Kimberley
Les gouttes de pluie glissent lentement sur la vitre, traçant des sillons irréguliers sur le verre. De ma main droite, je tiens mon téléphone ; de l'autre, ma tasse de café encore chaude. La porcelaine fine réchauffe mes doigts, mais pas vraiment le reste.
Je suis là, affalée dans mon énorme fauteuil en velours crème, les jambes repliées contre moi, enroulée dans un pull beaucoup trop grand. La chambre est silencieuse, juste bercée par le bruit discret de la pluie qui tambourine sur les carreaux. L'air sent le linge propre et le bois ciré, une odeur familière mais un peu trop lisse, comme tout ici.
Ma chambre est belle. Trop belle, peut-être. De grandes étagères en bois clair, un bureau design, des bougies qui sentent la vanille, et une immense bibliothèque que je n'ai pas choisie. Tout est à sa place. Impeccable. Presque impersonnel.
Je bois une gorgée. Le café est un peu amer, mais j'aime ça.
Sur l'écran de mon téléphone, une vidéo se lance automatiquement. Jordan. Encore lui. Sweat à capuche, ballon à la main, sourire ravageur. Il est beau. Genre vraiment beau. Et ce sourire, bordel... On dirait qu'il sait. Qu'il sait que je le regarde. Qu'il sait que je l'aime bien.
Enfin non, que je le fantasme. Nuance.
Depuis quelques semaines, je ne rate rien de ce qu'il poste. Je connais ses horaires d'entraînement, les marques de ses baskets, même la couleur de son bracelet en tissu. Un peu flippant, non ? Mes amies disent que je suis obsessionnelle. Elles ont probablement raison. Mais c'est plus fort que moi.
C'est peut-être pathétique, ou juste normal quand on a dix-sept ans et qu'on se sent un peu vide, parfois. Mes parents ne sont presque jamais là, toujours en voyage ou enfermés dans leurs réunions. La maison est grande, mais je suis souvent seule. Et dans cette solitude confortable, Jordan est devenu une échappatoire silencieuse.
Un fantasme doux, et sans danger.
Je le regarde dribbler, sourire, passer la main dans ses cheveux. Il n'a aucune idée que j'existe. Enfin si — on est dans la même école et je lui ai déjà parlé deux ou trois fois — mais il ne m'a jamais vraiment regardée.
Je soupire, puis sursaute : mon téléphone vibre. Une notification. Un appel. L'écran s'illumine : Ma connasse à moi.
Un sourire me vient immédiatement. Je décroche.
- Devine qui j'ai croisé au centre commercial aujourd'hui ?! DEVINE ! hurle ma meilleure amie dans le haut-parleur.
Je bois une gorgée, l'air faussement blasé.
- Chris Brown ?
- Oh mais comment t'as deviné ?!
Je pouffe, un rire franc m'échappe. Ça fait du bien. Même le genre de rire qui me fait presque recracher mon café.
- Bien fait pour toi, rigole-t-elle.
Je ris encore. Ce genre de moment me rappelle que, malgré tout, je ne suis pas si seule.
- Tu es où, là ? me demande-t-elle.
Je repose ma tasse, me lève et m'approche de la fenêtre, par réflexe.
Et là... je me fige.
- Attends... putain...
Juste en face, dans l'immeuble voisin, Steward — mon voisin — est torse nu à sa fenêtre. En train d'embrasser Renata. Et quand je dis embrasser, c'est pas un bisou de politesse. C'est le genre de scène qu'on voit dans les séries pour ados, avec ralenti et musique dramatique en fond.
Sa main est posée beaucoup trop bas pour que ce soit innocent.
Je reste figée, incapable de détourner les yeux. Renata ? La pom-pom girl la plus peste du lycée ? Celle qui m'a dit une fois que mes fringues ressemblaient à un vide-grenier ? Et lui ? Ils font genre qu'ils se connaissent à peine au bahut. Et là, ils sont en plein épisode de Gossip Girl, version banlieue chic.
Je suis à la fois choquée, fascinée... et, ouais, un peu dégoûtée.
- Allô ? Kimberly ? Ici la Terre !
Je sursaute avant de tirer brusquement les rideaux.
- Mon voisin est en train de rouler une pelle à Renata, je murmure.
Silence. Puis une explosion de l'autre côté du fil.
- Attends... Tu parles de Steward ?!
- Oui...
- Oh. Putain. De. Merde. J'arrive tout de suite chez toi !!
Sa voix tremble d'excitation, et je sens mon cœur s'emballer un peu. Ce que je viens de voir vient de transformer une journée pluvieuse... en début de commérage entre moi et ma meilleure amie.
Kimberley
Alors que je descends les escaliers en silence, un frisson d'excitation me parcourt. Le marbre froid sous mes pieds nus contraste avec la douceur tranquille du soir. Dehors, la pluie a cessé, mais l'air garde cette odeur humide de terre lavée, presque apaisante.
Dès que je déverrouille la porte d'entrée et l'entrouvre, le regard d'Anna croise le mien. Pas un mot. Elle entre comme une furie, sans même retirer ses baskets, file tout droit vers l'escalier et grimpe à toute vitesse. Je souris, amusée, referme la porte, puis la suis à l'étage, lentement.
Quand j'entre dans ma chambre, elle est déjà plantée devant ma fenêtre, les yeux grands ouverts.
- Tu sais que tu as mis deux heures à venir ? Tu pensais vraiment les surprendre encore en train de s'embrasser ? dis-je, moqueuse.
Elle éclate de rire et s'écroule sur mon lit sans aucune retenue.
- Allez, raconte-moi tout ! s'exclame-t-elle, les yeux brillants d'impatience.
- Eh bien...
je m'assois à côté d'elle, un peu gênée.
- J'étais devant la fenêtre quand je les ai surpris. Ils étaient carrément en train de s'embrasser. Et franchement, à voir la scène... Steward était vraiment très, très entreprenant.
Elle pousse un petit gloussement et arque un sourcil en me fixant.
- Tu veux dire que tu te verrais bien sous ses draps, toi aussi ?
- N'importe quoi ! Tu sais très bien qui j'aime...
- Jordan ?
(elle roule des yeux de façon exagérée avant de continuer).
- Sérieusement, ma belle, il faut que tu lui parles. Là, ça devient désespérant. Fais-toi baiser, merde !
Je laisse échapper un rire nerveux en secouant la tête, mi-gênée, mi-exaspérée. C'est fou comme cette fille peut sortir les pires vulgarités sans même sourciller, alors qu'elle est probablement la plus innocente de nous deux.
- Mais plus sérieusement, qu'est-ce que Renata foutait chez Steward ? demande-t-elle, un air intrigué dans les yeux. La dernière fois que j'ai vérifié, cette connasse sortait avec Cody. Mon frère va péter un câble s'il apprend que son pote se tape sa copine.
- Ils ne sortent pas ensemble, Anna. Ils couchent juste ensemble. Et encore... peut-être que ton frère et Steward ont décidé de partager un peu plus que des consoles de jeux.
- Tu marques un point... Et franchement, si j'étais elle, je coucherais aussi avec Steward. Putain, ce mec est trop canon et sexy !
- Mon Dieu, tu parles de lui comme s'il s'agissait d'un dieu grec. Il est peut-être beau, j'avoue... mais je ne le trouve pas « baisable », comme tu dis. C'est sûrement parce qu'il ne m'intéresse pas.
- Avoue juste qu'il est bien foutu, arrête de faire ta sainte-nitouche !
Je lève les yeux au ciel sans répondre, puis je me laisse tomber en arrière sur le lit, à ses côtés.
- Honnêtement ? Je ne sais pas trop. Mais une chose est sûre : je ne l'aime pas.
Elle allait me répondre, mais un bruit strident nous interrompt. Instinctivement, on tourne la tête vers ma fenêtre. Celle de mon voisin est grande ouverte, et à travers elle, on entend sa musique électro qui nous vrille les tympans. La lumière fluo de sa chambre éclaire la pièce comme une boîte de nuit.
- Il est quelle heure ? je demande.
- 21h. Pourquoi ?
Je fronce les sourcils, furieuse, mes poings se serrant sans même que je m'en rende compte.
- 21h ? Et ce connard se croit encore en pleine rave party ? Il pense que les voisins, ce sont des meubles ? Ça fait une semaine que ses soirées à la con m'empêchent de dormir. J'en peux plus de sa musique à fond et de son mépris total des autres.
- Et pourquoi tu ne m'as rien dit avant, meuf ?
- Parce que je savais très bien que tu aurais voulu nous incruster à ses soirées de gré ou de force. Et puis ce n'est pas le sujet. J'en ai marre, voilà. Je n'ai pas vendu mon sommeil au diable !
Furieuse, je me lève d'un bond et sors de ma chambre, Anna sur mes talons, plus excitée qu'inquiète. Mes pas résonnent dans le couloir, chaque marche descendue amplifiant ma colère. Mon cœur tambourine dans ma poitrine, et une fois dans le salon, une étrange énergie m'envahit. Je file droit vers la porte, l'ouvre d'un geste sec, et l'air frais de la nuit s'engouffre dans mes cheveux.
Mes pantoufles trempent dans l'herbe humide alors que je traverse la pelouse, toujours aussi énervée. Je sens la tension monter en moi, mélangée à une espèce de feu intérieur que je contrôle à peine. Derrière moi, j'entends la voix d'Anna, incrédule.
- Oh merde, Kimberly... tu vas vraiment le faire ?
Je retiens un soupir. Elle, elle s'éclate déjà dans sa tête, alors que moi, je suis à deux doigts d'exploser. J'appuie trois fois d'affilée sur la sonnette. Le bruit strident se mêle à la musique trop forte qui s'échappe de sa maison. Je veux qu'il sache. Qu'il entende. Que je suis là.
Quelques minutes passent avant que la porte ne s'ouvre. Il est là, mon voisin. Ses yeux verts glacés me plantent comme des couteaux. Il me détaille des pieds à la tête avec ce petit air hautain que je déteste chez lui. Puis, son regard glisse lentement sur Anna, et je sens tout de suite que ça pue les ennuis.
- Oui ? lâche-t-il d'un ton sec.
- La musique, dis-je d'une voix maîtrisée, même si je bouillonne intérieurement. Elle me dérange. Et j'aimerais... dormir, tout simplement.
Il ricane, passe sa langue sur ses lèvres, et me regarde avec un air de défi.
- Et alors ? Qu'est-ce que tu veux que j'y fasse ?
Un rire nerveux m'échappe. Je me redresse, essaie de rester calme malgré l'envie de lui hurler dessus.
- Tu pourrais peut-être baisser le volume ? Tu vois, tu as des voisins. Et je vis juste à côté. Ma chambre donne pile sur la tienne. Alors un peu de respect, ce ne serait pas trop demander.
Kimberley
- Hmmm... laisse-moi réfléchir, murmure-t-il en posant son index sur son menton, feignant une intense réflexion. Un sourire narquois étire ses lèvres. Non, je n'ai pas envie.
Il commence à refermer la porte, mais je la retiens à temps, plaquant ma main contre le battant pour empêcher sa fermeture.
- Compose le 911 pour moi, Anna, dis-je d'un ton ferme sans le quitter des yeux. Je suis sûre que les flics seraient ravis d'apprendre qu'un mec de dix-huit ans, encore trop jeune pour boire légalement, organise une soirée alcoolisée dans ce quartier.
Mon voisin arque un sourcil, amusé, puis s'avance lentement, sortant de chez lui avec l'assurance d'un roi quittant son château. Sa stature imposante, son regard froid... tout chez lui impose le silence. Il se poste juste en face de moi, si près que je peux sentir son parfum boisé, entêtant. Son sourire en coin, arrogant, semble défier les lois de la décence.
- Je ne sais pas ce que tu as fumé pour venir frapper à ma porte et jouer à la flic, mais si j’étais toi, je dégagerais vite fait.
- Et sinon quoi ? Tu vas me faire partir de force ? je réplique, le menton relevé, refusant de reculer.
Un ricanement moqueur glisse de sa bouche, avant qu’Il ne soutienne mon regard sans cligner des yeux.
- Mais non, princesse. Je ne compte pas te virer.
Steward s'approche encore, croisant ses bras musclés contre son torse, prennant son temps, sûr de lui. Trop sûr.
- Tu vois, j'avais un souci de Wi-Fi. Alors je me suis connecté au tien. Enfin... disons que je me suis "introduit" dans ton réseau. Et tu ne devineras jamais sur quoi je suis tombé... Jordanlebg.
Il laisse planer un silence, puis reprend, plus bas :
- Au début, je me suis dit que ça ne pouvait pas être le Jordan que je connais. Mais la curiosité a pris le dessus. Alors j'ai fouillé. Et crois-moi, j'ai trouvé des trucs intéressants. Des photos. Des vidéos. Planquées dans ton disque dur comme si tu avais peur que quelqu'un les trouve.
Mon cœur rate un battement. L'air se coince dans ma gorge. Il a fouillé... il sait. Il a vu. Chaque image, chaque fragment de mes sentiments secrets. Je sens mes jambes vaciller légèrement. Ma gorge se serre.
Je rougis violemment. Mes joues brûlent, mes doigts tremblent, et pourtant je reste figée, incapable de détourner le regard. Je me sens mise à nu.
- C'est... c'est illégal, ce que tu as fait, je parviens à murmurer, la voix tremblante, luttant pour retrouver une contenance.
- Peut-être. Mais si tu veux jouer à qui sera le plus "légal" entre nous, je ne suis pas sûr que tu gagnes.
Un sourit étire à nouveau ses lèvres .
- Ce que tu ressens pour Jordan, ça ne me regarde pas. Honnêtement, je m'en fiche. Je ne suis pas là pour te juger . Mais je te conseille de retourner chez toi. Si la musique te dérange... tant pis pour toi. Ici, c'est chez moi. Mes règles.
Et sans attendre de réponse, mon voisin tourne les talons et rentre chez lui. Puis claque la porte derrière lui avec une violence maîtrisée, comme s'il voulait graver sa victoire dans l'air.
Je reste là, seule, l'estomac noué, les poings crispés de colère et de honte.
- Tu peux me dire pourquoi ton frère est ami avec cet enfoiré ? je lâche, les dents serrées, la voix chargée d'une rage que je peine à contenir.
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