson pour lui préparer une bonne soupe, cela va l’aider à guérir.

— Je l’espère sincèrement, répondit Fujisawa, en lui remettant un paquet soigneusement emballé. Je vous souhaite un prompt rétablissement pour votre femme.

— Je ne manquerai pas de lui transmettre vos vœux.

Soudain, un cri fendit la rumeur ambiante.

— Monsieur Fujisawa !!!

Tous les regards se tournèrent. Taro, le souffle court, arriva en courant au restaurant.

— Que se passe-t-il, Taro ? Pourquoi cries-tu ainsi ?

— Une grande tempête approche. Vous devriez envisager de fermer votre restaurant dès aujourd’hui.

Un silence. Puis des chuchotements sceptiques s’élevèrent parmi les clients.

— Encore ce jeune garçon… Il ne fait que dire des mensonges. Ne l’écoutez pas, M. Fujisawa.

Dame Sakura fronça les sourcils.

— Une tempête ? Pourtant, le temps est si beau aujourd’hui.

— C’est le calme avant la tempête. Je vous assure que j’ai raison. Croyez-moi, M. Fujisawa.

Nanami surgit de la cuisine.

— Eh bien, si c’est le cas, nous allons fermer plus tôt aujourd’hui.

Monsieur Saï la fixa, étonné.

— Croyez-vous vraiment en ce garçon ?

Nanami hocha la tête, sûre d’elle.

— Oui, je crois fermement en Taro. C’est grâce à lui que notre restaurant est toujours debout aujourd’hui.

Intrigué, Monsieur Saï se tourna vers Taro.

— Dis-moi, mon garçon, comment peux-tu être si sûr qu’il y aura une tempête ?

Taro soutint calmement le regard de l’homme, sa voix douce mais assurée :

— Je ne sais pas vraiment comment l’expliquer… mais je le ressens profondément, au fond de moi. Ce n’est pas rationnel, c’est comme un pressentiment. Quelque chose m’avertit quand un danger approche.

Un silence se fit. Autour de lui, les autres observaient le garçon avec curiosité, intrigués par ses mots et son étrange certitude. Mais l’instant fut brutalement interrompu.

— Dégage, sale gamin maudit ! cria un homme en lançant une tomate qui s’écrasa sur le front de Taro, éclaboussant son visage d’un rouge poisseux.

Nanami se leva d’un bond, indignée :

— Mais enfin, qu’est-ce qui vous prend ? Pourquoi agir ainsi ?!

Taro, sans colère, hocha simplement la tête. Il murmura, d’un ton résigné :

— Ce n’est rien, Nanami… Je commence à avoir l’habitude.

Le silence retomba, lourd. Monsieur Fujisawa, le visage fermé par la colère, se tourna vers l’homme qui avait jeté la tomate.

— Je ne tolérerai pas un tel comportement dans mon établissement. Je vous prie de quitter les lieux immédiatement.

— Quoi ? s’écria l’homme, pris de court.

— Et je vous serais reconnaissant de ne plus jamais revenir.

Rouge de rage, l’homme tourna les talons et quitta le restaurant, en bousculant une chaise au passage. Taro, le visage encore humide de jus de tomate, s’essuya doucement avec sa manche. Il se leva sans un mot et, avant de franchir la porte, dit simplement :

— Je ferais mieux de partir. Mais… vous devriez faire attention. Mettez-vous à l’abri.

Puis il s’en alla, tête basse, les épaules alourdies par une peine invisible.

Rika, restée silencieuse jusque-là, s’approcha de Monsieur Fujisawa :

— Qui est ce garçon ?

Le vieil homme soupira, l’air grave.

— Il s’appelle Taro. C’est un jeune pêcheur, très doué. Mais il est malheureusement mal vu dans ce village.

Dame Sakura fronça les sourcils :

— Pourquoi donc ?

— Les habitants le considèrent comme un enfant maudit, expliqua Fujisawa. Ils l’accusent des tempêtes, des disparitions en mer, des ouragans… Chaque fois qu’un malheur s’abat, les regards se tournent vers lui.

Haru secoua la tête, révolté :

— Quelle absurdité ! Ce ne sont que des superstitions idiotes. Pourquoi s’en prendre à un enfant ?

Nanami intervint, la voix douce, presque triste :

— Taro a été retrouvé flottant en pleine mer, seul, alors qu’il n’était qu’un nourrisson. C’est un vieux pêcheur qui l’a recueilli. Mais peu de temps après… cet homme a disparu en mer, lui aussi.

— Oh… souffla Dame Sakura.

— Taro n’a jamais connu ses parents, reprit Nanami. C’est nous, les villageois, qui l’avons élevé. Il est gentil, courageux… mais tout cela n’a pas suffi à effacer les peurs et les rancunes.

Un silence pesant s’abattit sur la pièce. Tous semblaient bouleversés, ébranlés par ce qu’ils venaient d’apprendre. Le destin de Taro, chargé d’injustices, avait laissé une impression vive dans leurs cœurs.

Chapitre 2 :Les Liens Invisibles de la Tempête

Le vent soufflait déjà avec une certaine nervosité sur les toits du village lorsque Nanami, les bras croisés, s’adressa à Dame Sakura dans un soupir résigné.

— Taro est un garçon très chaleureux, mais pour des raisons qui m’échappent, les villageois lui manifestent une profonde hostilité.

Un froncement de sourcils traversa le visage bienveillant de Dame Sakura. Elle secoua légèrement la tête, indignée.

— C’est vraiment décevant. Rejeter une telle haine sur un enfant est inacceptable.

Nanami acquiesça gravement.

— Je partage votre avis. Mais quoi qu’il en soit, nous devrions envisager de fermer la boutique, comme il nous l’a suggéré.

À ces mots, Haru, jusque-là silencieux, se redressa et déclara avec calme :

— Je pense que nous devrions faire la même chose, père.

Son père, Monsieur Saï, le fixa un instant avec surprise, puis lui répondit avec une tendresse teintée d’un brin d’amusement :

— Tu fais vraiment confiance aux paroles de cet enfant ?

Mais Haru ne sembla pas troublé.

— Absolument pas… Mais vous savez bien que je ne crois pas aux superstitions. De plus, il vaut mieux prévenir que guérir.

Monsieur Saï sourit doucement à cette sagesse inattendue, hocha la tête et conclut :

— Très bien, dans ce cas, nous allons également suspendre les livraisons pour ces soirées. J’ai vraiment hâte de voir ce que cela va donner.

Alors qu’il s’apprêtait à quitter la boutique, Nanami l’interpella.

— Attendez, Monsieur Saï.

Il se retourna, interrogatif.

Nanami s’approcha de lui avec un petit paquet soigneusement enveloppé.

— Voici, c’est pour votre femme.

Monsieur Saï prit l’offrande avec étonnement.

— Qu’est-ce que c’est ?

— C’est une algue très spéciale qui pousse dans les marécages. Elle possède des propriétés de guérison incroyables, et je suis convaincue qu’elle aidera votre femme à se sentir mieux.

Touché par l’attention, le vieil homme esquissa un sourire sincère.

— Merci beaucoup, Nanami.

Mais elle secoua la tête, humblement.

— Attendons d’abord que votre épouse soit rétablie, puis vous pourrez me remercier. Pour être honnête, c’est Taro qui m’a apporté ces algues aujourd’hui pour en préparer une soupe.

Rika, jusque-là muette, ouvrit de grands yeux admiratifs.

— Il a l’air vraiment intéressant, ce Taro. J’aimerais beaucoup devenir amie avec lui.

Dame Sakura lui caressa les cheveux avec douceur.

— Peut-être une autre fois, ma petite Rika. Mais pour l’instant, il est temps de rentrer.

Les derniers clients quittèrent la boutique, les esprits désormais troublés par les avertissements du jeune garçon. Pendant ce temps, Taro, solitaire comme à son habitude, avait déjà quitté le village pour regagner sa modeste demeure, nichée aux abords d’un vieux marécage.

Mais sur le sentier sinueux menant à sa cabane, il aperçut une silhouette familière : l’homme que Monsieur Fujisawa avait chassé du restaurant plus tôt.

Celui-ci n’était pas seul.

À peine Taro eut-il mis un pied dans la clairière que l’homme l’accusa avec rage :

— Espèce de sale gamin, tu as vu ce que tu as fait !

Avant qu’il n’ait le temps de réagir, un second homme surgit de derrière un buisson et l’empoigna brutalement.

— Eh, mais attendez, qu’est-ce que vous faites ? s’écria Taro, paniqué.

Le premier s’approcha, le regard sombre, ses traits tordus par la haine.

— Je vais te faire regretter de m’avoir humilié devant monsieur Fujisawa et les autres.

Le poing s’abattit, sans pitié.

Plus tard dans la nuit, Taro rentra chez lui, le visage tuméfié, les jambes vacillantes. Il ne gémit pas, ne pleura pas. Il n’y avait que ce silence pesant, ce regard vide.

Il remplit un récipient d’eau trouble, puis, lentement, entreprit de nettoyer ses blessures.

— Ça fait mal… murmura-t-il, la voix à peine audible.

Mais pas une larme ne coula. Une lassitude glaciale semblait s’être emparée de lui. Après avoir pansé ses plaies comme il le pouvait, il s’effondra dans un sommeil sans rêve.

Et c’est alors que la tempête s’abattit.

Une tempête déchaînée, hurlante, qui fouetta les maisons, emporta les filets des pêcheurs, brisa les portes, renversa les bateaux. Le ciel était zébré d’éclairs et la mer, déchaînée, s’infiltrait jusque dans les rues du village.

La cabane de Taro, vétuste et malmenée par les ans, ne résista pas. Le vent arracha le toit, la pluie s’infiltra par les planches disjointes, et bientôt, seule une petite partie de la pièce offrait encore un abri. C’est là que Taro se recroquevilla, grelottant dans l’humidité et le froid.

Le lendemain, le village s’éveilla au son des pas pressés et des exclamations consternées.

Nanami et Monsieur Fujisawa arpentaient les rues, inspectant les dégâts. Leur restaurant avait été partiellement inondé, la toiture endommagée.

— Heureusement que nous avons fermé plus tôt hier soir, dit Nanami, soulagée. Sinon, je me demande comment nous aurions pu nous en sortir.

C’est à ce moment que Monsieur Saï arriva, accompagné de son épouse et de Haru. Tous trois semblaient fatigués, mais sains et saufs.

— Monsieur Saï, comment allez-vous ? demanda Monsieur Fujisawa en les accueillant chaleureusement.

— Je me porte bien grâce à vous, répondit l’homme avec gratitude. Si je n’avais pas annulé mes livraisons, ma cargaison aurait été perdue en mer.

Haru ajouta fièrement :

— Et grâce à ces algues, ma maman a pu se rétablir très rapidement.

Madame Alma, les yeux brillants d’émotion, s’exprima à son tour :

— Je ne pourrai jamais vous remercier assez pour tout ce que vous avez fait.

Nanami répondit simplement, avec chaleur :

— C’était tout à fait naturel, madame Alma. Nous l’avons fait avec plaisir.

— J’aimerais beaucoup rencontrer ce jeune garçon, ajouta Madame Alma. Je tiens à le remercier en personne.

— Il ne devrait pas tarder à arriver, dit Monsieur Fujisawa. Vous pouvez l’attendre ici si cela vous convient.

— Avec joie. En attendant, nous serions ravis de vous aider à nettoyer.

Nanami s’interposa, gênée.

— Oh non, ce ne serait pas correct…

Mais Madame Alma insista, avec douceur.

— C’est ma manière de vous remercier.

Une voix familière se fit alors entendre :

— Dans ce cas, nous serons également heureux de vous donner un coup de main.

C’était Dame Sakura, accompagnée de sa fille. Elle s’avança d’un pas paisible.

— C’est un jeune garçon qui a permis d’éviter que mon mari ne périsse en mer. Grâce à lui, il a annulé son voyage. Aujourd’hui, je tiens à le remercier.

Devant cette solidarité spontanée, Monsieur Fujisawa ne put cacher son émotion.

Ainsi, tous se mirent à l’ouvrage : les enfants trièrent les débris, les femmes nettoyèrent les sols, et les hommes réparèrent les structures. Le travail fut mené dans une harmonie rare, presque joyeuse.

Quelques heures plus tard, alors que le soleil perçait à travers les nuages, un détail troubla Fujisawa.

— Taro est en retard aujourd’hui.

— Oui, confirma Nanami. Ce n’est pas dans ses habitudes. Il a dû rencontrer des problèmes pendant la tempête.

À peine ces mots prononcés, une silhouette solitaire se dessina au loin.

Taro avançait lentement, le pas traînant, le souffle court. En franchissant le seuil du restaurant, il posa son panier, baissa les yeux et dit d’une voix faible :

— Je suis désolé, Monsieur Fujisawa, je n’ai pas pu vous apporter votre commande aujourd’hui.

Le restaurateur s’approcha aussitôt, inquiet.

— Ce n’est pas grave, Taro. Mais regarde un peu toutes ces personnes. Elles sont venues pour toi.

Taro leva les yeux et découvrit les visages qui l’observaient avec bienveillance.

Madame Alma s’approcha doucement.

— Dis-moi, mon enfant… Es-tu sûr que tout va bien ?

Taro ouvrit la bouche, mais aucun mot n’en sortit. Ses jambes tremblèrent. Puis, sans un mot, il s’effondra.

— TARO !!! hurla Nanami, accourant vers lui.

Elle le prit dans ses bras. Il était brûlant.

— Il a une forte fièvre…

Monsieur Fujisawa, le visage grave, déclara :

— Il a dû être pris dans la tempête. Allons, montons-le à l’étage.

Et tandis que les villageois l’aidaient à transporter le garçon affaibli, tous prirent conscience de ce lien invisible que la tempête venait de révéler — un lien plus fort que les peurs ou les rancunes : l’élan d’un cœur sincère.

Tous montèrent rapidement à l’étage. Dans la petite chambre du haut, Taro gisait dans un lit, le front ruisselant de sueur, la peau brûlante de fièvre. Madame Alma, penchée sur lui, prit doucement son poignet entre ses doigts pour vérifier son pouls, puis posa une main sur son front. Son visage se ferma légèrement.

— Sa température continue de monter, dit-elle avec inquiétude. Si ça continue ainsi, cela pourrait devenir dangereux.

Dame Sakura, restée en retrait jusqu’alors, s’approcha, le regard assombri.

— Il a l’air vraiment très mal...

Nanami entra alors dans la chambre, une bassine d’eau tiède entre les mains. En silence, elle s’assit au bord du lit, y trempa une serviette propre, l’essorant doucement avant de la poser sur le front de Taro. Elle observa un moment le garçon, puis murmura :

— Il souffre beaucoup, on dirait...

— Ne t’en fais pas, répondit Madame Alma d’une voix douce. Tant qu’il reste bien au chaud et qu’on prend soin de lui, il devrait aller mieux assez vite.

Elle se redressa légèrement, jeta un coup d’œil à son mari resté près de la porte, puis ajouta :

— Saï, je vais rester ici un moment. Il a besoin de surveillance.

— Tu ne rentres pas ? demanda-t-il, un brin surpris.

— Non, dit-elle avec un petit sourire. Je vais rester pour aider Nanami à veiller sur ce petit garçon. Mais toi, tu as encore des choses à faire. Je ne veux pas te retenir plus longtemps.

— Alors je reste aussi, dit Haru spontanément, en se rapprochant de sa mère. Moi aussi, je veux aider.

Elle posa une main affectueuse sur ses cheveux.

— C’est vraiment gentil de ta part, mon petit Haru.

Monsieur Saï, après un dernier regard, quitta la pièce en silence. Le calme retomba. Dans cette chambre, on n’entendait plus que le souffle irrégulier de Taro et le léger clapotis de la serviette plongée à nouveau dans l’eau.

Les heures passèrent. Grâce aux soins attentionnés de Madame Alma et Nanami, la fièvre finit par céder peu à peu. Finalement, les paupières du garçon frémirent légèrement. Il ouvrit lentement les yeux. Devant lui, flous d’abord, apparurent les visages familiers et inquiets de Dame Alma, Dame Sakura, Nanami et Haru.

Il tenta de se redresser, mais ses muscles protestèrent aussitôt.

— Ne bouge pas, intervint Nanami avec douceur, posant une main sur son épaule. Tu dois rester allongé. Tu n’es pas encore assez fort.

Elle releva alors les manches du garçon pour ajuster la couverture, et son regard se figea. Des marques violettes couvraient son bras.

— Taro... chuchota-t-elle. Qu’est-ce qui t’est arrivé ?

Madame Alma s’approcha aussitôt, son expression changeant du calme à la stupeur.

— Ce sont des bleus ! lança-t-elle d’un ton plus ferme. Qui t’a fait ça ?

Taro baissa les yeux. Son visage se crispa. Il tenta une nouvelle fois de se redresser, la voix tremblante :

— Je... Je dois partir. Je ne peux pas rester ici...

— Non ! s’écria Nanami, le ton soudain plus tranchant. Tu ne vas nulle part. Tu es malade, blessé, et tu as besoin d’aide. Il est temps que tu nous dises ce qu’il s’est passé.

Haru, resté en retrait, fixait Taro sans comprendre. Puis, tout à coup, comme frappé par une évidence, il murmura :

— C’est l’homme du restaurant... c’est lui qui t’a fait ça, pas vrai ?

Taro tressaillit. Sa réaction, bien qu’infime, ne laissa aucun doute. Haru reprit, plus doucement :

— Je m’en doutais...

Dame Alma tourna la tête vers son fils.

— Quel homme, Haru ? De qui parles-tu ?

— C’est un type désagréable, répondit l’enfant. Monsieur Fujisawa l’a chassé hier soir. Il s’était mal comporté avec Taro... mais je ne pensais pas qu’il irait jusqu’à le frapper...

— Ce type est une ordure, dit Rika, qui venait d’arriver dans l’embrasure de la porte. Pourquoi s’en prendre à un enfant ? Il devrait être puni.

Madame Alma, bien qu’ému, garda sa contenance. Sa voix se fit posée, mais ferme.

— Et il le sera. Mais pour l’instant...

Elle se tourna vers Taro, dont les yeux s’étaient clos à nouveau. Sa respiration était redevenue lente, paisible. Elle posa une main sur sa joue, avec une infinie tendresse.

— ... concentrons-nous sur sa guérison. C’est tout ce qui compte.

Chapitre 3: Le Poids de la Solitude, la Chaleur de l'Amitié.

La lumière du jour baignait les murs de bois de la maison de Monsieur Fujisawa d’une lueur douce et chaleureuse. À l’intérieur, une atmosphère paisible régnait. Dame Alma, aidée par Dame Sakura, s’affairait avec délicatesse à changer le bandage de Taro. Le tissu imbibé de soins commençait à se détacher sous l’effet de la chaleur et du mouvement du garçon.

Nanami, assise tout près de lui, ne l’avait pas quitté un seul instant depuis son réveil. Inquiète pour lui, elle refusait de le laisser seul, comme si son cœur n’aurait pas supporté une autre absence.

Dans la cuisine, Haru et Rika s’étaient montrés serviables en apportant de l’eau fraîche à leur mère, afin de continuer à prodiguer les soins nécessaires à Taro.

Ce jour-là, le restaurant de Monsieur Fujisawa n’avait pas ouvert ses portes au public. L’enseigne était éteinte, et bien que les plats fussent toujours préparés pour quelques clients fidèles, l’établissement était resté clos. C’était un jour de silence, un jour pour veiller sur l’un des leurs.

La journée s’écoula dans une sérénité inhabituelle. Lorsque le soleil entama sa descente, Monsieur Saï revint au restaurant. Il retrouva sa femme à l’intérieur et, après avoir reçu des nouvelles rassurantes du jeune garçon, il quitta les lieux en compagnie d’elle et de leur fils. Dame Sakura fit de même, en promettant de revenir dès l’aube.

La nuit enveloppa bientôt le village de sa couverture étoilée, et Taro passa cette nuit paisible chez Monsieur Fujisawa, veillé tendrement par Nanami. Elle resta à son chevet, silencieuse, veillant sur son sommeil comme sur un trésor.

Mais au petit matin, quand les premiers rayons du soleil caressèrent la fenêtre, Nanami ouvrit les yeux… et constata avec stupeur que Taro n’était plus là.

Elle resta un instant immobile, les yeux écarquillés, le souffle coupé.

— ...

Soudain, le cœur affolé, elle se précipita hors de la chambre en criant :

— Papa, Taro...

Mais avant même d’achever sa phrase, son regard fut attiré par une scène dans la salle principale. Elle aperçut Taro, bien éveillé, assis à table aux côtés de son père, en train de savourer un plat fumant. Le garçon riait doucement.

Une vague de soulagement l’envahit. Les larmes lui montèrent aux yeux et, d’un bond, elle s’élança vers lui pour l’enlacer.

— Je suis tellement soulagée, tu t’es enfin réveillé.

Taro leva les yeux vers elle avec un petit sourire et répondit d’une voix douce :

— Je suis désolé de t’avoir inquiétée, mais tu vois, je suis maintenant en pleine forme.

— Je vais très bien, je suis en pleine forme.

Mademoiselle Alma, qui venait d’entrer, posa sa main sur le front du garçon, comme par réflexe. Elle fronça les sourcils, visiblement troublée.

— C’est incroyable, tu n’as pas de fièvre !? Tu es complètement guéri !?

Taro lui sourit, toujours aussi calme.

— Oui, je me sens maintenant en pleine forme... Je vous remercie sincèrement de m’avoir soigné lorsque j’étais malade.

La vieille dame sourit à son tour, attendrie.

— C’était tout à fait normal, surtout après tout ce que tu as fait pour nous.

Nanami, tout sourire, l’observa attentivement.

— Je peux le voir, et tes blessures sont presque guéries.

— Tu as remarqué ? Je me suis remis de mes blessures en un jour et, comme tu peux le constater, je n’ai plus de fièvre.

Nanami, les sourcils levés d’étonnement :

— Eh bien, tes capacités de récupération sont impressionnantes.

C’est alors qu’une voix familière s’éleva derrière eux.

— Je vois que notre petit garçon a enfin ouvert les yeux.

Tous se retournèrent. Dame Alma, Dame Sakura, Rika et Haru s’avançaient vers eux, les bras chargés de fruits et de sourires.

— Bonjour à vous, comment allez-vous ? lança Nanami en s’inclinant légèrement.

— Bonjour Nanami, répondit Mademoiselle Alma. Nous allons très bien, et toi, comment vas-tu ?

— Je vais bien, merci.

Taro, lui, était resté silencieux. Il les regardait avec des yeux ronds, comme s’il découvrait une nouvelle réalité. Mademoiselle Alma s’approcha et posa une nouvelle fois la question :

— Et toi, mon petit Taro, comment te sens-tu aujourd’hui ?

— Je vais très bien, je suis en pleine forme.

Une fois encore, elle posa sa main sur son front, surprise de l’absence totale de fièvre.

— C’est incroyable, tu n’as pas de fièvre !? Tu es complètement guéri !?

— Oui, je me sens maintenant en pleine forme... Je vous remercie sincèrement de m’avoir soigné lorsque j’étais malade.

— C’était tout à fait normal, surtout après tout ce que tu as fait pour nous, répondit-elle.

Taro les regarda avec reconnaissance. Puis, un peu gêné, il se leva lentement.

— Je dois maintenant partir.

Nanami se tourna brusquement vers lui, les yeux élargis par la surprise.

— Tu pars !? Que se passe-t-il ?

— Je dois aller réparer ma maison, elle a été endommagée par la tempête. Si je ne fais rien, je n’aurai pas de toit ce soir.

Elle lui adressa un regard doux, rassurant.

— Ne t’inquiète pas pour ta maison, le problème a déjà été réglé.

— ...

En effet, quelques instants plus tard, Taro se tenait devant sa demeure. Il resta figé. La maison avait été entièrement remise en état. Les murs étaient propres, les tuiles réparées, le sol balayé.

— C’est vous qui avez fait cela ?

— Oui, en fait, tout le monde a participé, répondit Nanami avec un sourire.

— C’était notre façon de te remercier pour toute l’aide que tu nous as apportée, ajouta Dame Sakura.

— Grâce à toi, j’ai pu guérir de ma maladie, dit Mademoiselle Alma.

— Tu as sauvé mon père en l’empêchant de mourir en mer, poursuivit Rika.

— Oui, c’est tout à fait vrai, conclut Dame Sakura.

Un frisson parcourut Taro. C’était la première fois qu’il ressentait cela. Il ne voyait plus dans leurs regards la peur ou le jugement… mais une chaleur nouvelle, bienveillante. Une tendresse sincère.

Les yeux brillants, il souffla d’une voix tremblante :

— Merci… Merci infiniment.

Un peu plus tard, après ces échanges émouvants, Taro, désormais remis sur pied, exprima son désir de repartir en mer.

— Je tiens à vous remercier sincèrement pour tout. Vous avez pris soin de moi et réparé ma maison, et pour cela, je vous en serai toujours reconnaissant.

— Tu n’as pas besoin de nous remercier autant, c’était un réel plaisir de pouvoir t’aider, dit Dame Sakura.

— Et n’oublions pas que c’est toi qui nous as aidés en premier, ajouta Mademoiselle Alma.

— Que prévois-tu de faire maintenant, cher Taro ? demanda alors Monsieur Fujisawa.

— J’ai l’intention d’aller pêcher et de vous ramener un énorme poisson pour ce soir, vous n’allez pas en croire vos yeux !

Mais Nanami fronça les sourcils.

— Tu viens à peine de te rétablir, et tu penses déjà à retourner en mer… Parfois, je me demande ce que tu cherches là-bas !

Le regard de Taro s’assombrit un instant. Il répondit, d’un ton plus sérieux :

— Eh bien, j’adore passer du temps en mer. Là-bas, je me sens revivre, un peu comme si c’était le seul lien qui me reliait à quelqu’un.

Nanami le regarda, surprise.

— Un lien !?

— Oui, c’est comme si nous étions connectés, et ce lien me plaît beaucoup.

Elle vit dans ses yeux une lueur profonde, un attachement sincère. Elle baissa la tête un instant, puis hocha doucement la tête.

— D’accord, je comprends… Tu peux partir en mer.

Taro afficha un sourire radieux. Mais Nanami ajouta aussitôt, d’un ton taquin :

— Je te laisserai partir, à condition que tu me promettes de venir dîner avec nous ce soir.

— Mais...

— Oui, Taro, accorde-nous cette faveur, appuya Monsieur Fujisawa.

— Mais…

— C’est non négociable, dirent Dame Sakura et Mademoiselle Alma d’une seule voix.

Taro les regarda, hésitant.

— Êtes-vous certains que ma présence ne dérangera personne là-bas ?

— N’oublie pas que c’est moi le propriétaire de l’établissement. Si quelqu’un n’est pas content de te voir, il peut toujours s’en aller, déclara Monsieur Fujisawa.

— Bien dit, papa ! Personne n’osera te chasser d’ici, ajouta Nanami.

— Et ne t’inquiète pas pour ces vilains messieurs qui t’ont fait du mal, ils ne te causeront plus jamais de souci, assura Mademoiselle Alma.

— Ce serait vraiment un grand plaisir de partager un repas avec toi, Taro, conclut Dame Sakura.

Tout le monde approuva, et devant tant de bienveillance, Taro céda.

— Très bien, je viendrai dîner avec vous ce soir... Merci beaucoup… Merci à vous tous.

Les sourires fleurirent sur chaque visage. Rika s’approcha alors de lui, les yeux pétillants :

— Dis, ça te dirait que je vienne pêcher avec toi ?

Taro, pris de court, s’exclama :

— Quoi !? Venir pêcher avec moi !?

— Oui, tu es d’accord, maman ?

— Oui, pourquoi pas. Ce sera l’occasion de faire connaissance, c’est une très belle idée, répondit Dame Sakura.

— Quoi !?

— Je suis sûre que nous allons devenir de grands amis, tous les trois, dit Rika avec assurance.

— Tous les trois !?

À ces mots, le cœur de Taro se réchauffa. L’écho d’une solitude trop longtemps endurée fut enfin remplacé par une certitude : il n’était plus seul.

Et ce soir-là, pour la première fois, il partagea un dîner en famille… pas celle du sang, mais celle du cœur.

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